Maturité suisse – à quoi aboutira-t-elle?

par Dr. phil. René Roca, professeur de gymnase

Une procédure de consultation[en Suisse, une telle consultation prépare habituellement une nouvelle législation, a.d.t.] se déroule en ce moment, pratiquement sans bruit, dans le cadre du «développement de la maturité [baccalauréat] gymnasiale» (DMG). Dans un premier temps, il s’agit de réformer le règlement et l’ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité (RRM/OMC, qui se recoupent en principe). Une autre étape de la réforme (l’énième dans la série imposée au système scolaire suisse) suivra dans un an, lorsqu’il sera question d’un nouveau plan d’études cadre (PEC) régissant les matières et contenus sur la totalité du système des écoles publiques suisses, réforme radicale pour laquelle seule une «audition» est prévue avant son installation légale. A quoi bon toutes ces réformes?

Des réformes arbitraires sans pertinence

Les acteurs déterminants de ce processus de réforme, le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) et la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), justifient les étapes de la réforme en avançant que le système éducatif suisse s’est «profondément modifié au cours des dernières décennies». C’est le cas, il est vrai. Toujours est-il que dans ce contexte, les protagonistes des réformes font explicitement référence au «concordat HarmoS»[initiative de coordonner temporellement les débuts et fins des années scolaires dans tous les cantons suisse, a.d.t.], aux nouveaux plans d’études des régions linguistiques pour l’école obligatoire (entre autres le «Lehrplan 21», amplement critiqué) et au processus de Bologne dans les hautes écoles et universités. La «dernière pierre» de l’édifice consiste à «adapter» le degré secondaire II au nouveau système, c’est-à-dire non seulement les écoles professionnelles et de commerce, mais également les écoles de maturité. Selon le DEFR et la CDIP, cette adaptation serait nécessaire puisque la base de la formation gymnasiale n’aurait guère évolué depuis la dernière réforme de 1995. En outre, ils font état des «méga-tendances» telles la mondialisation et la numérisation, visiblement afin d’étiqueter d’emblée les critiques de leur réforme d’éternels rétrogrades et opposants aux temps modernes. Le «développement de la maturité gymnasiale» (DMG), préparé dans un silence presque total, intervient précisément au moment où les graves lacunes et les effets nocifs des réformes planifiées dans des cercles relativement clos sont mis en évidence et suscitent donc de plus en plus de critiques en public et ont fini par trouver un écho plus que mitigé dans les médias.
    En insistant sur les faits, il faut avouer qu’au cours des 25 dernières années, la formation scolaire suisse a été constamment réformée et adaptée aux nécessités, ce qui a mené à des révisions partielles et judicieuses du RRM (par exemple l’introduction de l’informatique comme matière obligatoire). Or, une réforme fondamentale de la maturité suisse n’est absolument pas pertinente, une fois de plus, enseignants, parents et adolescents se trouvent face à une réforme arbitraire, peu fondée et ainsi nocive.

Orientation sur les concepts américains

La maturité suisse jouit toujours d’une très bonne réputation dans le monde entier. Pourquoi donc une grande partie de décideurs en matière d’éducation veut-elle à tout prix réaliser ces réformes? Dans l’ensemble, ce qui s’annonce comme un «développement» de la maturité suisse aprouvée se soumet sans critique aux «mégatendances» mentionnées ci-dessus afin de parvenir à une internationalisation de l’enseignement. En fin de compte, il s’agit d’une simple adaptation au modèle anglo-saxon qui souffre d’une mauvaise réputation dans le monde entier, et ceci essentiellement parce qu’il met l’accent sur les compétences en vidant ainsi les notion de formation et de savoir de leur sens inné. Aussi, l’orientation vers les compétences est solidement ancrée, et ceci pour la première fois dans le libelle du RRM rénové; les compétences dans leur sens technologiquement réduit constituent la base essentielle du nouveau plan d’études cadre complètement surchargé. Où cela nous mènera-t-il? Depuis toujours, la pédagogie sérieuse insiste sur le rôle central de l’enseignant, rôle décisif pour la réussite de tout processus de formation qui veut réussir; or, les réformes imposées l’affaibliront davantage. Il n’y a pas de doute, celles-ci mènent incontournablement à plus de contrôle et de pilotage, donc à plus d’encadrement par le haut et ainsi à l’approfondissement de la stratégie top-down. Ce clivage est peut-être bon pour la bureaucratie éducative de la Confédération et des administrations cantonales, mais mauvais pour les enseignants et les jeunes gens en quête de connaissances approfondies et d’orientation. Les prochaines étapes de la réforme, comme la remise en question fondamentale du canon des disciplines (à l’instar de la réforme de la SEC), sont déjà dans le pipeline.

Cette réforme est erronée –
on a besoin d’un débat de fond

L’ensemble de la réforme de la maturité suisse se déroule selon le schéma aprouvé des réformistes zélés: un bloc de réformes démesurées est soumis aux «experts» et à une procédure de consultation indécemment courte. Le bloc est ensuite quelque peu allégé, mais le reste s’impose de manière d’autant plus radicale – procédé finalement peu transparent et peu démocratique. Que faire?
    Il faut défendre la persistance du premier objectif de la maturité gymnasiale suisse (basé sur des lycées cantonaux publics), à savoir «l’accès sans examen d’entrée aux hautes écoles universitaires et pédagogiques». Bien que la réforme des technocrates soit ancrée déjà dans les règlements en vigueur, on ne doit pas fermer les yeux face à la conséquence évidente: Jusqu’à présent, les réformes déjà imposées à l’école obligatoire suisse ainsi que le «processus de Bologne» imposés à nos universités doivent être soumis à un procès d’évaluation réelle et critique. Le fait de mettre l’accent sur les «compétences» technocrates, motivé par l’idéologie, doit être révisé et les buts de l’apprentissage scolaire doivent être redéfinis plus clairement, en se basant sur des acquis scientifiques sérieux, ce qui défend les discours purement idéologiques. Il faut se réorienter sur les concepts humanistes de l’éducation. Cette réorientation fondamentale est la seule capable de garantir la qualité des lycées publics suisses à long terme et le seul moyen de mettre un terme à la baisse continue du niveau de nos formations scolaires. De plus, le deuxième objectif de la maturité gymnasiale suisse la «maturité sociale approfondie» sera à nouveau à portée de main.

 

 

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