par Beat Kissling
En 1932, Albert Einstein posa la question suivante dans sa correspondance avec Sigmund Freud, dont il espérait une réponse révélatrice de la psychologie des profondeurs: «Y a-t-il un moyen de libérer les hommes du désastre de la guerre?»
A cette époque, les expériences cruelles de la Première Guerre mondiale étaient encore littéralement ’dans les os’ des hommes, alors que la prochaine barbarie se préparait déjà. Freud arriva à une conclusion pessimiste avec sa vision de la disposition naturelle de l’homme: il compléta «la libido»1 dans sa théorie de la personnalité par «le destrudo», la pulsion de mort. D’autres contemporains ont tiré d’autres conclusions, comme Albert Schweitzer, qui a interprété la guerre comme l’expression de la «décadence de la culture», ce qui implique que pour les hommes, une «reconstruction de la culture» est également possible afin d’éviter les guerres. Alfred Adler est arrivé à une conclusion similaire dans son ouvrage de 1919 «Die andere Seite. Eine massenpsychologische Studie über die Schuld des Volkes» (De l’autre côté. Une étude psychologique de masse sur la culpabilité du peuple) qui montrait quels éléments culturels, politiques et finalement psychologiques de la vie sociale avant et pendant la guerre avaient contribué à la disposition générale de la plupart des gens à s’aligner avec enthousiasme sur la marche envers la guerre. D’une part, il parlait de l’humble vénération envers les familles couronnées dirigeant le sort des nations du temps de la Première guerre mondiale, de «l’art de s‘incliner» lié à la gestuelle du sujet dévoué2 et donc de l’éducation fondamentale du peuple aboutissant «au manque de confiance en soi et à l’obéissance aux supérieurs». D’autre part, il accordait une importance particulière à la diffusion d’«histoires à dormir debout» provenant de la cuisine propagandiste de l’Etat-major au sujet de la prétendue mentalité brutale et inhumaine de l’adversaire – propagandes selon lesquelles il fallait consentir à n’importe quelle cruauté envers l’ennemi, climat menaçant tout comme l’expérience quotidienne et intimidante de l’arrestation et de l’assassinat de personnes s’étant permises une parole critique.
L’aspiration à la Paix perpétuelle
Les crimes de guerre d’Hiroshima et de Nagasaki sont aujourd’hui lointains dans la conscience des gens, tout comme les souffrances infinies pendant et après les deux guerres mondiales. La plupart des Occidentaux ne savent pas non plus que depuis les deux guerres mondiales, malgré l’ONU, des dizaines de guerres ont eu lieu – dans 90% des cas au sein de pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie – souvent avec une moyenne de 230000 morts. En 2022, plus de 20 guerres faisaient rage dans le monde, dont les médias occidentaux ont gardé majoritairement le silence. Il est difficile d’imaginer que le désir ardent de paix et d’amitié plutôt que de violence et de guerre n’ait pas toujours été présent chez les êtres humains. Nous, les êtres humains, sommes des êtres «ultra-sociaux», comme l’anthropologue et psychologue américain Michael Tomasello a pu l’illustrer et le prouver par ses recherches sur l’anthropologie évolutionnaire. Cela ne signifie toutefois pas que les êtres humains soient automatiquement et en toutes circonstances sociaux et pacifiques. Nos attitudes dépendent exclusivement de l’éducation et de la socialisation, comme l’a montré Alfred Adler se basant sur l’idée d’éducation de l’humanisme ou ce qu’Albert Schweitzer visait lorsqu’il a parlé de la pertinence du développement culturel dans lequel les jeunes gens grandissent et vers lequel ils s’orientent. Alors qu’Albert Einstein, dans sa correspondance avec Freud, souligne le rôle et l’importance particuliers de l’éducation en matière d’encouragement à la résistance face à la psychose de la haine chez les jeunes, Adler considère que l’impuissance et la manipulation des êtres humains – il parle de «peuple hanté de haine, asservi, honteusement abusé» – sont la conséquence de l’absence, chez les hommes, du «lien unificateur de confiance mutuelle, de leur sentiment communautaire fort», attitudes essentiellement liées à l’éducation et à la formation.
