par Hans Rudolf Fuhrer*
Le débat sur le conflit ukrainien révèle actuellement une grande confusion. Les mensonges de propagande des Ukrainiens ne sont plus tous crus sans examen et les témoignages divergents russes ne sont plus tous dénigrés en tant que pures justifications mensongères d’un agresseur criminel. Une évaluation plus objective des causes et des raisons de l’«opération spéciale» commence lentement à gagner du terrain. Le fameux «audiatur et altera pars», principe fondamental du droit romain (il faut entendre l’autre partie, elle aussi) est de plus en plus respecté. Il est envisageable que la relation traditionnelle ami/ennemi en tant que «détermination centrale de toute action politique» (Carl Schmitt 1932) se substitue enfin par le «concept de la raison communicative» (Jürgen Habermas 2022), bien que Konrad Paul Liessmann en doute dans son article intitulé «Wissen, wer Freund ist und wo der Feind steht» (Il faut savoir distinguer nos amis et nos ennemis), paru récemment au «Neue Zürcher Zeitung» (du 20 août 2022). Peut-être que les réflexions ci-dessous permettront d’élargir ses pensées.
L’hypothèse d’une guerre préventive sera-t-elle envisageable un jour?
Dans une étude intitulée «Feindbild Moskau» (Moscou – en image de l’ennemi), parue dans la revue annuelle 2022 de la «Gesellschaft für militärhistorische Reisen» (Association suisse d’histoire et de sciences militaires ASHSM), j’ai analysé, d’un point de vue neutre, la discussion sur la justification allemande de la guerre préventive qui aurait été son invasion de l’Union soviétique en 1941. Il s’est avéré que la notion de guerre préventive n’est pas encore définie de manière précise. Il y a 20 ans, le gouvernement américain nous a fourni un document clé qui permet pourtant de concevoir plus objectivement ce terme. L’acte terroriste du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers à New York a certes donné une impulsion décisive à la discussion sur la légitimité d’une guerre préventive au regard du droit international, événement qui doit donc être pris en compte dans l’évaluation de l’attaque russe contre l’Ukraine. Le 17 septembre 2002, le président américain George W. Bush a présenté au Congrès un nouveau concept, nommé «préemption» (anticipation). On parle depuis d’attaque préemptive lorsque celle-ci a lieu avant une action offensive adverse directement attendue.
A cette différence près qu’une action de guerre offensive est considérée être à caractère préventif lorsqu’elle repose uniquement sur l’hypothèse que l’adversaire défini représente un danger potentiel qui menace de manière existentielle les propres intérêts de sécurité.
Evaluation
Cette définition américaine doit guider l’évaluation du comportement russe. La préemption peut tout à fait être légitime du point de vue de l’autodéfense, elle est également soutenue comme légale par la Charte des Nations Unies (art. 51,7). Toujours est-il que l’existence d’actes de guerre imminents ou déjà déclenchés par l’Ukraine contre la Russie ou contre un allié appelant à l’aide doit donc être survenue en évidence.
La prévention au sens de Bush, qui consiste à imposer préventivement ses propres intérêts par des moyens militaires contre un adversaire jugé potentiellement hostile, n’est à mon avis pas justifiable juridiquement et relève d’une politique de force brutale. La justification russe selon laquelle l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN au sens strict et l’élargissement de l’OTAN à l’Est au sens large menaceraient les intérêts vitaux de la Russie en matière de sécurité relève de la deuxième définition. Les crises de Cuba et d’Irak en constituent des exemples comparables pour les Etats-Unis. Concernant leur politique de sécurité, les Etats-Unis avaient sans aucun doute suffisamment de raisons qui leur interdisaient d’accepter l’installation de missiles à Cuba et, dans le second cas, d’aspirer à un changement de pouvoir à Bagdad. Le premier cas a pu être résolu par la diplomatie, le second uniquement par la force. Ce qui irrite est le fait que dans le deuxième cas, les raisons décisives de l’intervention guerrière n’ont pas été conçues comme véridiques par les cercles informés avant l’action et les reproches se sont révélés être totalement infondées. Le problème réside donc dans l’exactitude des informations sur laquelle se base la décision de prendre les armes. En dépit de l’évidence, le fait est établi que les Européens occidentaux n’ont pourtant pas prononcé de sanctions économiques contre les Etats-Unis et que peu d’occidentaux ont douté de leur honnêteté.
