La Suisse est neutre – ou bien ce n’est plus la Suisse

par Erika Vögeli

Depuis plus de 30 ans, on assiste à ce que certains cercles s’affairent à réorienter le système politique suisse. Sans mandat du peuple, sans discussion préalable, ils ne cessent de tout miser sur la transformation de notre conception de l’Etat. Il suffit de comparer le «Rapport sur la politique extérieure» du Conseil fédéral de 1988 avec la politique menée à partir du début des années 1990 pour constater que l’écart ne pourrait être plus grand. En 1988, une prise de position limpide en faveur de la Suisse, pays de démocratie directe avec sa neutralité; réaffirmation de principe que ces deux éléments préalables ne permettent pas l’intégration de la Suisse dans l’UE, son rapprochement à l’OTAN ou à d’autres organisations internationales qu’au prix de sa perte d’autonomie. Tandis que depuis les années 1990, il a un arrosage permanent de la Suisse d’un potpourri de reproches défaitistes du genre que notre pays ferait des caprices à «choisir ses menus à la carte», (le fameux «cherry picking»), manquerait «de solidarité», dorloterait ses «idées dépassées» et enfermerait «dans ses mythes désuets». Le slogan du 700e anniversaire de la Confédération en 1991, «700 ans, ça suffit!» affichée de la mouvance sub-culturelle, se révéla ensuite être au programme.

Les tenants et les aboutissants des vagues destructives

Ce mitraillage médiatique et politique contre l’identité suisse s’est intensifié avec la chute du rideau de fer, la fin de l’URSS et l’ivresse jubilatoire des élites américaines au pouvoir lorsqu’elles se félicitèrent de leur «victoire» dans la Guerre froide, de la «fin de l’histoire» et de l’avènement de l’«âge d’or» de régie américaine autoproclamé. George H.W. Bush annonça un «nouvel ordre mondial», de concert avec la planification du «nouveau siècle américain» dans lequel les Etats-Unis consolideraient leur supériorité militaire jusque dans les sphères les plus éloignées des régions du monde.
    Tout cela a également eu son impact en Suisse. Certains représentants influents du domaine politique et économique et des médias semblent avoir été tellement impressionnés de cette mégalomanie qu’ils s’empressaient à ne pas manquer ce «train de l’histoire». Sous le mot d’ordre «repenser l’Etat», pour reprendre les termes d’une grande manifestation organisée à Berne à l’époque, des milieux administratifs ont imposé à la Suisse leur doctrine de réformes qui ne s’orientait pas sur nos besoins, mais notamment sur les directives d’institutions internationales comme l’OCDE et l’UE.
    Alors l’élan «réformiste» prenait de l’ampleur. On a réécrit l’histoire, on a hurlé et pesté contre tout ce qui avait été fait jusqu’à présent, souvent avec le seul argument que ce qui avait fait ses preuves avait une grosse faute: celle ne pas être de l’innovation. On répétait à chaque occasion que la Suisse se trouvait dans un «blocage de réformes» – sans pourtant se demander si et pour quelle raison la chose ayant présumément besoin d’être réformée nécessitait son abolition pour du vrai et sans faire appel à l’expérience et au discernement pour évaluer un peu les conséquences de toutes ces «nouveautés» et de ces bienfaits dictées du «nouvel ordre mondial».
    L’Etat et tous les domaines du service public, tenus de servir le bien commun et qui fonctionnent bien en grande partie, devaient devenir économiquement rentables et «efficaces». Sous la devise de «l’amaigrissement de l’Etat», on a commencé – non pas en Suisse seulement – à transformer l’Etat en bureau exécutif d’entreprises à réseau mondial (mot-clé: privatisation du secteur public) – en réalité, cette procédure aboutissait à ce que le corps administratif ait subi une cure d’engraissement. Les réformes se faisaient de plus en plus par le biais d’actes administratifs et de campagnes telles que les «ateliers du futur» et autres, au lieu de les baser sur le processus éprouvé de la démocratie directe.
    Le système de santé – considéré jusqu’alors comme l’un des meilleurs au monde – a été mis sens dessus dessous. On a commencé à réformer les écoles, sous prétexte de les mettre au service de «l’économie», et on a ruiné notre excellente école publique à l’ombre d’elle-même, de sorte que la Suisse va probablement bientôt manquer de la seule ressource sur laquelle elle s’est appuyée pendant des décennies, à savoir son solide système éducatif publique, car quelques super-élèves ne peuvent pas compenser ce qu’une large et bonne base éducative signifie pour une économie saine et une démocratie vivante. On a bradé l’argenterie de famille – soit à la bourse ou en adoptant des méthodes de gestion américaines – pour finalement se montrer étonné du peu d’intérêt que les grands investisseurs étrangers portaient à notre petite économie nationale. Contre la volonté du peuple, par exemple dans le domaine de l’approvisionnement en électricité, on a également commencé à grignoter le service public. Dans différents partis politiques, l’avidité de remplacer le processus traditionnel d’arriver à ses choix démocratiquement, au sens du bas vers le haut, par son contraire, la tendance au pouvoir centralisé, s’est répandu vite dans la plupart des partis suisses influents.