La confiance en la capacité de l’homme à vivre sans guerre remonte à l’Antiquité et s’exprime comme un espoir et une aspiration depuis le début des temps modernes dans les écrits de différentes personnalités importantes à l’esprit humaniste, dont la plupart fondent leur pensée sur le christianisme. Dans son ouvrage principal «La plainte de la paix», publié en 1517, le grand humaniste Erasme de Rotterdam s’adresse aux dirigeants de son temps, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise, en les appelant à renoncer, au nom de la population et de la religion, à la richesse et à la suprématie lorsque se renoncement pourra éviter la guerre. Le fondateur du droit naturel moderne, le juriste hollandais Hugo Grotius, a beaucoup contribué, par son ouvrage «Le droit de la guerre et de la paix», à raviver à son époque le sentiment de justice dans la vie publique, notamment en ce qui concerne la justification des guerres. Grotius n’accorde, dans ses écrits, une légitimité à faire la guerre qu’en cas de légitime défense, de récupération de biens ou de punition. Convaincu que les hommes sont fondamentalement pacifiques lorsqu’ils reçoivent une éducation complète et humaine, Jan Amos Comenius (1592–1670), réformateur tchèque, pionnier de la didactique et père de notre système scolaire moderne, s’est engagé fondamentalement contre la guerre, motivé avant tout par sa propre expérience amère de la guerre de Trente Ans (1618–1648). Dans son écrit «L’Ange de la paix» (1667), rédigé à l’occasion des négociations de paix entre l’Angleterre et la Hollande, il a tenté de convaincre les participants, grâce à ses explications sur l’éthique de la paix, à renoncer à toute nouvelle guerre.
Selon l’auteur de l’ouvrage de synthèse historique intitulé «Ewiger Friede. Friedensrufe und Friedenspläne seit der Renaissance» de 1953, Kurt von Raumer, les propagateurs de l’idée d’une possible paix perpétuelle sont avant tout des auteurs du XVIIIe siècle. Il y constate: «Le discours sur la paix perpétuelle devient au XVIIIe siècle l’un des thèmes les plus populaires de l’histoire de la pensée européenne».4 L’ouvrage le plus en vue est le «Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe» de l’Abbé de Saint-Pierre, publié en 1712/13 et dont la notoriété est due en grande partie à Jean-Jacques Rousseau. Selon Rauber, l’Abbé a réussi à «populariser l’idée d’établir la paix».5 Dans sa conception apparaît l’idée d’une ligue de paix qui «devra désormais trancher tous les litiges par la médiation plutôt que par la guerre» et qui disposera également d’un «exécutif militaire» capable de rappeler à l’ordre tout contrevenant à la paix. Une cour de justice est également prévue, habilitée à exercer un «pouvoir de coercition» en fonction des «sentences arbitrales et judiciaires», afin de faire prévaloir «la sauvegarde de l’intérêt général contre les intérêts particuliers».6 L’Abbé Saint-Pierre et Rousseau ne sont pas les seuls, mais certainement les représentants les plus éminents de l’idée de paix perpétuelle au XVIIIe siècle, ensuite reprise par Emmanuel Kant et transposée par lui dans un court traité très concis, une œuvre clairvoyante avec une structure éminemment juridique et philosophique du droit.
Fondement de l’idée de paix de Kant:
sa compréhension de la dignité humaine
Pour célébrer le 300e anniversaire de la naissance d’Emmanuel Kant en 1724, de nombreux hommages ont été rendus à sa vaste contribution à l’histoire de la pensée, permettant de fonder une compréhension éclairée du monde et de la relation de l’homme à lui-même et à la nature. Un texte clé pour expliquer l’idée des Lumières est son essai «Was ist Aufklärung» (Qu’est-que Les lumières?) de 1784. Dès les premières phrases, la réflexion fondamentale programmée est concue dans la formule fameuse:
«Le siècle des Lumières représente la sortie de l’homme de son immaturité dont il est lui-même responsable. L’immaturité est l’incapacité de se servir de son intellect sans la guidance d’un autre. Cette immaturité est auto-infligée lorsque la cause en est non pas le manque d’entendement, mais la résolution et le courage de s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ta propre raison! Voilà la devise des Lumières.»
