Sommet de la CELAC et de l’Union européenne (UE): La tentative de Bruxelles de s’approcher du monde du Sud a été marquée par des divergences de fond

par Daniel Kersffeld, Argentine

A Bruxelles, le Sommet de la CELAC et de l’Union européenne (UE) a revêtu une importance politique particulière, d’autant plus qu’il s’agissait de la premier rencontre au cours des huit dernières années  réunissant des dirigeants des deux continents. Cependant, malgré les efforts des organisateurs pour lui conférer un semblant de cohésion, le sommet a été entaché de divergences et de déséquilibres. La reprise économique post-Covid, la crise environnementale et la férocité des affrontements entre la Fédération de Russie et l’OTAN ont eu des retombées politiques importantes. Les mêmes divergences ont abouti à un échec pareil, il y a quelques semaines, de la campagne de lobbying menée par Volodimir Zelensky.
    La présence du Président ukrainien au sommet, programmé de lUE, s’est heurté au rejet d’un groupe de gouvernements latino-américains qui, pratiquement en bloc, ont choisi de ne pas s’impliquer dans le conflit, en dépit des interprétations contradictoires, des fautes et des responsabilités dans cette guerre et, surtout, de la pression exercée par Washington et les principales capitales européennes. Il s’avérait que cette rencontre aussi se déroula sous les auspices de l’expansion économique chinoise indubitable. S’il est vrai que l’Amérique latine ne joue pas encore un rôle de premier plan dans le cadre de la «Nouvelle route de la soie», dont l’objectif est de créer un vaste marché allant de la Chine à l’Allemagne, on ne peut nier l’influence évidente de Pékin sur l’économie de l’Amérique latine.
    Face à cette réalité, l’opération de séduction européenne visait en effet à affaiblir l’influence de la Chine dans cette région, mais aussi de l’encourager à mettre d’avantage de distance vis-à-vis de la Russie. En effet, cette dernière, avant les sanctions économiques, était le premier fournisseur de ressources énergétiques du Vieux Continent et constituait un allié stratégique pour son moteur économique.
    Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé que l’UE augmenterait ses fonds disponibles pour l’Amérique latine et les Caraïbes dans le cadre du plan «Global Gateway» afin de financer le développement durable et la «transition verte» de notre région. La visée européenne n’est pourtant pas centrée sur le facteur environnemental, mais sur la transformation numérique autour des axes de la connectivité, de la cyberdéfense et des droits numériques des citoyens.
    Toutefois, les 45 milliards d’euros annoncés ne permettraient d’assurer une connectivité totale qu’à un peu plus d’un tiers de la part de la population latino-américaine n’ayant pas encore accès à l’internet à haut débit. Selon les chiffres présentés par l’UE, un véritable projet de transformation numérique à visée environnementale nécessiterait six fois le montant initialement prévu.

