Après la pause estivale entre Bruxelles et Berne – Le Parlement européen poursuit son cours intransigeant

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Une fois de plus, Bruxelles lance un appel à la Suisse sur le ton du commandement. Le 4 octobre, le Parlement européen a approuvé son «Rapport sur la Suisse», rédigé par l’Autrichien Lukas Mandl, représentant de la commission des affaires étrangères1, par 538 voix, contre 42 et 43 abstentions. Les députés ont critiqué l’arrêt des négociations sur l’accord-cadre institutionnel (ACI) par le Conseil fédéral en juin 2021, sans souffler mot sur le bien-fondé suisse de cette décision. Au contraire, l’actuel «rapport sur la Suisse» se plaît à répéter l’entière palette connue des exigences posées à la Suisse, liste des velleïtés de l’UE figurant depuis toujours dans le projet d’ACI. Dans ce sillon peu encourageant, le Parlement européen évoque en outre ce qu’il nomme «fenêtre d’opportunité». Il pousse le grotesque jusqu’à préconiser un énième accord, dans les limites temporelles jusqu’aux élections européennes de la mi-2024. Même dans un délai moins effronté, la quadrature du cercle ne se fera pourtant pas.

Les points essentiels de la Suisse

«Au cœur de l’Europe et pourtant absente. Que veut donc la Suisse?» C’est ainsi que la «Neue Zürcher Zeitung» titre le commentaire de deux membres de la Diète allemande, dans son édition du 25 septembre 2023. Oui, que veut la Suisse? Les rédactions nationales, nos politiciens et diplomates ainsi que les professeurs de droit et d’histoire de nos universités sont en effet sollicités à donner une réponse claire et limpide aux politiciens de l’UE, en respectant ceci: la Suisse, c’est nous, les citoyens suisses. Ce que nous voulons, nous le décidons lors des fréquentes votations. Les solutions suisses qui conviennent à la grande majorité du peuple se réalisent sur la base de la liberté, elles sont censées s’adapter à nos piliers étatiques: neutralité, souveraineté, fédéralisme, démocratie directe – ainsi qu’à un bon service public pour tous, conforme à nos fondements coopératifs. Si des puissances étrangères s’efforcent d’imposer à la Suisse un modèle qui contredit à 180 degrés cette conception de l’Etat, nous autres citoyens suisses prenons la liberté de dire non. Est-ce si difficile à comprendre?

Accord-cadre institutionnel –
réédition de Bruxelles

Le «rapport sur la Suisse» de Lukas Mandl balaye les piliers indispensables de l’Etat suisse et répète une fois de plus les exigences autoritaires bien connues de Bruxelles: reprise du droit de l’UE un à un, application de l’interdiction des subventions d’Etat et soumission des litiges juridiques à la CJUE.2
    Le Parlement européen a consacré 35 minutes au débat «Relations avec la Suisse» devant des tribunes en grande partie vides – tout le monde était tout de même de retour pour voter (sur ce qu’ils savaient d’avance). Les contenus du rapport en bref:

