Ne serait-il pas souhaitable que les conditions de vie, dans toutes les régions de notre terre, soient celles qui correspondent aux rêves de paix de nos enfants (face à la guerre qu’ils ont vécue ou vivent encore!), mais aussi qu’ils s’endorment et se réveillent en paix? – avec la certitude de passer une nuit tranquille sous une couverture bien chaude; peut-être après une histoire de bonne nuit racontée par papa; après quelques pages d’un livre passionnant; sans alertes, sans tirs, sans cris et fuite dans un abri antiaérien (s’il existe)? De vivre tout simplement en paix et de savoir que, le matin, l’ours en peluche sera toujours sur le bord du lit et que maman prépare le déjeuner? De ne pas devoir se soucier du sort de ses parents ou de ses frères et sœurs? D’avoir des relations de confiance et de savoir que la famille et l’entourage familier sont dans un endroit sûr? Combien d’enfants dans les pays agités par la guerre dans le monde entier ne le souhaitent à chaque moment?
Un système immunitaire intérieur
Nous vivons aujourd’hui dans une période d’incertitude face à notre avenir. Garder la confiance dans des périodes difficiles aussi, devenir un participant, se sentir protégé sans devenir une victime ou un acteur d’intérêts de puissances dévoyées est de première importance, pour nous tous et tout particulièrement pour nos enfants. Pour consolider ces facultés intérieurement, il faut cultiver la confiance en ses propres forces et en ses semblables, processus lié à nos capacités d’éprouver de la vraie compassion, d’être prêts à coopérer avec autrui et à développer le sentiment de responsabilité personnelle, envers soi-même et notre entourage. La psychologue et historienne Annemarie Buchholz-Kaiser décrit ce mûrissement intérieur en ces termes: «L’attachement social à l’entourage humain, proche et plus loin, est une condition indispensable pour atteindre et préserver sa santé psychique et pour un déploiement complet de la personne humaine». C’est donc cet attachement qui nous lie avec notre monde, c’est lui qui nous permet de reprendre, adultes, nos responsabilités sociales envers la communité humaine qui se manifeste, tout d’abord, dans la rencontre avec nos semblables dans le respect et en dignité.
La psychologie personnelle nous apprend que les premières pierres pour construire ce mûrissement interne sont posées dans nos premières relations avec nos semblables. «C’est ainsi que se forme une sorte de ‹système immunitaire intérieur› dans le for intérieur de l’être humain, de manière qu’il ne se laisse pas, ou bien difficilement, éconduire par les intérêts particuliers de dirigeants douteux, assoiffés de pouvoir, des pulsions de domination. Si on peut ancrer dans l’enfant des positions émotionnellement orientées vers les valeurs humaines, il pourra plus tard y renouer et développer une résistance intérieure lui infligeant un fort sentiment de refus et d’inhibition contre des attaques à sa dignité et à celle de ses semblables», souligne Annemarie Buchholz-Kaiser. N’est-ce pas là, le droit de tous les enfants du monde d’accéder à cette évolution de leur sens social – condition psychologie de base pour être capable, dans l’âge plus mûr, de contribuer à la paix dans ce monde?
«Un rêve que je fais jusqu’à aujourd’hui»
Un regard sur le passé! Après les dévastations de la Deuxième Guerre mondiale des expériences amères et douloureuses se sont ancrées dans la conscience de beaucoup de gens. Une telle tragédie ne devait plus se répéter, plus jamais. On voulait tout faire pour créer la paix mondiale. La base pour cette paix générale a été élaborée, par des personnalités conscientes de leurs responsabilités, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Elle a été adoptée, en décembre 1948, lors d’une Assemblée générale de ONU, par 58 Etats membres, sans voix contraires et à huit abstentions. Depuis, elle a été traduite dans plus de 200 langues. Dans le préambule de la Déclaration on lit entre autres, que les articles qui la constituent ont été basés sur la reconnaissance de la dignité et des droits égaux et inaliénables de tous les membres de la communauté humaine, base de la liberté, de la justice et de la paix.»