Rapprochement de l’OTAN et «débat» sur la neutralité

Et l’on a commencé à rapprocher la Suisse à l’OTAN, étape par étape, en essayant de faire perdre à la population suisse son sens de la neutralité. Les porte-paroles de l’adhésion suisse à l’alliance européenne et atlantique n’y aboutissèrent pas vraiment – la population s’est toujours exprimée trop nettement en faveur du maintien de la neutralité, celle-ci étant trop ancrée dans les sentiments et les pensées dans la conception globale de l’Etat, dans l’existence même de la Suisse. Donc, on s’est mis à vendre la stratégie de désintégration comme étant parfaitement compatible avec la neutralité. En lieu et place d’un débat honnête sur le sujet, on s’est servi des méthodes de relations publiques, d’une guerre psychologique avec diffamation et dénigrement. On prétend exiger la solidarité – et on dissimule tant bien que mal le fait que l’on s’aligne docilement sur les exigences et les menaces face aux attaques transatlantiques présomptueuses. Rappelons-nous l’affaire autour du Crédit Suisse.
    Hormis les plus grossières attaques, la discussion publique se limite à un débat pseudo-intellectuel sur quelques aspects juridiques formels concernant la neutralité suisse. En politique et dans les médias, la question principale est de savoir quelle interprétation donner au droit de la neutralité, garanti au niveau international. Ce n’est pas seulement une mauvaise justification pour la soumission embarrassante aux exigences d’un prétendu hégémon mondial en déclin et de sa filiale à Bruxelles. Ce qui plus est, ce débat oriente la réflexion dans une direction totalement erronée, car elle ignore l’essence, le véritable sens de la neutralité suisse.

La neutralité suisse – autre chose que les droits et obligations du droit international

Au cours de l’histoire, celle-ci n’a pas simplement résulté de l’application conforme de droits et d’obligations définis par le droit international. Elle est plus qu’une maxime de politique étrangère, décrite par le droit international, plus qu’un principe reconnu en 1815 par les puissances européennes de l’époque. Bien plus: c’est un principe de base qui s’est développé de manière organique avec la quête et l’essence de notre Etat fédéral, c’est-à-dire le principe de la raison d’être de notre Etat, organiquement liée à notre histoire. L’histoire nous a pour ainsi dire «éduqués» à la neutralité. Sans l’application de ce principe, l’Ancienne Confédération n’aurait jamais pu se maintenir au fil des siècles et ne serait jamais devenue l’Etat fédéral dont nous fêtons, cette année, ses 175 ans d’existence.
    Ce n’est pas tant la «sage prévoyance» qui a poussé nos ancêtres à se donner le statut de la neutralité de principe, mais plutôt les nécessités historiques et les leçons souvent difficiles qu’ils nous ont imposées. Ce qui les a guidés – souvent de manière plutôt intuitive, était l’objectif intemporel et jamais abandonné, car fondamentalement humain: le maintien de la liberté concédé avant tout à la petite unité, qui a également été préservée plus tard, sous la forme de l’Etat fédéral suisse moderne. Issue de l’alliance voulue et développée par contrat avec les autres cantons, la Constitution fédérale de 1848 préserve avant tout la liberté communale et, avec le fédéralisme suisse, la large autonomie des cantons. Ceux-ci disposent de plus de droits souverains que ceux qu’offre maint statut d’autonomie concédé à d’autres pays. En plus de la démocratie directe fonctionnant également au niveau communal déjà (sous forme de votation populaire directe et des moyens de référendum et d’initiative dont jouit le citoyen), la constitution de la Suisse en Fédération a ancré et développé les possibilités qu’offrent la démocratie directe, dans son degré maximal de participation du citoyen, pour lui donner d’avantage d’impact sur les niveaux cantonal et fédéral aussi.