Ces lignes contiennent la conviction fondamentale de la capacité humaine générale de raisonner, capacité que chacun peut mettre en œuvre, à condition que l’homme ait osé s’emparer de cet instrument de pensée autonome. Dans l’esprit des Lumières, Kant invite chacun à s’émanciper activement de la tutelle de l’Eglise et des autres autorités et à faire confiance à sa propre capacité de réflexion et d’évaluation. Si quelqu’un reste dans un état d’immaturité, le diagnostic de Kant est rigoureux: cet état porte en fait atteinte à la dignité de la personne concernée. En effet, ce n’est qu’en s’impliquant de par sa propre volonté et en s’engageant à respecter sa conscience en tant qu’être social, avec une responsabilté personnelle envers la vie et les intérêts des autres, qu’il peut vivre sa dignité. Cette conception humaniste se reflète dans le libellé du premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme, proclamée le 10 décembre 1948: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité».
La particularité de la pensée de Kant va au-delà de l’idée fondamentale des Lumières selon laquelle le but premier de l’émancipation individuelle est le «bonheur». Selon Kant, les aspirations humaines vont plus loin, à savoir le perfectionnement de son «mode de pensée intérieur» ou, en d’autres termes, sa moralité guidée par la raison. Selon Kant, il est conforme à la dignité humaine d’agir de manière autonome, c’est-à-dire de son plein gré et conformément à sa raison, de la manière la plus morale possible. C’est sur la base de cette réflexion qu’il fonda la formule morale de «l’impératif catégorique», ce qui permet à chaque être humain, en raison de sa capacité à raisonner, de se demander à chaque fois qu’il agit s’il pourrait élever son action au rang de loi universelle.
Dès 1784, dans l’ouvrage «Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique» Kant s’est tourné vers l’idée de paix en formulant l’objectif d’une «association d’Etats gérant la justice et assurant la paix». Il reprend cette idée en 1795 dans son projet de paix perpétuelle, dans lequel différents éléments de base de la Société des Nations fondée en 1920 et de la Charte de l’ONU de 1945 sont conceptuellement anticipés.
«Vers la Paix perpétuelle»
En tant qu’écrit juridique formel, le traité politique de Kant contient six articles préliminaires et trois articles définitifs. Lorsque Kant a commencé à rédiger cet écrit, les grandes puissances d’alors s’affrontaient avec un haut niveau d’équipement. Kant n’a délibérément pas développé une vision parfaitement élaborée d’un monde sans armes et sans guerre pour un avenir lointain, mais a voulu, face à la réalité, s’attaquer aux aspects qu’il estimait pouvoir être mis en œuvre, étape par étape, par tous les Etats. Les articles préliminaires ont donc pour but de définir des points sur lesquels tout le monde est censé de se mettre d’accord et qui doivent ensuite servir de condition préalable au traité définitif. En raison de leur longueur, ces articles ne sont pas expliqués ici mot à mot, mais résumés.
Le premier article préliminaire insiste sur le fait qu’une paix doit être sérieusement recherchée par chaque partie; une armistice ne suffit pas, d’autant plus que l’expérience montre qu’elle peut être utilisée stratégiquement pour le réarmement.
Le deuxième article préliminairese réfère au fait qu’un Etat n’est pas un bien dont les éléments peuvent être traités de manière arbitraire, comme ce fut le cas sous forme de donation, de mariage, de vente, etc. à l’époque du féodalisme. Cette source de conflit et de violence doit ainsi être éliminée.
Le troisième article préliminaire vise à interdire progressivement l’existence d’armées permanentes (armées professionnelles). Par contre, ce sont les «citoyens en armes», c’est-à-dire une armée de milice pour l’autodéfense, qui sont autorisés comme seule forme d’armée selon cette loi préliminaire, c’est-à-dire en fait la solution que connaît la Suisse.
