L’ancien secrétair genéral du PS suisse préconise un débat «plus sensé»

ts. Strahm constate en Suisse une patente fissure et aliénation entre, d’une part, les «élites académiques» et les professionnels qualifiés de l’autre, surtout ceux du domaine de l’économie privée. Selon lui, cette fissure qui traverse la société ne s’explique ni au travers du «vieux schéma de classes antagonistes ni par le montant des revenus». Et il rajoute: «Beaucoup de gens ne se rendent pas compte de cette fissure se creusant pourtant continuellement davantage.» Celui qui émet cette critique est Rudolf H. Strahm, Conseiller national (1991–2004) et ancien secrétaire général du parti socialiste suisse (1978-1985). Strahm connaît les deux bords du fossé social qui est actuellement en train de se creuser à nouveau. Après son apprentissage de laborantin en chimie, il a accompli les études universitaires dont il est sorti diplômé en économie publique.
    C’est surtout grâce à ce contexte de vie personnelle que Strahm s’engage, depuis des décennies, en faveur de l’estime plus accentué envers la formation professionnelle, très appréciée à l’étranger d’ailleurs. C’est un respect qu’il faut sauvegarder soigneusement: «En Suisse allemande, 63 pourcent de la population active suivent d’abord un apprentissage, suivi souvent d’une formation continue tertiaire. Si la Suisse fonctionne toujours, c’est grâce à ces gens formés essentiellement par leur apprentissage professionnel.» L’importance de la formation professionnelle économique ainsi que sociale ne fait que renforcer, selon lui, la paix intérieure.
    Pour quelles raisons? Voici donc la réponse sans ambages de l’ancien président du parti socialiste suisse: tous les partis en Suisse, incluant son propre parti sont devenus beaucoup trop élitistes par rapport au «peuple». Pour lui le changement de pensée est incontournable. Il faut décidément s’éloigner d’une «politique d’identité» mal comprise pour s’approcher de celle promouvant le sens commun. Cela implique de réserver du respect envers le camp adverse aussi: «Les gens qui militent sur le sujet du genre, la couleur de la peau et le climat, se recrutent avant tout dans le milieu des universités. Ils mettent au centre de leur action la prise en compte de la diversité, des fois à l’excès. Ils ne se rendent pas compte, isolés dans leur propres bulles mentales de leur conception du monde à eux, que les gens, après leur gym hebdomadaire et autour de leur table réservé au bistrot, se moquent d’eux.» Malheureusement, du côté adverse, «beaucoup d’ouvriers qualifiés ont l’impression qu’il incombe à eux seuls de fournir le rendement garantissant le fonctionnement de tout». Selon Strahm, cela devrait nous amener à construire des ponts. Par exemple en revivant le débat honnête sur les sujets qui importent pour de vrai – par exemple en remplaçant les disputes voués au problème de la langue correctement adaptée selon la politique du «genre» par celles ayant comme sujet l’explosion du coût de vie omniprésente. Pour cette raison Strahm revendique également la contribution des médias soutenant souvent la tendance contraire.
    Dans ce contexte, Strahm revient à l’histoire suisse, qui a mené à une guerre civile suisse, heureusement de courte durée et avec des pertes de vies en nombre restreint et des destructions minimales, la «Guerre du Sonderbund» (alliance à part). Strahm met l’accent sur ce que nous nous trouvions aujourd’hui défiés « à renouer avec une politique d’identité comme la Suisse n’en a vécu peut-être qu’une fois, au 19e siècle lorsque les libéraux et les catholiques-conservateurs se sont retrouvés face-à-face, en ennemis jurés». Strahm rappelle de droit comment grâce à l’attitude réfléchie de personnalités comme le général Henri Dufour, commandant en chef des troupes fédérales menant l’intervention militaire contre le Sonderbund, le fossé n’a pas pris les dimensions irréconciliables. Il mentionne l’incroyable perspicacité de nos ancêtres d’intégrer les vaincus avec respect dans le jeune Etat fédéral, devenu la Suisse en 1848, un an après ces événements, et les réconcilier avec le fédéralisme en leur accordant, plus tard, un siège au Conseil fédéral. Strahm ne peut que constater à quel point nous nous sommes éloignés de ces qualités constructives, quand il affirme: «Aujourd’hui l’identité et la diversité sont thématisées jusqu’à l’excès, et les médias, sociaux et autres, ne font que le renforcer. Les problèmes réels, économiques et sociaux, sont éclipsés.» Pour lui, cette politique court le danger d’approfondir la méfiance envers l’Etat dans de larges couches de la population – avec comme effet qu’elles se sentent tout simplement laissés pour compte. Strahm ajoute: «Il importe qu’au Conseil fédéral se trouvent aussi des gens n’ayant pas fait d’études mais doués d’intelligence pratique, avec du bon sens, parlant un langage compréhensif et capables d’offrir le sentiment d’identité également à ces couches de population.»
    Strahm ne serait pas Strahm s’il ne s’attaquait pas à un autre sujet, brûlant pour son parti et lié à la notion d’immigration. Il est essentiellement lié à celle de la «polarisation dans notre paysage politique des partis». Strahm l’illustre par la vitesse avec laquelle des débats sérieux sur les questions urgentes sont bloqués, en recourant à l’argument qu’ils seraient «proches de l’UDC». Depuis le début des années nonante (1990), le PS vivait selon la devise simpliste que «poursuivre une politique de gauche c’est faire le contraire de Blocher». Pour Strahm, cette polarisation a empêché toute approche pragmatique de sujets délicats.» Ainsi les «gens modérément inquiets envers la migration» avaient été réduits au silence. La même chanson pour les débats sur l’UE: «Lorsqu’un nouvel accord nous sera présenté proposant de soumettre les litiges qui persistent à la Cour Européenne il sera voué à l’échec avec garantie. Ce serait carrément le «no go»!
    Chacun peut connaitre la même chose dans sa propre vie! Des débats avec des collègues de travail, des amis, etc. qui s’arrêtent brusquement avec le seul argument décisif: «Mais c’est du Blocher ce que tu racontes!» Et souvent, dans de pareilles situations, on a pu entendre  l’aveu silencieux: «Dans le fond, je suis de ton avis, mais je ne veux pas donner l’impression d’être proche de l’UDC.»