Tous les Etats signataires n’étaient pas honnêtes à l’époque, comme ils l’ont démontré par la suite. A la différence de Vanessa Redgrave qui, enfant de onze ans, a écouté ce message dans une émission de radio BBC: «J’avais onze ans lorsque ces mots m’ont saisie et m’ont donné un rêve qui m’anime aujourd’hui encore». Cette expérience et l’espoir lié à une vie en paix sont devenus pour elle (et pour beaucoup d’autres personnalités de cette génération) le principe intérieur dans la vie et l’ont accompagnée dans sa carrière jusqu’à être actrice connue dans le monde entier. Née en 1937 en Grande-Bretagne, elle a vécu la guerre, sachant depuis ce que la peur et le sentiment de danger de mort signifie pour des enfants et ce qu’il faut pour trouver son chemin malgré tout, dans un environnement menaçant, et de le poursuivre dans les situations les plus menaçantes. Dans une interview elle en a parlé en ses mots: «Même si on ne sait pas lire on peut quand-même faire du théâtre et chanter. C’est ce que nous faisions dans les caves, lorsque les bombes tombaient. Nous n’avions pas d’école. Mais heureusement dans la maison d’un parent éloignée, loin en dehors de Londres, il y avait une nurse qui s’est occupée de nous. Elle m’a appris à lire et à écrire. Cela m’a – littéralement – ouverte au monde.» Dans cette expérience existentielle d’être menacée ainsi que plus tard dans l’engagement politique et dans sa vie d’actrice, Vanessa Redgrave a su s’enraciner dans la vie. L’objectif de l’égalité et de la valeur d’égalité entre tous les hommes et tous les peuples, pour elle base de liberté, de justice et ainsi de paix, ont influencé plus tard ses activités tout en gardant sa pensée indépendante. «Je ne voudrais pas me voir étiqueter comme étant de gauche ou de droite. Cette manière de penser ne m’a influencée que pendant une période limitée» dit-elle en été 2006. «La vraie performance créative de la vie se base sur le fait de s’entraider, de s’efforcer à comprendre mieux les choses incomprises auparavant.»
Des cris pour la paix
qui ne sont pas entendus
Injustice, violence, pauvreté et désespoir, qui empreignent le destin d’enfants dans les pays en guerre n’ont pas quitté les pensées de Vanessa Redgrave. Que ce soit au Soudan ou au Gaza, en Afghanistan, en Irak ou dans d’autres régions en guerre – partout la jeune génération a dû faire les mêmes expériences comme elle. Après une visite dans la ville de Sarajevo, détruite par les guerres des Balkans, elle a pris la tâche d’ambassadrice d’Unicef. Cette organisation de l’ONU a publié en 1996 le livre intitulé «I dream of peace». Il a donné une voix aux enfants de l’ancienne Yougoslavie, devenue maintenant un pays européen sauvagement détruit par la guerre. En préface Vanessa Redgrave a écrit: «Ce livre est donc une sévère alerte contre la violation de l’esprit, du corps et de la vie de ces enfants engendrée par la guerre – une violation de leur droit de se réveiller dans un monde sans guerre, indépendamment du lieu où ils vivent ou de l’identité de leur parents. A nous d’écouter les messages des seuls ambassadeurs fiables en faveur de la paix, l’unique avenir que nous avons – les enfants – et d’agir en conséquence.» Avec des images bouleversantes et des textes émouvantes les enfants adressent un appel urgent au monde d’enfin arrêter les guerres. «C’est un appel brûlant d’enfants auxquels on a ôté le droit à une vie normale et dont les cris pour la paix sont restés sans être entendus. Leurs dessins et leurs écrits sont des souvenirs muets d’atrocités indescriptibles, indicibles qui ont marqué leur vie quotidienne, a écrit James P. Grant, Executive Director de l’Unicef, dans son introduction. Dans des douzaines d’écoles et de camps et centres d’accueil dans toute la région, les enfants ont été encouragés à dessiner et écrire ce qui les remue et ce qui pèse sur leur vie. Ce qui en a résulté ne sont pas seulement les images de traumatismes, mais aussi des images du contraire – de souvenirs heureux du passé et de rêves pour l’avenir.
Des voix qui ne sont pas entendues
Les enfants et les adolescents ont rapporté des événements dans un pays dans lequel les êtres humains ont vécu traditionnellement ensemble en paix, malgré des religions, des langues et des cultures différentes. Insaisissable, pas seulement pour eux, une guerre leur a été imposée de l’extérieur, avec de l’effroi, de la misère et de la cruauté et barbarie. Des amis sont devenus des ennemis et des frontières ont séparé des familles. «Mon père était Croate, ma mère Serbe, mais moi, je ne sais pas ce que je suis», écrit Lepa (onze ans) de Belgrade. Leurs pères qui sont en guerre leur manquent. «Si seulement tu savais ce que c’est quand ton père est en guerre. Tu fuis la tristesse, mais la tristesse te suit. Tu n’entends pas un mot de ton père et un jour, Papa est devant la porte. Il reste quelques jours avec toi et puis ensuite, le bonheur est de nouveau loin», dit tristement Zana (onze ans) de Bosnie. Beaucoup d’enfants déplorent l’absence de leurs parents, frères ou sœurs. Ils vivent, chaque jour, la destruction de leur environnement