Le quatrième article préliminaire: dans cet article, Kant prévient au sujet de la tentation des Etats de créer des dépendances risquées par des dettes publiques excessives, ce qui recèle une source de conflits armés. En revanche, il ne voit aucun danger à s’entraider et à améliorer ses institutions civiles.
Les deux autres articles préliminaires sont certes de la même importance montrant la même pertinence de la réflexion de Kant, d’autant plus que les deux règles qu’ils contiennent constituent des éléments du droit international actuel. Ainsi, le cinquième article interdit l’ingérence violente d’un Etat dans la constitution et le gouvernement d’un autre Etat. Le sixième article pourrait être directement tiré du droit international humanitaire, d’autant plus qu’il interdit l’utilisation de méthodes de guerre susceptibles de susciter un ressentiment si fort que les possibilités futures de réconciliation sont pratiquement impossibles.
La paix, explique Volker Gerhardt dans son excellente interprétation du texte de Kant, n’est pas donnée aux hommes. Elle est un «état politico-juridique qui doit être établi et activement garanti. Il doit, selon le mot de Kant, être «doté».7 Outre le fait que, selon Kant, l’objectif politique d’une fondation d’Etat est toujours de garantir la paix, il attache une importance particulière à l’activité politique nécessaire de chaque citoyen pour trouver la forme juridique commune permettant de vivre dans des conditions de sécurité et de paix. Chacun doit jouer un rôle actif dans ce processus afin de garantir l’impossibilité d’une discorde, à petite comme à grande échelle. Contrairement aux articles préliminaires, les articles définitifs ont pour but de définir les conditions qui doivent être créées pour la mise en application d’une paix sans réserve. Le premier article stipule donc: «La constitution des citoyens dans l’Etat doit être républicaine.»8
Kant part de la certitude qu’il ne peut y avoir de paix assurée entre des Etats despotiques. Gerhardt explique l’idée sous-jacente: ce n’est que si l’ordre intérieur d’un Etat est garanti que l’on peut faire confiance à ses intentions de paix. Il faut que les peuples puissent se gouverner eux-mêmes selon des principes de droit libéraux. Selon Kant, la liberté est le droit le plus élevé de l’homme et donc en même temps la condition la plus importante de la paix. Dans le sens du premier article définitif, Kant a en tête l’objectif de développer progressivement, par des réformes persévérantes, une communauté de citoyens capables de parler et agir pour eux-mêmes.»9
Compte tenu du fait qu’à l’époque de Kant, les expériences pratiques d’une société républicaine qui fonctionne faisaient défaut – la Révolution française se termine par un désastre et même dans la première république qui a fait ses preuves, à savoir la Suisse, il a fallu attendre 1848 pour que cet Etat soit consolidé –, l’évidence avec laquelle il fait dépendre le développement d’une paix perpétuelle de l’établissement d’Etats républicains est particulièrement clairvoyante.
Kant évoque les aspects suivants au sujet de l’essence d’une Constitution républicaine:
Il s’agit d’un Etat qui garantit aux citoyens une vie en paix grâce au «règne du droit». Toute action – privée ou étatique – est toujours liée à ce droit, ce qui permet une sécurité juridique même au-delà des frontières nationales. En outre, c’est dans l’Etat républicain que le maintien de la paix est le mieux garanti, car ce sont les personnes les plus touchées ou les plus souffrantes par une guerre – à savoir le peuple – qui décident de la guerre et de la paix.