La mise en garde de Strahm de se tenir aux faits dans les débats qui nous concernent tous, indépendamment de l’appartenance à un parti, mérite d’être regardé de plus près. Il lui convient d’autant plus de considération en ces temps difficiles et dans une situation où le débat public suisse doit se pencher de nouveau sur la question comment gérer notre neutralité. Il serait bien de se rappeler les paroles d’un des membres du comité d’initiative pour la neutralité, René Roca, historien hors parti et directeur de l’Institut de recherche sur la démocratie directe (FIDD). Lors de la conférence de médias des initiateurs à Berne, Roca a insisté sur le fait que cette initiative n’était pas celle de l’UDC et qu’il avait rejoint le comité, en tant que citoyen indépendant et n’appartenant à aucun parti politique, puisqu’il préconisait lui-même l’idée de procéder par une initiative. 
    Des débats se tenant aux faits au lieu des escarmouches idéologiques ne contribuent pas seulement à assurer les débats sérieux et engagés dans le fond mais également ceux marqués par le respect démocratique, dû à l’opinion adverse sous condition qu’elle soit honnête. C’est ce genre de débats politiques, se soldant souvent dans des résultats propices émanant de votations populaires, qui ont apporté à la Suisse des acquis durables, plus durables que ceux basés uniquement sur les opinions des conseillers « experts», modèle qualifiant tout procédé politique imposé par le centralisme des instances, malheureusement souvent celles de Bruxelles aussi. Il s’agit là d’un acquis récemment scientifiquement affirmé également de la HSG de St. Gall (université spécialisée sur les domaines proches du commerce), qui a dû résumer un projet de recherche dans le sens présenté ci-dessus, peut-être à contrecœur.

Source: Interview avec Rudolf Strahm, Neue Zürcher Zeitung du 18/11/22

 

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