Or, dans cette matière, il faut partir du principe que les droits dont se prévaut une grande puissance telle les Etats-Unis doivent forcément s’accorder à n’importe quelle autre grande puissance se trouvant dans une situation comparable. En principe, celle-ci peut donc agir de la même manière préventive, en se basant sur ses propres intérêts en matière de sécurité. Le cas concret de l’Ukraine soulève donc de nombreuses questions qui, jusqu’à présent, ont largement été ignorées dans l’évaluation occidentale. Malgré l’opinion répandue selon laquelle cet acte de Moscou serait criminel et indiscutable, la rigueur méthodique nous impose trois questions à titre d’exemple:
1o Les dirigeants russes se trouvaient-ils face à la «nécessité» d’agir de manière préemptive?
Par définition, il fallait qu’une offensive ukrainienne eût été imminente ou déjà déclenchée contre la Russie.
Deux documents peuvent élucider le problème
Le 9 mars 2022, le ministère russe de la Défense a publié des documents classés secrets, récupérés auprès de la Garde nationale ukrainienne, censés prouver une attaque planifiée contre les séparatistes dans le Donbass pour le 8 mars 2022. Ces documents – malheureusement incomplets en tant qu’ensemble d’ordres, mais néanmoins suffisamment parlants pour en conclure – ont été examinés, traduits et évalués (à ma demande), par un expert reconnu. Ils proviennent du premier chef adjoint et chef d’Etat-major de la garde nationale ukrainienne. Le 22 janvier 2022, cet officier de haut rang se trouve à plusieurs postes suprêmes de commandement (dont la 4e Brigade en présence d’instructeurs de l’OTAN), d’où il ordonne, dans un premier ordre, de mettre sur pied des groupes de combat au niveau de bataillons pour accomplir des «tâches spéciales de combat» dans le cadre de «l’Opération des forces unies» (nom donné à l’opération des troupes gouvernementales ukrainiennes contre les formations armées des deux oblasts sécessionnistes). La réception de l’ordre a été confirmée.
Ce premier document est rédigé, sans erreur linguistique, dans une langue ukrainienne simple, ce qui est approprié, car l’auteur devait être conscient qu’il pouvait être lu par des officiers dont la langue maternelle était le russe. Les notes d’enregistrement sont manuscrites, conformément à la tradition soviétique. Il est étonnant de constater que le document a été écrit avec des moyens typographiques (numériques), ce qui était interdit à l’époque de l’Armée rouge ou, à partir de 1946, dans l’Armée soviétique.
Dans le cas du deuxième document, il s’agit d’un ordre du commandant de la garde nationale datant du même jour. Il est basé sur l’ordre du commandant en chef des forces armées ukrainiennes du 19 décembre 2021. Cet ordre est également classé «secret». Il ordonne également la formation de groupes de combat composés de bataillons pour renforcer les forces ukrainiennes de combat. Les mesures à prendre sont ordonnées selon un itinéraire, par exemple la prise de contact avec le commandement des troupes aéroportées en vue de la subordination des groupes de combat de bataillon jusqu’au 24 janvier, ensuite l’inspection de la logistique jusqu’au 3 février, finalement la formation à la coopération avec la 80e brigade aéroportée (Lla Br) jusqu’au 28 février au Centre de formation pour les opérations de maintien de la paix et la sécurité de l’armée à Staychi près de Lvov/Lviv.
