La neutralité suisse en solde! Nous devons nous y opposer!

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

«La Suisse veut tenir un sommet de paix sur l’Ukraine» (SRF News), «La Suisse veut convaincre la Chine de participer à un sommet de paix» («Tages-Anzeiger»), «Sommet de paix ukrainien. Par la réussite de ce projet, la Suisse a lancé un scoop!» (Welt online) c’est ainsi ou sur un ton similaire que les médias nationaux et étrangers ont annoncé la prétendue bonne nouvelle les 15 et 16 janvier. Malheureusement, ceux se trompent lourdement qui espèrent que le Conseil fédéral se souviendrait enfin de la mission de la Suisse neutre dans un monde de guerres et de catastrophes humanitaires.
    En effet, le «Sommet de la paix» était loin de ce qu’il avait prétendu être. La veille du WEF, le 14 janvier 2024, le Conseil fédéral avait organisé, à Davos, une rencontre «dans le cadre de la formule de paix ukrainienne», au cours de laquelle le Conseiller fédéral Ignazio Cassis et le Chef de la présidence ukrainienne, Andryi Yermak, ont discuté avec quelque 80 «conseillers à la sécurité nationale» des «principes pour une paix durable et juste en Ukraine». Il s’agissait déjà de la quatrième rencontre selon la «formule de paix» en action depuis juin 2023.1 Le chiffre de 80 est d’ailleurs trompeur: il ne s’agit pas de 80 Etats soutenant le cours occidental, mais le chiffre se compose également de diplomates de l’Inde, du Brésil et d’autres Etats du Sud global ayant souhaité de participer pour être informés mais non pas intégrés dans le projet.

«Formule de paix»

La «formule» se compose de dix points et se lit comme un diktat du vainqueur à l’égard du perdant2, on dirait la capitulation inconditionnelle tout à fait irréaliste, étant donné que l’armée ukrainienne s’avère être de moins en moins au niveau de celle russe. Et plus encore si on y ajoute le fait que l’Ukraine se trouvera en faillite une fois déconnectée de la manne des Etats-Unis et de leurs groupes de pression. Parmi les dix points figurent l’évacuation complète des territoires «occupés par la Russie» (sur demande des populations respectives, mw.) le «retrait complet de toutes les troupes russes», un tribunal de guerre et des réparations à la charge de la Russie, l’intégration de l’Ukraine «dans les structures de sécurité transatlantiques de l’OTAN» et enfin un «traité de paix» comprenant tous les points mentionnés ci-dessus et d’autres encore – en somme donc rien d’autre que la capitulation inconditionnelle de la Russie.
    Le gouvernement russe n’a pas été invité au «sommet de la paix» ni désireux de danser, avec les «paons géopolitiques» au «carnaval» de Davos. La journaliste russe Elena Karayeva commente l’événement de Davos en ces termes: Au sein du «club de carnaval de Davos, ce qui se passe actuellement est étiqueté «Conférence de paix sur l’Ukraine». Orwell en pâlirait d’envie. La guerre par procuration déclenchée par ceux qui s’imposent comme les dirigeants du débat s’appelle désormais «les garanties de sécurité pour Kiev». Il y a presque deux ans, Moscou a tenté d’obtenir de réelles garanties de sécurité, mais notre voix n’a pas été entendue.»3

1,5 milliard de francs suisses
provenant de nos impôts pour la «reconstruction» en Ukraine