La volonté de liberté, une force motrice

Cette structure de l’Etat, qui s’est développée de bas en haut et qui nous a permis – ceci dit en toute modestie – de jouir d’un maximum de liberté et de participation aux décisions, de régler de manière civilisée les conflits et les divergences d’intérêts, n’aurait pas pu se développer sans le principe de neutralité qui s’est toujours imposé. Ce qui fait que cette neutralité est aussi, à l’inverse, l’expression d’une histoire dans laquelle, en fin de compte, la volonté de préserver la plus grande liberté possible au citoyen a toujours trouvé sa voie.
    Ainsi, la neutralité suisse est issue d’une histoire dans laquelle le besoin fondamental naturel de tous les êtres humains, à savoir le désir de liberté et d’autodétermination, a été une force motrice. Mais ceci non pas dans la variante individualiste actuelle, qui part souvent d’un individu totalement (pseudo)indépendant, aspirant à la pure performance de soi, détaché de toute responsabilité envers ses semblables. En tant qu’être humain, l’individu est en premier lieu membre d’une communauté sans laquelle la vie humaine ne serait pas concevable. C’est en vertu de cette nature sociale caractérisant l’homme que sa liberté ne se réduit pas à ne faire que ce qu’il veut sans tenir compte de tout et de tous. En effet, il  est censé développer ses capacités et son potentiel humain en vue du bien-être de cette communauté. Il doit les apporter et participer à la vie en commun, la façonner là où il est concerné, car c’est là que réside sa dignité, la dignité de l’homme.
    Le principe coopératif de l’entraide, de la responsabilité personnelle et de l’autogestion – que l’on peut d’ailleurs observer historiquement et actuellement dans le monde entier et que l’on pourrait tout à fait qualifier de constante anthropologique – est en quelque sorte la forme d’organisation pré-étatique de la cohabitation humaine. Elle  ne doit aucunement servir le pouvoir absolu, mais tous les membres de la communauté et leur vie, c’est-à-dire l’individu tel qu’il est, et ceci bien avant toute constitution étatique. Pouvoir préserver cette liberté de tout un chacun, dans son propre cadre, était le motif essentiel de l’alliance primitive et volontaire des Confédérés, consistant en fait en de nombreux et différents traités d’alliance dont l’expansion se fit au cours des siècles. Ce sont ces leçons historiques qui ont dû être apprises de nos populations: l’expérience que cette liberté était toujours menacée et que son maintien exigeait un compromis qui allait de pair avec le renoncement à une politique d’intérêts trop unilatérale ou égoïste.
    Il fallait prendre conscience qu’une structure aussi variée et souple qu’a été l’ancienne Confédération pendant des siècles ne pouvait être maintenue que si l’on respectait l’autodétermination des autres Confédérés: la liberté propre à un ancien canton ne pouvait être obtenue que si l’on n’empiétait pas trop sur celle des autres. La neutralité, pour ainsi dire, a donc une dimension essentiellement intérieure.

La liberté a besoin du principe «Le droit devance la contrainte»