L’ordre ne précise pas ce qu’il adviendra des groupes de combat du bataillon après le 28 février. Ce qui est certain, c’est que la 80e brigade Lla n’était pas engagée dans le Donbass à ce moment-là. Les formations supplémentaires figurant dans ces ordres sont des aviateurs de l’armée de terre avec des hélicoptères et des drones ainsi que des formations de transmission. Tout ce déploiement de forces de combat indique un engagement opérationnel important.
Evaluation
On peut exclure que ce renforcement ordonné de la force de combat des troupes gouvernementales ukrainiennes en janvier 2022 ait été la conséquence d’activités particulières des insurgés. Le Donbass était calme depuis des semaines.
On peut imaginer des mesures prises par le haut commandement ukrainien en réaction au déploiement des troupes russes à partir de fin novembre 2021. En ce sens, elles seraient légitimées en tant que préparatifs de défense.
Cependant, ce plan est à caractère offensif. Son authenticité a depuis été confirmée du point de vue russe par d’autres pièces du puzzle, capturées dans le village de Bugaévka, dans la région de Kharkiv. Tout porte à croire qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre de propagande du ministère russe de la Défense, mais il manque tout de même des éléments probants essentiels.
Face au fait que le plan d’attaque ukrainien était dirigé contre les parties sécessionnistes du pays et non contre la Russie au sens territorial du terme, deux questions consécutives s’y ajoutent.
2o Le recours au droit à la sécession est-il donné?
Le droit à la sécession débouche du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il s’agit d’un droit positif garanti au niveau international. L’article 1.1 des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966 (PIDESC) et à la Charte des Nations unies (article 1.2) le garantissent par traité sous certaines conditions (notamment qu’une majorité substantielle vote en faveur de la sécession) et il est universel. Malgré cela, il existe par exemple la doctrine allemande du droit public qui déclare illégale la sécession d’une partie d’un Etat.
Evaluation
Les différents litiges en matière de sécession (notamment Pays basque/Catalogne, Kurdistan, Taïwan) doivent tous être jugés de manière indépendante, la définition controversée de ce qu’est un «peuple» auquel revient le droit de sécession et la contestation fondamentale du droit de sécession par les spécialistes du droit constitutionnel montrent que le tout est hautement complexe et que les intérêts nationaux empêchent souvent l’application des droits invoqués.
Il me semble pourtant important de souligner le fait que, par exemple, la reconnaissance du Kosovo sécessionniste de la Serbie n’est légitimée par aucun référendum au Kosovo (seulement une décision parlementaire). Seul un jugement de la Cour pénale internationale de Justice à La Haye a confirmé le droit à la sécession des Kosovars. Ce jugement précurseur aurait dû être appliqué implicitement à la Crimée et aux deux oblasts de Donetsk et de Lougansk (dans tous les cas par le biais des référendums). Le fait que la Crimée ait été intégrée à la Russie après une demande d’adhésion et que les deux oblasts aient été reconnus après une demande par une décision de la Douma, le 22 février 2022, complique encore les choses. Le président Poutine avait longtemps refusé de franchir cette étape. L’Occident n’a jamais accepté ces deux processus et les a condamnés comme étant contraires au droit international. Dans ce cas, la légitimité a donc été jugée différemment que celle appliquée dans la question du Kosovo. Aucune justification de cette différence d’attitude de l’Occident n’a été apportée de manière impartiale jusqu’à présent.
3o Existe-t-il un droit d’intervention dans un conflit interne?