Divergences quant à l’accord
de libre-échange EU-Mercosur

Pour les pays d’Amérique du Sud, l’un des principaux points de discussion concernait la ratification de l’accord entre le Mercosur et l’Union européenne. Mais les divergences entre les deux continents ont posé des problèmes dès le départ, ce qui a conduit un certain nombre de pays, ci-inclus la France, à rejeter les termes de l’accord en raison de ses effets économiques.
    D’autre part, l’UE a décidé, il y a un an, d’imposer des sanctions à ceux de ses partenaires qui violent les dispositions relatives aux droits de l’homme et à la lutte aux changements climatiques incluses dans les accords commerciaux bilatéraux. L’Europe a ainsi envisagé la possibilité d’appliquer des sanctions telles que la suspension des concessions commerciales ou la suppression des préférences tarifaires. Bien que sur le Vieux Continent, ces conditions sont largement respectées, elles demeurent très coûteuses pour les pays d’Amérique du Sud, notamment dans un contexte comme celui que nous connaissons actuellement,  accentuant les dissymétries entre les deux régions.
    Cette approche environnementale avait été envisagée pour toutes les négociations commerciales et se reflète donc dans celles actuelles, comme avec le Mercosur, négotiations que le Parlement Européen ait différé pendant plus de trois ans en réaction à l’incessante déforestation de l’Amazonie brésilienne poursuivie pendant le mandat de Jair Bolsonaro. Depuis le début de son nouveau mandat, le 1er janvier 2023, Lula da Silva a qualifié d’«inacceptable» la menace de sanctions de l’UE, une attitude qu’il a confirmée lors de sa nomination comme secrétaire du Mercosur, au début du mois de juillet.
    Dans ses déclarations, le président brésilien a réaffirmé son jugement disant que «nous ne pouvons approuver ces sanctions. Nous avons un partenariat stratégique avec l’UE, il ne peut donc y avoir ni impositions ni punitions, mais des négociations seules». Et d’ajouter, pour éliminer tout doute concernant son attitude, que «la base de tout partenariat stratégique doit être la confiance mutuelle, et non pas la méfiance ni les sanctions».
    Ne souhaitant pas entraver le déroulement d’une réunion par ailleurs assez complexe, les représentants de l’UE se sont efforcés d’insister sur le fait que les sanctions environnementales ne fassent pas le sujet des délibérations du Sommet, tout en louant les efforts de Lula pour mettre fin à la déforestation galopante.

La menace de sanctions UE –
«inacceptables» pour leurs hôtes

Toutefois, la nouvelle disposition a fait l’objet de critiques au sein même de l’Union européenne, non seulement en raison des faiblesses et du caractère discutable de son application, mais aussi en raison de son approche qui ne prend pas en compte les différences entre les pays, et encore moins les questions spécifiques et diverses parmi ses partenaires.
    D’autre part, les exigences européennes en matière de «transition verte» ne tiennent pas compte du fait que les principales exportations du sud de notre région vers l’Europe englobent le pétrole, les hydrocarbures et les ressources énergétiques allant du charbon colombien au lithium chilien. Dans ce contexte de relations déséquilibrées et dissymétriques, la préservation de l’environnement est devenue tout de même l’un des sujets centraux du sommet, comme en témoigne également l’initiative dite de «Bridgerton», présentée par Mia Mottley, Premier ministre de la Barbade, avec le soutien des pays du bloc caribéen de la «Caricom».
    L’objectif de cette initiative est d’empêcher le basculement des pays en développement dans une spirale de crise lorsque leur endettement augmente à la suite de catastrophes naturelles telles que les inondations, les sécheresses et les ouragans.
    Face au changement climatique et à ses graves conséquences pour les pays les plus vulnérables, pour ceux donc qui génèrent le moins de pollution, l’initiative préconise également de dégager des fonds supplémentaires, en particulier pour la reconstruction après des catastrophes, sans taxes ni intérêts additionnels.
    Quant à l’élaboration de la déclaration finale, on n’a donc pas pu occulter ou réduire les divergences internes du Sommet, notamment en ce qui concerne la crise en Ukraine, qui a été contextualisée dans le cadre d’autres scénarios de conflit, comme par exemple celui d’Haïti.
    A cet égard, Ralph Gonsalves, Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et actuel président de la CELAC, a souligné l’importance d’inclure dans la déclaration finale une référence explicite à la responsabilité européenne dans le génocide des autochtones et la traite des esclaves.
    Il s’agissait là indubitablement à mettre en valeur le principe de justice réparatrice et d’un premier pas vers la compensation économique nécessaire. Ceci à un stade de l’histoire de l’Amérique latine où ni les excuses tardives ni les justifications, souvent ensemble avec de nouvelles exigences issues de monarques ou d’autres gouvernants, ne suffisent plus.