familier. C’est compréhensible que – comme c’est le cas de Jelena, onze ans, de Croatie – ils aient perdu l’espoir que tout cela puisse changer un jour et ils souhaitent ardemment la fin de la guerre: «Je ne peux pas croire que dans notre ville il puisse y avoir une vie, de nouveau. Quiconque a vu la destruction ressentirait la même chose. C’est pourquoi cette sale guerre doit s’arrêter.» Un appel auquel on ne peut que rejoindre, tout comme le dit Maida de Skopje (douze ans): «La guerre, c’est le mot le plus triste qui passe sur mes lèvres frémissantes. C’est un oiseau méchant qui ne trouve jamais la paix. C’est le corbeau de la mort qui détruit nos maisons et nous prive de notre enfance. La guerre c’est le plus méchant des oiseaux, il colore les rues rouges de sang et transforme le monde en enfer». Jelena et Maida parlent pour des millions d’autres enfants, en Gaza, au Congo de l’est, au Soudan et dans beaucoup d’autres pays du monde qu’on ne laisse pas en paix et où la Charte des Nations Unis est foulée des pieds. Partout, il y a des enfants comme Sandra (dix ans), tourmentés par la gravité de ce qu’ils ont vécu: «Il y a tellement de gens qui n’ont pas souhaité cette guerre ou cette terre noire qui les couvre maintenant. Parmi eux il y a mes amis. J’ai envoyé ce message: Ne faites jamais du mal aux enfants, ils ne sont coupables de rien.» Ils espèrent la paix, qu’on ne les oublie pas: «La guerre est là, mais nous attendons la paix. Nous nous trouvons dans un coin du monde dans lequel personne ne semble nous entendre.» (Elèves d’une cinquième classe de Zenica en Bosnie). Un appel que Roberto (dix ans) de Pula en Croatie soutient avec sa vision de la paix: «Si j’étais président, les chars de combat seraient transformés en maisons de jeux pour les enfants. Des boites de sucreries tomberaient du ciel. Les mortiers tireraient des ballons. Et les canons fleuriront avec des fleurs. Tous les enfants du monde dormiront dans une paix qui ne sera dérangée ni par des alarmes ni par des coups de feu. Les réfugiés pourront retourner dans leurs villages. Et nous recommencerons à nouveau.»
La paix a besoin de la maturité humaine.
C’est notre devoir commun de satisfaire ce souhait de paix mondiale dont les enfants nous appellent, et ils ont raison. C’est aujourd’hui d’autant plus urgent que notre monde se trouve à un point de non-retour critique et dangereux. La paix a besoin du respect mutuel des autres pays, elle exige le respect devant toutes les cultures et l’honnêteté dans nos relations avec elles. Des objectifs maniaques en quête de domination du monde entier sont nourris de l’arrogance et du sentiment de son exclusivité. Ce sont ces attitudes d’égoïsme brutal qui se mettent à l’encontre de la formation actuelle d’un nouvel ordre multipolaire dans les relations des Etats de ce monde unique à nous tous. Ce qui se passe dans notre monde dépend pour cette raison de la condition fondamentale qu’enfin, des personnalités mûres se mettent à finalement débarrasser le terrain empoisonné de la guerre pour entamer, avec beaucoup de responsabilité, la tâche suprême de créer une communauté mondiale sur la base de garantir une vie d’ensemble sur notre planète – en paix. •
1 Buchholz-Kaiser, Annemarie: Die Menschen stärken; manuscrit, Zurich 2000, p. 9.
2 loc.cit., p. 12
3https://www.ohchr.org/en/human-rights/universal-declaration/translations/german-deutsch
4 Geisenhanslüke, Ralph: «Ich habe einen Traum: Vanessa Redgrave.» Ds: Die Zeit 23/02/2006 No9. https://www.zeit.de/2006/09/Traum_2fRedgrave
5 loc.cit.
6 Redgrave a protesté contre les armes nucléaires et, plus tard, contre la guerre du Vietnam. Elle a accepté les difficultés que cela représentait pour sa carrière d’actrice, même lorsqu’elle s’est fait un renom pour son soutien à l’OLP et à l’Armée républicaine irlandaise (IRA). Elle a ainsi produit une série de documentaires reflétant ses convictions, mais a également endossé le rôle d’une survivante de l’Holocauste et a joué plus tard dans le film «Julia», la fille issue d’une famille juive qui a résisté dans la clandestinité à la montée du nazisme. Cette performance cinématographique lui a valu d’ un Oscar en 1978. Avant la remise du prix, elle a reçu des menaces d’un groupe juif qui protestait contre son engagement en faveur des Palestiniens. Dans son discours, elle s’est défendue (interrompu par des huées) en soulignant son engagement contre le fascisme et l’antisémitisme. Le 10 décembre 2023, à l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Vanessa Redgrave a été récompensée pour l’ensemble de sa carrière par le Prix du cinéma européen. (Geisenhanslüke, Ralph. «Ich habe einen Traum: Vanessa Redgrave.» Ds: Die Zeit 2/.02.2006 )Nr.9. https://www.zeit.de/2006/09/Traum_2fRedgrave
7 Geisenhanslüke, Ralph: «Ich habe einen Traum: Vanessa Redgrave.» Ds: Die Zeit 23/02/2006 No9. https://www.zeit.de/2006/09/Traum_2fRedgrave
8 Unicef. I dream of peace. Images of war by children of former Yugoslavia. New York: Harper Collins 1994. Toutes citations qui suivent sont tirées de ce livre.
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