Malgré sa signature sur les documents, depuis 2014/15 (accords de Minsk), le gouvernement ukrainien n’a jamais accepté l’autonomie complète des deux oblasts en tant que partie de l’Ukraine, cette dernière étant pourtant exigée dans les documents. Il a invoqué les intérêts nationaux et les assurances contractuelles de l’intangibilité territoriale de sa nation. C’est pourquoi elle mène une guerre incessante contre les régions sécessionnistes du pays depuis huit ans. La Russie a soutenu de différentes manières la lutte des séparatistes, sans intervenir ouvertement. Contrairement au soutien dissimulé et ouvert de l’OTAN à l’armée ukrainienne sous la direction des Etats-Unis, c’est le comportement russe qui a toujours été vivement critiqué. Le 24 mars 2021, le président Zelensky a confirmé par décret l’objectif stratégique de reconquête des provinces séparatistes et de la Crimée qu’il avait déjà exprimé depuis son entrée en fonction. Suite à cela, l’armée ukrainienne a commencé à constamment se renforcer sur la ligne de confrontation. Une fois déclassifiées, les images satellites américaines doivent sans aucun doute pouvoir attester non seulement du déploiement des troupes russes, mais aussi du déploiement des troupes ukrainiennes. Depuis le 15 février 2022, les observateurs de l’OSCE ont enregistré des interférences radio intenses et des tirs d’artillerie accrus dans le Donbass, sans que cela soit dû au bombardement des positions ukrainiennes par les séparatistes (15 février 41; 16 février 76; 17 février 316; 18 février 654; 19 février 1413; 20-21 février2026; 22 février 1484). De nombreuses nouvelles victimes se sont ajoutées aux 15 000 victimes civiles et aux destructions des huit années précédentes. En Occident, aucune protestation ne s’est élevée, malgré la signature des accords de Minsk.
En fait, le 24 février 2022, les formations ukrainiennes n’ont pas eu besoin d’être transportées des profondeurs de l’espace sur le front est. Les formations d’attaque ukrainiennes du premier escadron étaient prêtes sur la ligne de confrontation avec le Donbass (14-15 brigades mécanisées).
Le dispositif de l’armée ukrainienne n’a guère changé depuis 2019. Les troupes ont certes été partiellement remplacées, de sorte que les numéros de formation pour février 2022 doivent être considérés avec certaines réserves, ce qui n’enlève rien à la pertinence du déploiement.
Cette concentration de troupes n’a pas échappé aux services de renseignement russes et le danger qui se profilait a été porté à la connaissance des lecteurs, par exemple dans la «Komsomolskaïa Pravda» du 9 au 15 février, selon quatre scénarios possibles. D’importantes évacuations de la population civile ont été effectuées.
Le 24 février 2022, deux éléments supplémentaires sont venus s’ajouter: l’appel à l’aide des deux républiques reconnues par la Russie et l’intervention pour des raisons humanitaires.
En venant au secours des deux républiques face à l’imminence d’une défaite militaire, le président Poutine a apporté une aide d’urgence. De son point de vue, l’aide conventionnelle a fait fi de l’interdiction d’intervention du droit international. Avant de décider de l’opération dite «spéciale», il a souligné à plusieurs reprises qu’il fallait éviter un «Srebrenica» au Donbass.
Il s’est appuyé sur les événements des huit dernières années (notamment à Marioupol) sur les intentions d’attaque ukrainiennes déclarées et sur les préparatifs d’attaque établis sans aucun doute par les services de renseignement, et surtout sur la réalisation documentée de la menace d’extermination des Russes ethniques par le «Secteur droit», exprimée à plusieurs reprises au cours des huit dernières années (notamment «Les Russes sont des animaux brutes, ils doivent être éliminés», Dmitri Ianoch).
