Israël et ses voisins, un entretien avec l’ambassadeur Chas Freeman

Un dialogue de Patrick Lawrence avec Chas Freeman

Pourquoi les pays du Moyen-Orient, qui se sont engagés jadis à soutenir la cause palestinienne, sont-ils restés si silencieux face aux assauts terroristes d’Israël à Gaza, en Cisjordanie et maintenant au Liban? Où sont les Russes et les Chinois? Le moment n’est-il pas venu de faire preuve de solidarité entre les nations non-occidentales? Ne pourrait-on envisager de se tourner vers elles afin de contrer le soutien inexcusable que les Etats-Unis et leurs clients accordent au régime sioniste? Que pouvons-nous attendre, à l’avenir, des BRICS, dont les membres (au nombre de 10 aujourd’hui, auxquels s’ajoutent 13 nations «partenaires») viennent de conclure un sommet à Kazan?
    Ce sont là les questions que je me pose un an après les événements du 7 octobre 2023. Partant du principe que d’autres se les posent aussi, j’ai posé ces questions à Chas Freeman, illustre ex diplomate. Qui serait mieux placé? M. Freeman a notamment été Secrétaire adjoint à la Défense, ambassadeur en Arabie saoudite et chargé d’affaires par intérim à Bangkok et à Pékin. I
    
Andrew Bacevich, celui que j’appelle «le colonel dissident», m’a dit un jour – c’était pendant la campagne électorale de 2016 – qu’il pensait que Freeman devrait être le prochain secrétaire d’Etat. Il est aussi, ce qui ne vous surprendra pas, le rédacteur en chef de l’article sur la «diplomatie» de l’Encyclopedia Britannica.
    On trouvera ci-après notre échange prolongé par courriel.

Patrick Lawrence:Un journal allemand a récemment publié une interview du Ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, lequel a exprimé sa profonde frustration envers les Américains alors qu’Israël poursuit ses attaques à Gaza, et maintenant en Cisjordanie et au Liban. On ne peut pas travailler avec les Américains, a-t-il grandement déploré. Ils disent une chose, la pensent rarement et finissent généralement par en faire une autre. Cela m’amène à poser ma première question dans le contexte de l’élargissement de la crise au Moyen-Orient, pourriez-vous livrer vos commentaires au sujet des stratégies diplomatiques des alliés des Etats-Unis dans la région?
    De manière générale, qu’est-ce qui leur passe par la tête? Pourquoi n’ont-ils pas réagi plus vigoureusement à l’assaut israélien? Sont-ils tout simplement des «vendus», d’une manière ou d’une autre? Ou bien est-ce qu’il y a plus que cela?

Plus d’alliés «diplomatiques»

Cas Freeman: Les Etats-Unis n’ont plus d’«alliés diplomatiques» dans la région. La colère populaire contre le soutien américain à la stratégie israélienne visant à débarrasser la Palestine de sa population arabe et à s’étendre à Gaza et au Liban rend l’alignement sur Washington trop coûteux sur le plan politique pour que les dirigeants arabes prennent ce risque.
    La perversité d’Israël a mis fin à toute perspective de normalisation des relations entre les Etats arabes et ce pays. Ceux qui avaient normalisé leurs relations avec Israël sont aujourd’hui soumis à la pression populaire qui les pousse à les suspendre ou à revenir sur leur décision. Plus important encore, les Arabes du Golfe ont déclaré qu’ils seraient neutres dans tout conflit entre l’Iran, Israël et les Etats-Unis.  Le génocide israélien à Gaza a créé un état de guerre entre Israël et le Yémen et a favorisé un rapprochement entre l’Egypte et la Turquie, auparavant très éloignées l’une de l’autre.

Le Hamas et l’OLP

On a dit que, par le passé, les nations voisines avaient plus d’affinités avec l’OLP qu’aujourd’hui avec le Hamas parce que la première de ces organisations était laïque, et la seconde non. Est-ce exact et, dans l’affirmative, cette distinction a-t-elle de l’importance aujourd’hui?