Lors de la conférence de presse du lendemain du sommet, la Présidente du conseil fédéral, Viola Amherd, a annoncé que la Suisse était prête à organiser une conférence de paix avec un «accent particulier sur la reconstruction», pour laquelle elle aurait «mis à disposition» 1,5 milliards de francs, à dépenser au cours des quatre prochaines années.4 Et cela en se passant de l’avis souverain des contribuables suisses! Viola Amherd, tout juste désignée par ses collègues à présider le conseil fédéral cette année, a visiblement expérimenté son rôle. Ce que Zelensky a dit lors de la conférence a échappé au public ne maîtrisant pas l’ukrainien car la traduction de RTS-News n’a pas fonctionné.
    Les réponses de Zelensky sur les trois questions posées des journalistes ont été éclairantes, (tout) d’abord celle sur les attentes financières de Zelensky (son principal intérêt, comme on sait): de nombreuses écoles et hôpitaux avaient été détruits, a-t-il dit, mais – détail remarquable – l’infrastructure électrique avait été moins attaquée cette année-là, en hiver, que l’année dernière. Vous souvenez-vous? A cette époque, c’était justement la centrale nucléaire de Zaporizhzhia alors occupée par les Russes, qui était la principale cible des bombardements – vraisemblablement, il y a un an, les Russes n’auraientnt pas bombardé eux-mêmes. Deuxième question (Reuters) sur la conférence de paix prévue: «La Chine et la Russie participeront-elles?» Sur quoi Zelensky a répondu: «Nous sommes ouverts à tous les pays reconnaissant nos conditions territoriales». A l’évidence, la participation des deux grandes puissances de l’Est est donc peu probable. Troisième question (Neue Zürcher Zeitung): «Quel rôle peut jouer la Chine?» Et Zelensky de répondre: «La Chine est importante, nous souhaitons qu’elle se joigne à notre formule de paix. Mais cela ne dépend pas uniquement de nos souhaits. Tous les pays civilisés participeront à ce sommet de la paix.»
    Pékin ferait-il donc partie de ce cercle des «pays civilisés», derrière Kiev, Londres et Washington? En tout cas, «selon des sources bien informées», Quant au conseiller fédéral Cassis, en bon élève sage et obéissant, il s’apprêterait  lui-même à s’acheminer sur la route de Pékin («Tages-Anzeiger» du 15 janvier 2024). Serait-t-il donc réellement celui qui réussira à faire que la Chine rejoigne les rangs l’OTAN? C’est un projet passionnant mais malheureusement absurde.

«Le WEF devient l’outil de propagande de l’Occident:
la Suisse est en train de perdre sa neutralité»

C’est ainsi que titre «Russion Market» sur RT de dans son édition numérique du 13 janvier 2024.5 Malheureusement, l’auteur décrit correctement les données politiques de la Suisse, à savoir sous leur double aspect. Celles, en partie imposées de l’extérieur, mais aussi celles en partie choisies par elle-même: «Au milieu d’un changement de paradigme, la Suisse se retire sensiblement de la diplomatie mondiale, ceci en raison des sanctions auto-imposées par l’UE et les Etats-Unis. Ces décisions affectent non seulement leur position neutre, mais conduisent à un changement significatif dans la perception internationale. L’ancien havre de paix diplomatique est désormais dans une phase d’oubli.» Le commentaire ajoute qu’au lieu de la Suisse, ce seraient désormais des diplomates du Moyen-Orient  qui seraient prêts à mener les négociations, souvent avec succès. La «réunion de la formule de paix», à laquelle la Russie n’était pas la bienvenue, était «un autre exemple de la neutralité décroissante de la Suisse». Conclusion du commentaire: «La Suisse connaît actuellement non seulement les températures les plus basses de cet hiver, mais aussi une phase glaciale par rapport à sa neutralité traditionnelle. Les succès de la Suisse en matière de médiation s’amenuisent et son rôle de plate-forme neutre de négociation commence à s’affaiblir.»
    Il est affligeant de devoir lire cette appréciation en provenance de Russie, mais elle est malheureusement confirmée par les attaques perpétuelles contre la neutralité de la Suisse provenant des bureaux de rédaction des médias suisses  à obédience transatlantique. Tout à fait dans le genre de ce commentaire récent: «[…] A notre époque, la neutralité [suisse] ne se dégradera en pure formule vide que sous condition qu’elle s’apprête à servir les intérêts de la Suisse en tant que pays ouvert au monde. […] Il est donc dans son propre intérêt que la Suisse soutienne les exigences retenues par les Ukrainiens dans leur «formule de paix», même si elle prend ainsi parti pour l’Ukraine (et pour la liberté de l’Europe)».6

Le Pésident Vladimir Poutine démasque la «formule de paix»

