Signes d’une fin de la guerre ukrainienne

par M.K. Bhadrakumar*

Le problème avec la guerre en Ukraine, c’est qu’il s’agissait d’un simple trompe-l’œil. Les objectifs russes de «démilitarisation» et de «dénazification» de l’Ukraine ont pris une tournure peu réelle. La version occidentale selon laquelle il s’agirait d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, centrée sur le principe westphalien de souveraineté nationale, s’est peu à peu usé et a laissé un creux.

Les réalités indiquent
une guerre entre l’OTAN et la Russie

Aujourd’hui, on se rend compte de deux choses: que la guerre se déroule en réalité entre l’Otan et la Russie et que l’Ukraine a cessé d’être un Etat souverain depuis 2014, depuis que la CIA et ses organisations sœurs occidentales – en Allemagne, Grande-Bretagne, France, Suède, etc. – ont installé un régime fantoche à Kiev.
   Le brouillard de la guerre commence à se dissiper, les vrais fronts deviennent donc visibles. A un niveau décisif, une discussion ouverte sur les issues commence.
    La vidéoconférence du Président russe Vladimir Poutine avec les membres permanents du Conseil de sécurité, le vendredi 21 juillet à Moscou, et sa rencontre avec le président biélorusse Alexandre Loukachenko, le dimanche 23 juillet à Saint-Pétersbourg, en constituent sans aucun doute des moments décisifs. Les deux procès-verbaux se sont suivis immédiatement et doivent être lus ensemble.1

Y a-t-il un autre plan de l’administration Biden visant une guerre plus ample encore?

Il est évident que les deux événements diplomatiques mentionnés ci-dessus ont été soigneusement chorégraphiés par le Kremlin, visant à faire passer plusieurs messages. La Russie étincelle de la confiance ayant acquis la suprématie sur le front des combats. Elle a écrasé l’armée ukrainienne contraignant la «contre-offensive» de Kiev de passer au second plan. Mais Moscou se doute de ce que le gouvernement Biden mise peut-être sur un autre plan de guerre, de plus grande envergure encore.
    Lors de la réunion du Conseil de sécurité, Poutine a déclassifié et ainsi rendu publiques les rapports signés des services secrets provenant de différentes sources et parvenus à Moscou indiquant l’infiltration d’un corps expéditionnaire polonais sur le territoire de l’ouest de l’Ukraine. Poutine l’a qualifié d’«unité militaire régulière bien organisée et bien équipée dans le but d’opérer en Ukraine occidentale dans la perspective de l’occupation ultérieure de ces territoires».

Revanchisme polonais

Il existe en effet une longue histoire de revanchisme polonais. Poutine, jadis fervent étudiant en histoire, en a longuement parlé. Son attitude a été stoïque quand il a dit, en public, que si les autorités de Kiev approuvaient ce plan polono-américain, «suivant le schéma habituel aux traîtres, c’est leur affaire. Nous n’interviendrons pas».
    Mais, a ajouté Poutine, sur un ton très sérieux: «Il est tout à fait différent par rapport à la Biélorussie. La Biélorussie fait partie des Etats de l’Union ce qui fait qu’une agression contre la Biélorussie signifie une agression contre la Fédération de Russie. Nous y répondrons par tous les moyens dont nous disposons.» Poutine a averti, dans cette même déclaration et avec autant de sérieux, que la situation en cours est «un jeu extrêmement dangereux» et que les auteurs de tels plans devraient bien « réfléchir aux conséquences».
    Dimanche, lors de la rencontre avec Poutine à Saint-Pétersbourg, Loukachenko a repris le fil de ce débat. Il a informé Poutine sur de nouveaux déploiements polonais survenus près de la frontière biélorusse – se situant à 40 km de Brest seulement – et d’autres préparatifs en cours. Il s’agirait de l’ouverture d’un atelier de réparation de chars Léopard en Pologne, l’activation d’un aérodrome à Rzeszow, à la frontière ukrainienne (à une centaine de kilomètres de Lviv), approprié au déploiement de forces américaines y déplaçant des armes et des mercenaires, et autre chose encore.

La Biélorussie déclare comme
inacceptable tout découpage de l’Ukraine

Loukachenko a affirmé: «C’est inacceptable pour nous. Nous n’accepterons ni l’aliénation de l’Ukraine occidentale, ni son dénombrement ni la cession des territoires ukrainiens à la Pologne. Si les populations résidant dans l’Ukraine occidentale nous le demandent, nous les soutiendrons. Je vous prie donc [Poutine] de discuter cette question et d’y réfléchir. Naturellement je voudrais que vous nous souteniez dans cette attitude. Si le désir d’un tel soutien se montre, lorsque l’Ukraine occidentale nous le demande, eh bien, ce soutien, nous l’offrirons aux habitants de l’Ukraine occidentale. Si de tels appels nous atteignent, nous leur donnons tout notre soutien, de toutes manières possibles.»
   Comme on pouvait s’y attendre, Poutine n’a pas réagi à cette intervention – au moins pas publiquement. Loukachenko a rendu évident qu’il identifierait une intervention polonaise au dénombrement de l’Ukraine suivie de l’intégration de ces parties au sein de l’OTAN. Il n’a pas mâché ses mots en ajoutant: «C’est ce qui est approuvé par les Etats-Unis!» Il est significatif, dans ce contexte, que Loukachenko ait sollicité également la mission d’effectifs du groupe Wagner2 en vue de détourner les menaces envers la Biélorussie. Il est significatif que Poutine et Loukachenko mènent un tel entretien en public. Et il est évident que tous les deux se sont prononcés là-dessus basés sur des informations fournies de leurs services secrets, anticipant un tournant décisif dans cette guerre.