Le deuxième article définitif traite des relations entre les Etats. Alors que dans les concepts de paix précédents, comme celui de l’Abbé Saint-Pierre, on était très soucieux de définir et de décrire de la manière la plus concrète possible les conditions institutionnelles de l’état de paix auquel on aspirait, Kant ne formule que des conditions minimales afin de laisser la concrétisation à la politique pratique. Ce deuxième article définitif est donc également court: «Le droit international doit être fondé sur un fédéralisme d’Etats libres».10
Comme pour les individus humains, le philosophe de Königsberg part d’un état de nature sans loi entre les Etats et juge les relations réelles entre les Etats de son époque exactement de la même manière, c’est-à-dire marquées par un esprit hostile. C’est pourquoi l’ordre de paix extérieur et l’ordre de paix intérieur existant entre les citoyens doivent être garantis tous deux par le droit. Selon Kant, l’ordre international de paix devrait être régi par les mêmes principes que le droit public, à savoir «les principes de liberté et d’égalité, d’indépendance individuelle et d’obligation légale et historique».10 Il n’y a pas besoin d’un «Etat des nations» supérieur, qui remettrait en question la souveraineté des différents Etats (libres), mais d’un système contractuel de droit international, en d’autres termes d’un fédéralisme juridiquement ancré. Kant a déjà introduit cette conception du droit international dans une partie de ses articles préliminaires. Les articles préliminaires 2, 4 et 5, qui exigent et tentent de garantir l’indépendance et l’autonomie des Etats, ont déjà préparé logiquement la perspective du fédéralisme.
Le troisième article définitif s’y rattache directement et se fonde sur l’idée de la diversité des Etats:
«La citoyenneté mondiale doit être limitée aux conditions d’hospitalité universelle.»11
Par hospitalité, on entend la possibilité pour tout individu de voyager dans tous les Etats et de s’attendre à y être admis en tant que visiteur. Comme le remarque Volker Gehardt, il s’agit d’une «innovation politico-juridique», car l’homme se voit ainsi attribuer des droits positifs indépendamment de sa nationalité. Le fait qu’il ne faille pas en déduire un droit d’asile s’explique par le fait qu’en raison des deux premiers articles définitifs – dans la mesure où ils sont remplis – il ne faut pas s’attendre à ce qu’un droit d’asile soit nécessaire. Dans une république, ce sont les hommes qui décident ensemble de leur manière de vivre ensemble, en reconnaissant le règne du droit. Le fait que Kant ait retiré toute légitimité aux Etats coloniaux en tant que tels avec la formulation de cet article définitif est explosif. Si l’on considère que la fin réelle de l’époque coloniale n’est devenue réalité que dans les années 1960, on s’étonne de voir à quel point Kant était en avance sur son temps.
Kant, précurseur des principes
du droit international de l’ONU
La Charte des Nations unies de 1945, qui est la constitution de l’ONU et le plus important document actuel de droit international public, est rédigée dans une attitude exprimant la consternation des rédacteurs face aux catastrophes des deux guerres mondiales. Elle commence par les mots:
«Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, par deux fois de notre vivant, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances, […]»
Cette tâche principale des Etats réapparaît au premier article de la Charte relatif à ses buts la réaffirmant par ces paroles:
«Les Nations unies se fixent les buts suivants: 1.maintenir la paix et la sécurité internationales et, à cette fin, prendre des mesures collectives efficaces pour prévenir et écarter les menaces contre la paix.»
Les articles suivants soulignent la nécessité de développer des relations amicales entre eux, de promouvoir la coopération internationale – économique, sociale, culturelle et humanitaire – le tout dans l’optique du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales des personnes. Les Etats doivent s’efforcer de poursuivre et de réaliser leurs objectifs communs. Le deuxième article de la Charte des Nations unies établit le principe de l’égalité entre tous les membres des Etats et impose à tous le devoir inéluctable de respecter les dispositions de la Charte, ce qui consiste avant tout à ne jamais mettre la paix en danger, à éviter toute menace de violence et à s’abstenir de toute ingérence dans un autre Etat. Avec des formulations ou des focalisations légèrement différentes, cette orientation du droit international public correspond dans le fond à celle de Kant.
La Charte des Nations unies comprend également la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans laquelle, comme nous l’avons déjà vu, la dignité et le droit innés à l’être humain ainsi que sa capacité de raisonnement et de conscience, sont attestés comme méritant une protection particulière. Il est dit à la fin qu’ils (les hommes) doivent se rencontrer «dans l’esprit de fraternité», ce qui constitue le point central du droit international: les hommes appartiennent tous à la même espèce, ils forment une grande famille malgré la diversité des cultures ou autres différences extérieures. Compte tenu de sa vision sceptique de l’être humain, Kant considère comme une nécessité impérative sur le chemin de la «paix perpétuelle» que la maturité de l’individu, sa capacité à raisonner dans le sens d’une conscience éclairée, doivent être promues, ce qui nécessite justement la reconnaissance et le renforcement du règne du droit. Il fait confiance aux hommes pour s’engager sur cette voie, car le fait de vouloir agir avec intégrité morale fait aussi partie de leur sentiment de dignité.