Toujours est-il que le quotidien Neue Zürcher Zeitung ainsi que Cassis ont compris qu’il ne peut y avoir de conférence de paix sans Russie; Ainsi Fischer, rédacteur, écrit-il: «Ignazio Cassis a raison lorsqu’il a souligné à Davos qu’un accord de paix n’est finalement possible qu’avec la Russie et qu’une conférence de paix doit inclure Moscou et ses partisans.» Le Président Vladimir Poutine, quant à lui, a déjà clairement fait savoir pour quoi il prenait le spectacle de cette paix à la manière de Davos et de ce qui s’y passait pour du vrai: que la soi-disant formule de paix du Président ukrainien Volodymyr Zelensky n’est rien d’autre que la continuation de «l’interdiction» des négociations avec la Russie. Le point crucial de la formule de paix étant le retrait des troupes russes d’Ukraine, Poutine a déclaré que personne ne pourrait forcer la Russie à abandonner les territoires qu’elle avait conquis jusqu’à présent, en y ajoutant: «Tout le monde comprend que ce n’est pas possible.» Poutine a souligné que «l’initiative sur le champ de bataille [reposait] entièrement entre les mains des forces armées russes» mettant en garde l’Ukraine de toute urgence de ne pas courir le risque de «la fin de son existence en tant qu’Etat». Et Poutine de répéter,  que le conflit aurait pu prendre fin il y a un an et demi déjà si l’Ukraine avait mis en œuvre les accords réels conclus lors des négociations d’Istanbul. Il regrette que les «imbéciles» de Kiev, dirigés par l’Occident, aient décidé alors de poursuivre le combat.7
    Alors à quoi bon ne pas envisager immédiatement de reprendre les relations avec la Russie, relations solides rompues par le Conseil fédéral sous la pression des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne? Cela nécessiterait toutefois, il est vrai, un certain effort de la part de la Suisse.

Retour à nos racines:
une politique extérieure pour la paix fondée sur une neutralité crédible

Enfin, un mot tiré de l’Appel de militants de la Gauche et des Verts: Oui à l’initiative pour la neutralité!*–  appel qui mérite de s’inscrire dans les journaux du Conseil fédéral et de maintes rédactions suisses: Les nombreux signataires écrivent: «Nous sommes partisans d’une Suisse multiculturelle et ouverte sur le monde. L’alinéa 4 de l’initiative stipule que la Suisse s’engagera activement à prévenir les conflits et à agir comme médiatrice. C’est pourquoi elle ne prendra pas parti dans les conflits internationaux mais mettra à disposition son territoire pour toute négociation. En tant que lieu de rencontre de cultures et d’idéologies différentes, la Suisse peut promouvoir la paix dans le monde. Notre politique de neutralité se doit d’être aussi crédible aux yeux des pays du Sud et de ceux qui ne partagent pas le modèle démocratique occidental.» [*v. document, cette édition, p. 5, réd.]

1 «Formule de paix: réunis à Davos, les conseillers à la sécurité nationale discutent des principes pour le rétablissement d’une paix durable en Ukraine».
Communiqué de presse du Conseil fédéral du 15 janvier 2024

2 Fischer, Pierre. «Conférence sur l’Ukraine à Davos: tel est le plan en dix points de Volodymyr Zelensky.» Dans: Neue Zürcher Zeitung du 14 janvier 2024
3 Karaeva, Elena. «Davos n’est plus ce qu’elle était: les paons géopolitiques ont perdu la bataille.» Dans: RT DE du 15 janvier 2024
4 «Conférence de presse avec le Président ukrainien Volodymyr Zelensky et la Présidente fédérale Viola Amherd». Spécial SRF News du 15 janvier 2024. Editeur: Beat Giger
5https://freedert.online/schweiz/192656-wef-wird-zum-propagandainstrument-westens/ 
6 Fischer, Peter A. «Zelensky au WEF: il est vrai que la Suisse s’expose.» Dans Neue Zürcher Zeitung du 15 janvier 2024
7 «La contre-offensive a échoué. Poutine prédit un «coup irréparable» pour l’Ukraine. ntv.de du 16 javier 2024

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