Mais la liberté de cette alliance, et donc la possibilité d’autodétermination de ses membres, n’a pu être préservée durant toute cette période qu’à la condition d’avoir su  éviter l’accaparement des différents membres de l’alliance  par les grandes puissances environnantes. La confédération précaire, née de la volonté d’une autodétermination aussi large que possible de chacun de ses membres devait toujours se prémunir contre les tentatives de les tirer dans leur champs, sollicitude permanente exercée contre leur autonomie par les grandes puissances environnantes. L’existence de l’alliance dépendait essentiellement du règlement, dans la mesure du possible, de ses conflits internes, et ceci au travers,  s’ils existaient, des dispositions juridiques, des négociations, des traités ou des tribunaux d’arbitrage. Ce n’est pas un hasard si l’arbitrage, en tant que mécanisme de règlement des conflits entre les membres de la Confédération, et le refus de la juridiction étrangère ont été inscrits dès le début dans le Pacte fédéral – la reconnaissance du principe «Le droit devance la contrainte» s’étant imposée en tant qu’élément impératif de sa survie. Elle imposait aux membres de la Confédération l’attitude de retenue dans l’expression de leurs conflits d’intérêts, et ceci précisément dans le but de préserver l’alliance commune pour contrer les ambitions de grande puissance de leurs voisins.
    Parallèlement, l’interdiction de pactiser avec des puissances étrangères sans l’accord de tous les autres cantons ou «lieux» («Orte» comme s’appelaient les cantons actuels dans le passé), s’est développée. Le mot devenu fameux de Nicolas de Flue «Ne vous emmêlez pas dans les affaires étrangères» s’avérait dans toute son essence de principe pour la cohésion, car les affaires des autres auraient inévitablement conduit à des dissensions et à des conflits internes en raison des différents partis pris. Seule la subordination de la politique extérieure à la politique intérieure nous a permis de développer et de maintenir jusqu’à aujourd’hui toutes les institutions libérales que nous apprécions tant.
    En d’autres termes, «l’éducation par l’histoire» favorisant le compromis et la résolution contractuelle des conflits d’intérêts a marqué la politique intérieure – mettant la politique extérieure au service de la politique intérieure, faisant de l’Etat l’instance dépositaire de la liberté de l’individu et de la communauté dans laquelle nous vivons, et lui imposant ainsi ses limites nécessaires. De là s’est développée – en quelque sorte comme une valeur d’expérience et un effet concomitant des leçons historiques reçues, mais jusqu’à aujourd’hui bien trop peu conçue et réfléchie – une certaine attitude envers l’Etat. Wolfgang von Wartburg a dénommé cette attitude fondamentale suisse par la notion d’«humanisme politique».1 C’est en effet cette attitude fondamentale qui nie toute fin en soi de l’Etat, mais le renvoie à la tâche ultime de toute formation et organisation communautaire: la création des conditions nécessaires au libre développement de tous les hommes qui y vivent. La politique de puissance, voire la politique de grande puissance, la domination des autres, l’ingérence dans leurs conditions et leurs modes de vie ne font définitivement pas partie dans cette conception de l’Etat.  La forme de démocratie directe telle qu’elle s’est développée en Suisse en est l’une des expressions – la seule forme démocratique concevable dans les principes, à condition que le citoyen soit majeur. Cela ne garantit évidemment pas la cohabitation sociale parfaite. Le fait que la forme réelle de cet Etat n’ait jamais correspondue à l’idéal, ni historiquement, ni actuellement, est due à l’évolution de l’homme et de l’histoire de l’humanité.

Cette neutralité, source de liberté et de solidarité entre les citoyens

Cette «subordination de la politique extérieure à la politique intérieure» n’a toutefois rien à voir avec l’isolement ou le désintérêt pour le sort des autres. Tout d’abord, pour l’Etat de droit réel et ainsi respectant les principes du droit international, il n’existe guère de politique étrangère autre que celle de neutralité. La préservation de la paix et de la liberté des citoyens, la protection de sa propre population, la promotion de leur bien-être commun – voilà donc ce qui donne à l’Etat sa légitimité. En Suisse, la neutralité comme raison d’être en tant qu’Etat n’a de toute façon rien à voir – ils sont nombreux à le souligner à maintes occasions – avec la neutralité d’opinion imposée aux citoyens. Au contraire, comme l’a déclaré le conseiller fédéral Max Petitpierre en 1948, à l’occasion du centenaire de la Confédération suisse, en rappelant ceci: «La Suisse a toujours refusé à une neutralité morale. Elle a toujours considéré qu’il n’y avait qu’une neutralité de l’Etat, dont les limites sont déterminées par le droit et qui, dans une démocratie, ne s’étend pas aux individus, dont le jugement personnel reste intact.»2 C’est précisément l’obligation de neutralité de l’Etat en matière de politique extérieure qui lui impose les limites nécessaires en politique intérieure, précisément pour préserver l’usurpation de pouvoir et l’arbitraire. En revanche, nourrir les ambitions d’une grande puissance ainsi que l’adossement à une grande puissance conduisent tôt ou tard à vouloir influencer et orienter la pensée, la liberté d’opinion et de parole des citoyens dans le sens des aspirations de l’hégémon.
    La neutralité de l’Etat exigeant la stricte impartialité vis-à-vis de tous les belligérants, ne restreint en rien les sentiments et les pensées de ses citoyens – en tant que concitoyens libres, ils peuvent témoigner de leur solidarité avec n’importe qui. Le juriste suisse Emer de Vattel (1714-1767), qui, comme le fait remarquer Pirmin Meier, «s’est distingué bien avant Pictet de Rochemont comme théoricien de la neutralité intégrale de la Confédération»,3 exprima ainsi ce lien: «Je suis né dans un pays dont l’âme, la richesse et la loi fondamentale sont la liberté. Par ma naissance, il m’est donc donné d’être l’ami de toutes les nations.»4
    La véritable solidarité exige cette liberté. La soumission à une grande puissance, l’intégration dans un bloc militaire l’étouffent inévitablement. C’est la neutralité qui a permis à la petite Suisse de devenir une «grande puissance diplomatique» pendant la Seconde Guerre mondiale5 – la confiance dans la neutralité inconditionnelle, intégrale et armée qui, dans de nombreux pays différents, ennemis les uns des autres, a permis aux diplomates suisses et aux représentants du CICR d’agir discrètement, mais efficacement sur le plan humanitaire en faveur d’innombrables individus. De telles interventions constituent une véritable politique de paix: même si elles passent sans influencer la guerre, elles laissent des traces d’humanité qui vont au-delà de la guerre, en rappelant à tous ceux qui les vivent le meilleur côté de l’humanité, ce qui fait que l’individu reste vraiment humain.
    Au lieu de minimiser la Suisse et sa neutralité et de les dénigrer de manière défaitiste, nous ferions mieux de les repenser en fonction de leur contenu et de leur potentiel pour un monde plus humain et plus pacifique.