Valorisation
Etant donné que les républiques sécessionnistes ont appelé la Russie à l’aide militaire en état de légitime défense, conformément au droit international (art. 51 de la Charte de l’ONU), la question cruciale est de savoir si une puissance extérieure est autorisée à intervenir dans tous les cas dans un conflit interne d’un Etat sur la base d’un appel à l’aide. Le problème est au moins aussi complexe que les questions précédentes. L’expérience historique montre que les «appels à l’aide» peuvent également être construits par l’agresseur. Il est tout à fait possible de faire à nouveau une comparaison avec la guerre du Kosovo. La dispute reste controversée de savoir si la justification américaine selon laquelle on aurait voulu empêcher un génocide et on aurait été appelé à l’aide par les Kosovars voués à la mort, résiste à l’examen objectif (v. ASHSM, Bulletin annuel 2023, à paraître en septembre 2022). Le même soin d’appréciation devra être appliqué au cas du Donbass, à moins que l’on considère que lorsque deux personnes font la même chose, ce n’est jamais la même chose. Il faudrait également tenir compte du fait que les frappes aériennes menées par l’OTAN contre la Serbie visaient avant tout des installations civiles afin de briser la volonté de résistance de la population. Cela n’a guère entraîné de protestations internationales ni de sanctions économiques contre les pays de l’OTAN. Le 3e corps serbe au Kosovo n’a pas été inquiété. La conduite du combat russe en Ukraine devrait être analysée de la même manière sans réserve. La même exigence concerne la partie ukrainienne. Entre-temps, Amnesty International a fait les premiers pas dans cette direction et a découvert des résultats effrayants.
Deux questions en suspens
1o Je me demande pourquoi les aspects évoqués de la guerre préventive et les actions passées et actuelles comparables des Etats-Unis n’ont jusqu’à présent guère été employées par la Russie à des fins de propagande. Même si les publications dans les médias russes ne sont pas prises en compte à l’Ouest ou sont délibérément réprimées, ils auraient des possibilités. Ce faisant, le gouvernement de Moscou devrait alors déclarer ouvertement ses véritables objectifs stratégiques. Il faudrait expliquer la portées des notions «de démilitarisation et de dénazification» de l’Ukraine. Il faudrait notamment déduire de manière rigoureuse ce qui justifie une attaque intégrale contre un Etat souverain, une tentative de renverser son gouvernement et de fileter le pays, plutôt qu’une intervention limitée en faveur de sécessionnistes harcelés. Si l’intervention ouverte de la Russie s’était limitée aux deux oblasts du Donbass après le déclenchement de l’offensive ukrainienne, la réaction de l’Occident aurait probablement été différente. Ce delta de proportionnalité est en tout cas irritant. Il reste ainsi la crainte empoisonnée de l’Occident, et en particulier de la zone intermédiaire Est que Moscou veuille ramener tous les territoires perdus de l’ancienne Union soviétique «chez eux». L’«opération spéciale» alimente la traditionnelle «image de l’ennemi» appliquée sur Moscou par l’Occident et empêche la reprise de la discussion lancée dans les années 1990 sur une zone de sécurité européenne allant de l’Atlantique à l’Oural, entre partenaires égaux et saturés. En contrepartie, l’objectif stratégique des faucons américains de marginaliser la Russie sur le plan de la politique de puissance devrait céder la place à une alternative de partenariat. La conclusion logique selon laquelle l’Ukraine mène une «guerre par procuration» pour des intérêts cachés de l’OTAN serait alors sans objet. Il s’ensuivrait une remise en question des relations transatlantiques et de la vassalité actuelle de l’UE, mais aussi une réflexion sur la politique des dirigeants ukrainiens vis-à-vis de leur population. Cette esquisse du problème montre à elle seule la complexité de la situation et que le jeu aux cartes cachées et aux mensonges des deux parties ne peut pas conduire à une entente pacifique durable, mais plutôt, dans le cas extrême, à une autodestruction nucléaire.