Le lien entre tous les hommes
est basé sur leur nature commune
Après la Seconde Guerre mondiale, l’exposition photographique «The Family of Man» (La Grande famille des hommes) du photographe luxembourgeois Edward Steichen a été une manière particulièrement belle et impressionnante d’illustrer la perspective anthropologiquement cohérente de la famille humaine, qui aurait toutes les raisons de se sentir liée les uns aux autres. Après la guerre, il s’est fait envoyer des photos du monde entier sur les différents aspects de la vie culturelle. Au début des années 1950, il a composé à partir de ces photos un portrait complet de l’humanité à travers 32 thèmes essentiels de la vie humaine. Il fut extrêmement surpris de constater à quel point les besoins et les préoccupations des gens sont les mêmes partout dans le monde, à quel point la vie des individus se déroule de manière similaire, intégrée dans différentes communautés, environnements culturels et à différentes étapes de la vie. L’exposition se terminait par une grande photo de l’explosion d’une bombe atomique, rappelant la catastrophe potentielle qu’un autre Hiroshima ou Nagasaki représenterait à coup sûr pour l’avenir de l’humanité.
L’exposition a d’abord été présentée à New York à partir de 1955, puis elle a fait le tour du monde sous forme d’une exposition itinérante pendant plusieurs années et devait contribuer à renforcer partout la disposition et la volonté de coopération pacifique. Cette attitude émotionnelle, sociale et spirituelle semble malheureusement s’être largement perdue de nos jours, face à la politique actuelle, nationale et plus encore internationale. L’impressionnant traité de Kant de 1795 doit être considéré comme d’autant plus important et comme un autre héritage extrêmement précieux de Kant, qui, en plus de ses autres grandes contributions au développement de l’histoire de la pensée, doit être considéré une fois de plus comme un point culminant de la capacité de réflexion humaine et de la conscience éthique. Son écrit a jeté une lumière d’espoir et de connaissance sur l’avenir de l’humanité et devrait absolument faire partie des contenus de l’éducation démocratique dans nos écoles et être porté à la connaissance de la jeunesse. •
1 Libido: énergie qui soutient la vie et recherche le plaisir
2 V. le roman «Der Untertan» (Le sujet) de Heinrich Mann
3 Raumer, 1953, p. 127
4 ebd., p. 128
5 ebd., p. 13
6 Gerhardt, 2023, p. 74
7 Kant, 2008, p. 10
8 Gerhardt, 2023, p. 84
9 Kant, 2008, p. 16
10 Gerhardt, 2023, p. 93
11 Kant, 2008, pS. 21
Bibliographie
Adler, A. (1919). Die andere Seite. Eine massenpsychologische Studie über die Schuld des Volkes. Verlag von Leopold Heidrich, Wien
Comenius, J. A. (1993). Angelus Pacis/Friedensengel. Königshausen & Neumann, Würzburg
Gerhardt, V. (2023). Immanuel Kants Entwurf «Zum Ewigen Frieden». Eine Theorie der Politik. Wissenschaftliche Buchgesellschaft Darmstadt (2., erweiterte Auflage)
Institut International de Coopération Intellectuelle (1933). Ein Briefwechsel. Albert Einstein – Sigmund Freud. Gedruckt bei Imprimerie Darantiere, Dijon (France)
Kant, I. (2008). Zum ewigen Frieden. Reclam, Stuttgart
Schweitzer, A. (2007). Kulturphilosophie. Verfall und Wiederaufbau der Kultur. Kultur und Ethik. Verlag C. H. Beck, München
v. Raumer, K. (1933). Ewiger Friede. Friedensrufe und Friedenspläne seit der Renaissance. Verlag Karl Alber, Freiburg/München
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