  • Menace du «risque d’érosion» pour «de nombreux accords bilatéraux»: il s’agit avant tout de «l’accord sur la suppression des obstacles techniques au commerce» , c’est-à-dire l’accès des entreprises exportatrices suisses aux nouvelles prescriptions techniques de l’UE. Ce qui est absurde, c’est le fait que sur ce point, la Suisse est depuis toujours prête à reprendre les règles de l’UE – mais lorsque, dans la logique bruxelloise, l’avantage se situe du côté de nos entreprises, cela ne passe pas...
  • Libre circulation des personnes: le souci des syndicats suisses d’obtenir une protection salariale digne de ce nom est balayé par des propos flous selon lesquels on pourrait «envisager l’application de mesures temporaires, à durée déterminée ou de sécurité, basées sur le droit de l’UE, pour une période déterminée». Il faut noter l’expression «sur la base du droit de l’UE» – c’est la façon bruxelloise de dire non au procédé suisse qui, lui, est basé sur des contrôles paritaires soigneusement coordonnés des associations suisses de travailleurs et d’employeurs. (Il ne convient pas aux bureaucrates de Bruxelles qu’en Suisse, on ne se contente pas de lancer un programme informatique et que les partenaires sociaux contrôlent une grande partie des contrats de travail ensemble et sur place, surtout dans les domaines de restauration et construction). De plus, ce qui est de la formule «pour une période déterminée» – nos syndicats et nos partis de gauche ne pourront jamais approuver un tel bric-à-brac. La «directive sur les citoyens de l’Union» n’est d’ailleurs pas mentionnée dans les médias, mais l’accès plus facile aux assurances sociales suisses, très attrayantes, qui en découle entraînerait une nouvelle augmentation de l’immigration, ce qui est inacceptable pour la Suisse. La quintessence: le souverain suisse devra à nouveau gérer lui-même le problème de l’immigration en Suisse.
  • Accord sur l’électricité: L’absence d’accord sur l’électricité «comporte des risques pour le réseau électrique européen», comme cite le «Tages-Anzeiger». En effet, la ligne de transit alpine suisse est indispensable à l’UE en tant que plaque tournante et centre du réseau électrique européen. La Suisse est bien entendu prête à coopérer, même sans «Accord institutionnel,» mais elle ne renonce pas à sa part du courant qui traverse les Alpes. Pour que l’électricité suisse tombe dans les «bonnes mains», l’UE exige donc depuis longtemps la privatisation des centrales hydroélectriques et se heurte ainsi à l’opposition univoque des propriétaires, à savoir les cantons et les communes, c’est-à-dire les citoyens.
  • Programme de recherche «Horizon Europe»: La participation de la Suisse est manifestement très souhaitée, non seulement par nos universités, mais également au Parlement européen: «Cela renforcera globalement l’Europe en tant que pôle scientifique et d’innovation», déclare Lukas Mandl. Où est donc le problème? Si la place scientifique suisse est si convoitée, nous trouvons des voies à participer sans s’incliner devant une superstructure bureaucratique. Chez nos voisins des voix s’élèvent d’ailleurs  dans le même sens.
  • «Modernisation» de l’accord de libre-échange et accord «moderne» de protection des investissements: L’accord de libre-échange (ALE) de la Suisse avec la CE de 1972, un traité commercial conclu d’égal à égal, contenant plus d’une centaine d’accords ultérieurs, serait ainsi institutionnalisé avec les Bilatérales I. Car par «modernisation», l’UE entend les piliers fondamentaux qu’elle exige et qui incluent: reprise du droit communautaire actuel et futur, application de l’interdiction des subventios d’Etat et soumission à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).
  • Paiements de cohésion: Le «ceterum censeo» de Bruxelles ne se fait pas attendre: «Par ailleurs», le «Rapport sur la Suisse» exige des paiements réguliers et plus élevés de la part de la Suisse – qui rejoindront le tonneau des Danaïdes qu’est l’UE.

Vain recherche de commentaires
critiques dans les médias grand public

Nos médias mainstream «donnent des information» sur cette nouvelle édition de l’accord-cadre absurde de Bruxelles, sans le moindre brin de résistance, pourtant legs helvétique. La «Neue Zürcher Zeitung» pratique l’out-sourcing de son commentaire en confiant la mission à deux parlementaires allemands sans la moindre connaissance de ce qu’est la Suisse (voir ci-dessus, au début) ou – pire encore! – aux représentants suisses des cercles qui souhaitent voir la Suisse se lier plus étroitement à l’UE lors des votations populaires. C’est le cas, par exemple, de Thomas Pfister, ancien juge fédéral, ancien membre du gouvernement cantonal d’Argovie et conseiller aux Etats (PLR).  Ses propositions liées à un concept de réforme permettant «davantage de démocratie pour la mise en œuvre des traités de l’UE» contient toute une série d’idées admissives envers l’UE, comme l’envoi d’«experts» dans les organes de l’UE ainsi que l’implication du Parlement et des «cantons» (c’est-à-dire de la Conférence des gouvernements cantonaux CdC) dans les structures UE. L’empressement de plaîre à l’UE ressort clairement: sans qu’aucun traité avec l’UE ne soit prêt à être signé, et encore moins accepté par le souverain, l’auteur de ces idées s’est déjà «mis à l’œuvre»! Et notamment pour ce qui concerne le traitement du corps électoral en cas de référendum où Pfister nous avertit ainsi: le Parlement doit «tout mettre en œuvre pour que les électeurs se prononcent en connaissance de cause sur le contenu d’un acte juridique de l’UE à reprendre […]». Si les commissions parlementaires sont favorables à un acte juridique de l’UE, elles devront donc «œuvrer pour qu’il obtienne une majorité ou un consensus interne».3
    De tels «reportages» dans nos grands médias, aussi unilatérals qu’éloignés de la démocratie suisse pourraient avoir l’effet inverse que celui recherché par les rédactions: au lieu que nous, les Suisses, votions comme on nous le repète sans cesse, peut-être que de plus en plus d’abonnés résilieront leur journal, préférant s’informer ailleurs, par exemple sur le site de Horizons et débats.