2o Je me demande également pourquoi l’article de la NZZ du 20 août 2022 mentionné ci-dessus est annoncé de manière aussi criarde par un journal libéral qui se veut objectif: «La guerre en Ukraine a arraché les Européens à leurs rêves florissants d’une nouvelle ère éternelle de raison, de dialogue et d’équilibre. Ils doivent désormais faire face à une douloureuse leçon de reconquête du politique.» Le texte est par la suite formulé de manière plus nuancée, mais il accorde une grande place aux réflexions bellicistes de «nombreux contemporains» sans les évaluer. C’est ainsi que des phrases frappantes se pressent sous les projecteurs, telles que: «La guerre a apporté une immense clarté dans les idées. On sait désormais où se trouve l’ennemi.» «On ne se lie pas intimement avec l’ennemi». … Le «juriste couronné» du Troisième Reich, Carl Schmitt, évince malheureusement tout propos relativiste en affirmant que la relation ami/ennemi serait la détermination centrale de toute action politique. Face à cela, la critique est placée très discrètement: «L’adversaire auquel on peut encore accorder des intérêts négociables devient un criminel, un réprouvé, un barbare, un ennemi absolu qui ne doit pas être vaincu, mais détruit, du moins puni pour le mal qu’il a fait. Cela suppose non seulement un point de vue moral supérieur, mais aussi et surtout la conquête d’un monopole du pouvoir et de la violence auquel on ne peut plus rien opposer. Reste à savoir si cela serait un état souhaitable.» Ainsi, les constatations fascistes restent en grande partie sans valeur: seule la diabolisation des négationnistes du climat conduirait à une politique climatique efficace et la mise au ban de la société des xénophobes et des racistes permettrait une politique migratoire responsable.
En toute logique, faire taire ceux que l’on dénomme, de manière polémique «ceux qui comprennent Poutine» (Putin-Versteher) est la défense efficace de sa propre communauté de valeurs et la légitimation d’une politique étrangère correcte. Mais il s’agit là d’emblée d’idées national-socialistes, et les interdictions de représentation de compositeurs russes, les interdictions de livres russes en Ukraine et les interdictions d’entrée prévues pour les citoyens russes en détention clanique montrent où mène cette image d’ami/ennemi. L’écrivain Ilyïa Troïanov l’a, à mon avis, bien dit dans son discours d’ouverture du festival de Salzbourg: «Le nationalisme mène à la guerre et embrouille la pensée.»
Conclusion
J’ai essayé de montrer la voie de l’analyse historique objective avec l’approche de la thèse de la guerre préventive et les domaines problématiques qui en découlent. Bien entendu, il est trop tôt pour le faire de manière exhaustive, car nous n’avons pas accès aux sources pertinentes. De plus, je n’en vois pas l’opportunité pour le moment. Les positions des deux parties sont trop figées et ce conflit a fait beaucoup trop de victimes jusqu’à présent. Si l’on ne veut pas que la guerre se poursuive jusqu’à la défaite de l’un des deux camps ou jusqu’à l’épuisement des deux parties, je pense qu’il faudrait qu’une personnalité appropriée sonde les deux belligérants pour savoir s’il existe une marge de manœuvre politique pour des négociations préliminaires et s’il y a une chance pour des négociations ultérieures. Mais pour cela, il faut des signes de bonne volonté de la part des deux parties. Il me semble notamment que la politique américaine détient les principales clés de la solution. Même s’il est trop tôt pour procéder à une analyse historique, il n’est jamais trop tôt pour s’écarter du schéma «Les Bons ici – les Méchants là-bas» et pour reconnaître que même les borgnes voient, mais que ce qui leur manque, c’est le sens de la profondeur du champ.•
(Traduction Horions et débats)
Le professeur Dr. phil. Hans Rudolf Fuhrer est né en 1941. Il a été enseignant à tous les niveaux scolaires, dernièrement dans l'enseignement et la recherche à la formation des enseignants du secondaire/Université de Zurich (SFA) jusqu'en 1990, ensuite à l'Académie militaire/EPF de Zurich et à l'Université de Zurich jusqu'en 2006, depuis lors dans les universités du troisième âge/universités populaires de Lucerne, Winterthur et Zurich. Il est membre d’honneur de l’Association suisse pour les voyages d'études en histoire militaire (ASHSM). Diverses publications, principalement en histoire militaire suisse. Colonel en retraite, en tant qu’officier de milice, commandant en dernier lieu d'un régiment d'infanterie motorisé. (Adresse de contact: Juststrasse 32 CH-8706 Meilen, hansrfuhrer@bluewin.ch)
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