Source: Página12; https://www.pagina12.com.ar/569180-una-cumbre-con-desequilibrios-y-diferencias , du 19 juillet 2023

(Traduction Horizons et débats}

Les temps ont changé, malgré les illusions qui bercent l’UE

par Gisela Liebe

Le sommet de la CELAC (Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes) et de l’UE à Bruxelles, les 18 et 19juillet 2023, a réuni la plupart des chefs d’Etat des pays d’Amérique latine dont également le Président cubain, Miguel Díaz-Canel et la vice-présidente vénézuélienne, Delcy Rodríguez, sanctionnée par l’UE. La CELAC est une libre association de l’ensemble des 33 Etats des deux Amériques, exception faite des Etats-Unis et du Canada. Le fait que les médias standards germanophones aient pratiqué le mutisme à l’égard de cet événement important se comprend aisément si l’on considère le déroulement et les résultats du sommet qui se sont éloignés de l’esprit régnant aux niveaux supérieurs de l’UE.
    Ces derniers mois, l’UE, en première ligne l’Allemagne, avait déjà lancé une véritable offensive de charme en direction de l’Amérique latine, Ursula von der Leyen, Olaf Scholz, Annalena Baerbock et Robert Habeck s’étant rendus successivement dans divers Etats d’Amérique latine dans le but, d’une part, de les rallier à l’Occident sur la question de l’Ukraine et, de l’autre, de garantir les livraisons de matières premières en Europe. Pour l’UE, il s’agit avant tout de ratifier l’accord de libre-échange, prévu depuis des années avec les pays Mercosur, à savoir le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, même si l’agriculture de plusieurs Etats-membres de l’UE, comme la France et l’Autriche, en souffriront gravement.
    Ce fut avant le sommet déjà que des divergences massives entre l’UE et les pays de la CELAC étaient apparues. L’Espagne, qui assure la présidence de l’UE depuis le 1er juillet, avait invité le Président ukrainien Volodimir Zelensky à participer au sommet, invitation qui avait dû être annulée suite à des protestations massives d’un certain nombre de pays membres de la CELAC.
    Le caractère controversé des idées régissant les deux partis se manifestait également par rapport à la déclaration finale commune. L’UE avait présenté un projet comportant plusieurs paragraphes de soutien à l’Ukraine qui ont tous été supprimés dans le contre-projet de la CELAC. Dans le document final, l’Ukraine ne trouvait pas de mention substantielle. La déclaration finale avec ses 41 paragraphes ne contenait que la formule neutre que les participants étaient «profondément préoccupés par la poursuite de la guerre en Ukraine», formule faisant abstraction de toute mention de la Russie. Ce consensus minimal n’a pourtant pas été adopté à l’unanimité car il a été rejeté par le Nicaragua.
    Pour les pays d’Amérique latine, et notamment l’Argentine, la mention des problèmes en suspens liés aux îles Malouines ou las Malvinas [mieux connus en Europe sous leur dénomination anglaise Falkland Ilands] était cruciale. Selon le ministre argentin des Affaires étrangères, Santiago Cafiero, ce point implique une invitation à la Grande-Bretagne à entamer des négociations avec l’Argentine sur la souveraineté des îles. Le passage consacré à la reconnaissance des souffrances causées par l’esclavage et la traite des esclaves, notamment dans les pays des Caraïbes, a également constitué une concession de poids, de la part de l’UE aux Etats membres de la CELAC.
   L’UE affirme vouloir investir 45 milliards d’euros dans des projets d’infrastructure en Amérique latine, selon ce qu’a annoncée fièrement Ursula von der Leyen. La destination de cet argent (en Amérique latine, on emploie dans ce contexte l’expression du «néocolonialisme vert»), les conditions que les pays CELAC doivent remplir en matière de droits de l’homme et d’environnement selon les directives de l’UE, les sanctions qu’ils risquent de subir en cas de non-respect – tout cela est hautement susceptible de provoquer les doutes dans les rangs des Etats de l’Amérique latine. Une chose ressort en toute évidence de ce sommet: les temps sont passés où le continent devait se soumettre aux intérêts des grandes puissances occidentales. La remarque on ne peut plus arrogante du responsable des affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, sur le prétendu jardin de l’Europe qu’il s’agirait de protéger contre la jungle représentant le reste du monde continue de semer la consternation et l’indignation, notamment en Amérique latine. Elle va de pair avec l’incompréhension du Sud global face à l’allégeance inconditionnelle de l’UE envers les Etats-Unis.

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