Une guerre avec la Pologne?

Que la population russe sache très bien que son pays se bat de facto contre l’OTAN en Ukraine est une chose. Il serait pourtant toute autre chose de se trouver face à l’éventualité que la guerre en cours puisse dramatiquement dégénérer en une guerre avec la Pologne. La Russie se verrait confrontée à une armée de l’OTAN considérée par les Etats-Unis comme leur principal partenaire en Europe continentale.
    En exposant en détail le revanchisme polonais, traité de manière controversée parmi les historiens européens modernes, Poutine a probablement calculé pouvoir renouer avec les résistances européennes le concernant y compris en Pologne, notamment contre les machinations susceptibles d’entraîner l’OTAN dans une autre guerre continentale avec la Russie.
   La Pologne aura pourtant ses raisons pour hésiter. Selon Politico, l’armée polonaise compte environ 150000 hommes, dont 30000 font partie d’une nouvelle force de défense territoriale qui se compose, elle, «des soldats du week-end suivant une formation de 16jours suivie de cours de remise à niveau».

La Pologne dispose-t-elle de soutien
pour ses projets de reconquête?

Là encore, la puissance militaire de la Pologne ne se traduit pas par une influence politique correspondante en Europe. Ceci principalement du fait que les forces centralisatrices dominant l’UE se méfient de Varsovie, contrôlée par le parti nationaliste «Droit et Justice» dont le mépris des normes démocratiques et de l’Etat de droit a terni la réputation de la Pologne dans l’Union toute entière.
    La Pologne a certes plusieurs raisons de s’inquiéter de la fiabilité de Washington. A l’avenir, la préoccupation des dirigeants polonais sera, paradoxalement, que Donald Trump ne revienne pas à la présidence en 2024. Malgré la coopération avec le Pentagone dans la guerre en Ukraine, les dirigeants actuels de la Pologne se méfient du Président Joe Biden, à l’instar du Premier ministre hongrois Viktor Orbán.

Un avertissement en direction de l’Occident

Réflexion faite, on peut donc supposer que les bruits de guerre de Loukachenko et la leçon de Poutine sur l’histoire européenne doivent plutôt être considérés comme un avertissement préalable à l’Occident afin de moduler un jeu final en Ukraine respectant les intérêts russes. Un démembrement de l’Ukraine ou une extension incontrôlée de la guerre au-delà de ses frontières est certes hors de tout intérêt de la Russie.
   Les dirigeants du Kremlin prendront toutefois en compte la possibilité que la stupidité de Washington, résultant d’un besoin désespéré de sauver la face après une défaite humiliante dans la guerre par procuration, ne laisse pas d’autre choix aux forces armées russes que de traverser le Dniepr et d’avancer jusqu’à la frontière polonaise pour empêcher l’occupation de l’ouest de l’Ukraine par le soi-disant Triangle de Lublin, une alliance régionale à orientation antirusse virulente englobant la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine, formée en juillet 2020 et soutenue par Washington.

Trois éléments clés de la finale en Ukraine

Les rencontres successives de Poutine à Moscou et à Saint-Pétersbourg mettent en lumière les réflexions russes sur trois éléments clés du jeu final en Ukraine.
 Un, la Russie n’a pas l’intention de conquérir territorialement l’Ukraine occidentale, mais elle insistera sur la donnée d’avoir son mot à dire sur la forme des nouvelles frontières du pays ainsi que sur le comportement du futur régime. Cela signifie qu’un Etat antirusse sort de tout ce qu’elle sera prête à autoriser.
    Deuxièmement, le plan de l’administration Biden visant de donner à la défaite évidente les aspects d’une victoire est voué à échec, car la Russie n’hésitera pas à contrer toute nouvelle tentative des Etats-Unis et de l’OTAN d’utiliser le territoire ukrainien comme tremplin pour une nouvelle guerre par procuration, ce qui signifie que l’adhésion par morceaux de l’Ukraine à l’OTAN restera une chimère.
    Finalement, et surtout, l’armée russe, éprouvée aux combats et s’appuyant sur une puissante industrie de défense et une économie robuste, n’hésitera pas à affronter les pays membres de l’OTAN limitrophes de l’Ukraine s’ils portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Russie, ce qui signifie que les intérêts fondamentaux de la Russie ne se prêtent pas à être pris en otage par l’article 5 de la charte de l’OTAN.



1http://en.kremlin.ru/events/president/news/71714  du 21/07/23 et http://en.kremlin.ru/events/president/news/71723  du 23/07/23
2https://eng.belta.by/president/view/lukashenko-sheds-light-on-pmc-wagners-plans-160461-2023 / du 23/07/23
Source: https://www.indianpunchline.com/glimpses-of-an-endgame-in-ukraine/  du 25/07/23

(Traduction Horizons et débats)

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