La neutralité – fondement
préalable à la démocratie directe

Mais avant tout, nous devons nous rendre compte que la Suisse, en tant que pays de démocratie directe dans lequel nous avons réalisé un maximum de possibilités de participation et d’organisation politique, ne peut pas continuer à exister sans neutralité. Dans une perspective historique, en envisageant toute l’évolution de la neutralité suisse depuis les débuts jusqu’à aujourd’hui, l’abandon de la neutralité signifierait en effet pour la Suisse l’abandon de sa propre identité et ainsi la fin de la Suisse telle qu’elle existe aujourd’hui. Bien sûr, elle pourrait continuer à exister en tant que territoire ou unité administrative d’une UE ou en tant que régions allemandes, françaises ou italiennes, en forme de partie d’un bloc puissant.6 Mais en tant que modèle autonome, ayant évolué historiquement de bas en haut et s’étant affirmée au cours des siècles comme ligne de défense contre les allures revendicatives des grandes puissances, elle n’est pas concevable sans sa neutralité. La neutralité est un élément central qui a permis, dans sa démocratie directe fédéraliste fonctionnant de manière subsidiaire de bas en haut, à la structure étatique suisse de rester à la «portée de l’homme» qui, parmi les multiples formes d’organisation étatique existantes, lui permet de répondre au mieux à ce qui correspond à la nature humaine. Préserver ce modèle «en tant qu’aiguillon permanent contre la ruée monétaire qui pousse la politique de grande-puissance», c’est là que se montre la vraie solidarité avec les nombreuses peuples se trouvant en détresse dans ce monde unique qui est le nôtre, tout cela ensemble avec une contribution hautement sensée en faveur de la paix mondiale.

1von Wartburg, Wolfgang. Geschichte der Schweiz.
p. 247
2V. Max Petitpierre, ds: Schweizerische Demokratie 1848–1948. Hundert Jahre Schweizer Bundesstaat (passage cité souligné dans l’original).

3Meier, Pirmin. Ein Plaidoyer für Schweizer Philosophen. Dans : Hirt, Walter ; Nef, Robert ; Ritter, Richard C. EigenStändig. Die Schweiz – ein Sonderfall. Zurich 2002. p. 308
4cité d’après Meier, Pirmin. Loc.cit. p. 308 (sur les réflexions de Vattel en matière de droit international, voir: Le droit des gens ou principes de la loi naturelle. 1758
5Rings, Werner. Advokaten des Feindes. Das Abenteuer der politischen Neutralität. Vienne et Düsseldorf 1966. p. 9
6cf. Mattmann-Allamand, Peter. Le véritable objectif de la révision de la loi militaire : briser le tabou de la neutralité. Dans : Horizons et débats. Edition spéciale sur la votation du 20 juin 2001. avril 2001. p. 5
7Vögeli, Erika. Politique de paix - la mission de la Suisse. Ds: Horizons et débats. Edition spéciale sur la votation du 20 juin 2001. avril 2001. p. 3