1 voir «Pause estivale entre Berne et Bruxelles – mais on continue à tirer les ficelles dans les coulisses». Dans: Horizons et débats du 8/08/23
2 voir les deux articles du 4 octobre 2023, «Présentation du rapport sur la Suisse. Le Parlement européen demande plus de confiance entre Berne et Bruxelles» par l’ATS/fel dans le Tages-Anzeiger et Schöchli, Hansueli. «Au plus tard à l’automne 2024:le Parlement européen veut un accord rapide dans le conflit avec la Suisse» dans la Neue Zürcher Zeitung.
3 Pfister, Thomas. «La Suisse et l’UE - garantir la démocratie». Commentaire de l’invité. dans: Neue Zürcher Zeitung du 27/09/23

L’importance pour la Suisse démocratique du facteur confiance

mw. En ce moment je dois me corriger moi-même – heureusement! De temps en temps, on trouve en effet de véritables trésors dans les médias grand public. J’ai trouvé par exemple un article de Benjamin von Wyl sur l'importance du facteur confiance pour la démocratie suisse sur swissinfo.ch. C’est la plateforme d'information et de nouvelles de la radio et télévision publique suisse SRF.1.
    «Pays stable, argent stable, projets de vie stables: contrairement à la situation internationale, beaucoup de choses en Suisse tournent rond. La confiance élevée dans les institutions est un facteur important. Lors d'un voyage en train au départ ou à destination de Berne, il peut arriver de croiser un membre du gouvernement suisse. Presque toujours, ils voyagent sans protection spéciale». Selon von Wyl, la confiance dans le gouvernement est plus élevée en Suisse que dans n’importe quel autre pays de l'OCDE. La Suisse fait partie des pays les plus stables du monde sur le plan politique et économique, notamment parce que les représentants des grands partis de gauche à droite y gouvernent ensemble.
    L'auteur poursuit qu’en Suisse, comme dans d'autres démocraties, le gouvernement, le parlement et la justice se contrôlent mutuellement. Mais un élément essentiel vient s'y ajouter: «Les conseillers fédéraux suisses [et le Parlement] doivent régulièrement se soumettre à des votations populaires. Et parfois la majorité des électeurs disent non, car dans la conception suisse, ils sont le souverain eux-mêmes». La confiance des Suisses dans l'Etat repose donc sur le fait que les citoyens décident eux-mêmes de la manière dont ils veulent organiser leur commune, leur canton et la Confédération.

Système de milice suisse:
«Les possibilités de participation créent la confiance»

Une autre raison de la confiance est le système de milice. Benjamin von Wyl constate: «Le système de milice suisse confie la responsabilité à la population. Celui qui veut faire bouger les choses s'inscrit dans une association, participe à une manifestation – ou travaille comme scrutateur lors des nombreuses votations. Les possibilités de participation créent la confiance».
    La manière dont les voix sont comptées en Suisse crée effectivement une grande sécurité unique contre les abus. Dans chaque commune et arrondissement urbain, les bulletins de vote ou d'élection sont vidés de l'urne sur la table et comptés en commun par un groupe d'employés communaux et de citoyens se portant en partie volontaires ou bien sont convoqués. Malgré la numérisation chaque électeur sait un résultat erroné étant extrêmement rare, ce qui donne confiance (voir photo).

Confiance dans la police
et dans le franc suisse

Les Suisses ne font pas seulement confiance à l'Etat. Egalement Benjamin von Wyl cite la grande confiance dans l'économie et les tribunaux et poursuit: «Mais c'est la police qui jouit de la plus grande confiance: Dans l'étude annuelle de l'EPFZ ‘Sécurité', la police obtient régulièrement la première place du classement de la confiance». Et cela, malgré les critiques adressées à la police, par exemple pour les interventions lors de manifestations.
    Enfin, von Wyl mentionne une raison centrale de la hausse des prix faibles et le taux d'inflation bas par rapport à d'autres pays: «Si les prix ont moins augmenté en Suisse que dans les pays voisins l'année dernière, c'est aussi grâce au franc suisse, se montrant étonnamment stable face à l'inflation».
    L'auteur conclut: «La Suisse est confrontée au même défi que toutes les démocraties: comment développer et maintenir la cohésion sociale? […] Une réponse clé est de défendre, de manière déterminée, notre  modèle de la démocracie directe, unique au monde».

1 von Wyl, Benjamin. «Le facteur confiance: quelle est son importance pour la Suisse»?du 3.7.2023. www.swissinfo.ch/ger/warum-die-menschen-in-der-schweiz-dem-staat-vertrauen/

 

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