pk.Les prises de position publiques, voire les ingérences officielles dans nos affaires intérieures, se multiplient et font pression sur le Conseil fédéral pour qu’il participe aux livraisons d’armes à l’Ukraine. Son refus ne serait pas compris par les pays amis. La réputation de la Suisse s’en trouverait ternie. L’acuité du ton est inhabituel. Jusqu’à présent, la Suisse a pu compter sur la reconnaissance de sa neutralité dans le monde entier, incontestée dans ses principes.
Nombreux sont ceux qui – ayant vécu les horreurs de la Seconde Guerre mondiale enfants – témoignent de leur gratitude pour le fait qu’il y ait eu un lieu qui ne s’alignait pas à un bloc belliqueux au milieu de l’enfer. C’est ce qu’a rappelé Gotthard Frick avec sa contribution (S’aligner sur l’OTAN conduit la Suisse à une possible prochaine guerre!, Horizons et débats, no 11, du 23 mai 2023) à nous autres Suisses qui risquons d’oublier notre propre histoire. Le constant refus de la Suisse de s’aligner sur une alliance militaire a permis d’atténuer considérablement les souffrances causées par la guerre. Il est vrai qu’à cette époque, des trains traversaient la Suisse avec des chargements servant des intérêts de l’extérieur. Cela a été inévitable face à l’autre but essentiel que le Conseil fédéral a dû et voulu poursuivre: garantir la sécurité de sa population. Les retouches apportées à la neutralité «pure» n’étaient pourtant pas des courbettes devant Hitler, elles découlaient de la nécessité de nourrir la population suisse (avec ses nombreux internés et réfugiés) et de lui permettre de passer les hivers froids de l’époque. D’autres trains passaient par la Suisse, leurs fourgons en lazarets improvisés remplis de soldats blessés provenant des régions où déferlait la guerre. Ils étaient tous pris en charge par des bénévoles suisses, sans distinction d’uniforme, simplement parce qu’ils étaient des êtres humains.
Dans notre Constitution, le maintien de l’indépendance de la Suisse est un objectif national immuable. Pour la Suisse neutre, cela implique toujours le non-alignement catégorique. L’insistance de la Suisse sur sa neutralité a permis à ce petit pays de conserver son indépendance. En temps de crise, la population suisse a toujours fait preuve de compassion à l’égard des personnes en détresse – elle s’est montrée solidaire aux êtres humains, pas à tel ou tel bloc de pouvoir. Depuis quand serait-il déshonorant de s’engager en faveur des populations du monde entier? En tant que pays hôte de la Croix-Rouge internationale, la Suisse se doit de défendre le mandat qui lui a été conféré dans l’intérêt global. Une prise de position importante, exprimée récemment dans une interview de la présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) mérite de résonner dans nos oreilles. La présidente mentionne le fait qu’actuellement, le CICR ne peut plus remplir pleinement sa mission fondamentale d’alléger les souffrances causées par les nombreuses guerres qui déchirent notre monde, notamment par manque d’argent (il est financé par des contributions volontaires, principalement étatiques). La présidente du CICR a déclaré:
«C’est précisément en raison de notre neutralité et de notre indépendance que nous sommes souvent la seule organisation à pouvoir fournir de l’aide. Je me suis rendue dans le nord-est de la Syrie et en Russie. A part nous, personne n’a accès aux prisonniers là-bas.»
Que peut ressentir un prisonnier de guerre lorsqu’il sait que plus personne au monde ne s’occupe de lui? La neutralité est un principe d’orientation de la politique étrangère d’un Etat. Mais c’est aussi une attitude, celle de celui aspirant contribuer à la paix. Tant qu’elle marque l’action de l’Etat de manière honnête, elle est prise au sérieux. Mais si à l’avenir, Genève, plaque tournante internationale et siège de l’ONU et du CICR, se trouvait dans une Suisse s’adossant à une alliance militaire comme c’est le cas avec l’UE, de grands dommages en résulteraient – des dommages qui pénaliseraient plus que «la réputation». Une fois arrivé là, le Comité international de la Croix-Rouge devra changer son emblème, la croix rouge dans un champ blanc. Et dans cette même logique, la Suisse amputée se verra contrainte à changer le rouge profond de sa bannière (symbole de sa fidélité à la fédération suisse) en bleu bruxellois – très pâle. •
Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.
Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.