La neutralité – cette magnifique chance pour la Suisse et le monde entier

«Puisque nous avons déclaré notre neutralité en tant que perpétuelle il est donc exclu, en matière de politique étrangère, que nous changions nos positions selon les circonstances internationales variables, et c’est justement cette position de principe qui fait que nous sommes à l’abri du reproche de laisser notre manteau au vent pour en tirer avantage. Nous portons les lourdes charges de notre neutralité armée sans aucune intention de profiter d’un changement de constellation politique pour gagner du pouvoir, contrairement au neutre occasionnel ou à un non-belligérant». (Edgar Bonjour. Die schweizerische Neutralität. Ihre geschichtliche Wurzel und gegenwärtige Funktion. Berne 1943. p. 28, trad. Hd.)
    «La neutralité ne sert donc pas seulement à préserver l’existence extérieure, mais elle sert à préserver l’essence même de la Suisse. – Mais pour le reste du monde aussi, la Suisse peut être plus importante en restant fidèle à sa tradition que de s’abandonner au profit d’un autre principe. Le fait que la Suisse est exempte de la charge d’aucune sorte de politique de puissance lui confère un prestige international à dimension qu’elle n’aurait jamais obtenue en tant que puissance. Ce prestige, elle l’a toujours su en tirer profit dans l’intérêt de l’humanité. Lors de la dernière guerre, dans de nombreux cas allant de la Chine à la France, ce furent des Suisses, avec ou sans mandat d’Etat, qui ont servi d’intermédiaires entre des parties ennemies. C’est toujours cette confiance internationale et la réputation d’impartialité dont jouit la Suisse qui ont permis l’efficacité de la Croix-Rouge internationale  dans son entreprise constante de réaliser des prestations incommensurables pour soulager la misère de la guerre.» (Wolfgang von Wartburg. Geschichte der Schweiz. p. 250s., trad. Hd.).
    «Après les terribles guerres du XXe siècle, la politique belliqueuse des grandes puissances ne peut plus s’imposer que là où les mécanismes de contrôle démocratiques n’existent pas ou peuvent être mis hors service. La paix peut s’épanouir là où le renoncement à la grandeur et à la violence va de soi et où l’Etat est construit à partir de la base, par des décisions populaires directes en unités gérables. La Suisse se trouve elle aussi à un tournant. Elle peut se rallier aux grandes puissances atlantiques dont la boussole reste la guerre, trahir ses origines et sombrer. Ou bien elle peut assumer courageusement sa mission historique au sein de l’Europe, mettre en pratique son principe stipulant que le droit devance la force, tel qu’il est défini dans la maxime de neutralité, et mener ainsi la meilleure politique de paix possible aujourd’hui!» (Peter Mattmann-Allamand. Le véritable objectif de la révision de la loi militaire: briser le tabou de la ‹neutralité›; ds: Horizons et débats. Edition spéciale sur la votation du 27 juin 2001, avril 2001, p. 6)
    «L’abandon de l’empire serait l’étape d’apprentissage la plus importante. Aucun pays au monde ne devrait avoir le droit d’étendre son pouvoir économique et politique par la force au détriment d’autres pays. Le droit avant la force plutôt que la force avant le droit (cette transformation du sens de sa raison d’être, proclamé aujourd’hui par l’OTAN elle-même)!) Dans ce contexte, les maximes fondamentales que la Confédération suisse s’efforce de suivre depuis des siècles ne sont pas les reliques désuètes d’un nationalisme égoïste, mais des concepts de politique étrangère ultramodernes et porteurs d’avenir.» (Peter Mattmann-Allamand. Le véritable objectif de la révision de la loi militaire: briser le tabou de la ‹neutralité›; ds Horizons et débats. Edition spéciale sur la votation du 27 juin 2001, avril 2001. p. 6)
    «Enfin, la neutralité: un mot dans lequel on retrouve toutes les lettres du mot nature. La neutralité est notre nature. Elle donne le ton de la vie dans notre pays. La Suisse n’aime pas les conflits. Et c’est courageux si l’on sait être en même temps une constante force de paix pour l’humanité, ainsi que le veut notre Constitution. Il n’est certes pas simple de mener une politique étrangère aussi indépendante, spécifique, impartiale, dans un monde instable et multipolaire. Mais c’est également une grande chance, pour la Suisse comme pour ce monde.»

Extrait de l’allocution du Conseiller fédéral Didier Burkhalter
à l’occasion du 1er Août 2017,
cité dans Horizons et débats du 22 août 2017

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