Le Hamas est une émanation des Frères musulmans, un mouvement démocratique islamiste. Il est arrivé au pouvoir en Palestine en remportant les élections de 2006. Les dirigeants du Hamas estiment que les sociétés arabes devraient être gouvernées par des dirigeants élus par les électeurs plutôt que par des princes, des généraux, des dictateurs ou des voyous. Les dirigeants arabes qui appartiennent à ces catégories autoritaires trouvent naturellement cette position préoccupante.  La religion n’est pas un facteur important dans les relations des Etats arabes et musulmans avec le Hamas.  Comme les dirigeants arabes, le Hamas est musulman sunnite. Les divergences des dirigeants arabes avec le Hamas sont bien moindres qu’elles ne l’étaient avec les dirigeants athées de l’OLP. L’Iran, qui est chiite, a été le principal soutien du Hamas, non pas pour des raisons religieuses, mais pour soutenir l’autodétermination palestinienne.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous parler de certains pays en particulier? Mohammed bin Salman, le prince héritier saoudien, a affirmé tout récemment qu’il ne saurait être question d’un rapprochement entre Riyad et Tel-Aviv tant que les Palestiniens ne disposeront pas d’un Etat ayant Jérusalem-Est pour capitale. Qu’est-ce qui se cache derrière tout cela? Quelle est la position des Emirats, et notamment du Qatar, sur la question israélo-palestinienne?

Les Etats arabes du Golfe soutiennent tous que les Palestiniens ont droit à l’autodétermination et sont favorables à une division de la Palestine en deux Etats. Ils sont confrontés à des critiques de plus en plus vives de la part de leurs opinions publiques pour n’avoir rien fait concrètement pour faire avancer cet objectif. Le dernier sondage que j’ai vu sur l’opinion saoudienne concernant la normalisation avec Israël montrait que 94% des Saoudiens y étaient opposés. La plupart d’entre eux estiment aujourd’hui que les Etats arabes qui ont établi des relations diplomatiques avec Israël devraient maintenant les interrompre.
    Le statut de Jérusalem est une question importante pour les deux milliards de musulmans que compte la planète.  Les intrusions dans la mosquée Al-Aqsa et les appels à la judaïsation lancés par certains fanatiques au sein du cabinet israélien sont profondément offensants pour les Arabes, musulmans aussi bien que chrétiens.

Boycott de séance à
l’Assemblée générale de l’ONU

J’ai été très heureux, et même ravi, de voir une vidéo du boycott massif de l’Assemblée générale des Nations unies lorsque M. Netanyahou a pris la parole à l’Assemblée générale, le 27 septembre. Je considère qu’il s’agit d’un moment important et j’ai donc quelques questions à vous poser à ce sujet. Comment avez-vous pris connaissance de cet événement et quelle a été votre réaction?

Les exactions commises par Israël en ont fait la société la plus détestée de la planète. Netanyahou est considéré comme l’équivalent moral d’Adolf Hitler et Israël est un paria partout en dehors de l’Occident. Personne, à l’exception d’un petit groupe de politiciens américains, ne veut être vu en compagnie d’Israël ou de Netanyahou.  Le débrayage était pratiquement inévitable, à peine compensé par l’importation par Netanyahou de ses fans israéliens pour applaudir ses multiples inversions du faux avec le vrai.

Je me demande en fait qui se trouvait dans ce groupe qui a quitté l’Assemblée générale de l’ONU. Ceux qui sont sortis appartenaient-ils à un vaste mouvement de puissances non occidentales? La quasi-totalité des membres de la nouvelle «majorité mondiale» – le soi-disant «Sud mondial» – semble avoir quitté les lieux, ne laissant sur place qu’un contingent isolé d’Occidentaux. En outre, les ambassadeurs des Nations unies n’agissent généralement pas sans l’autorisation de leur Ministère. Peut-on supposer que c’était le cas pour ce boycott? Ce qui s’est passé était-il prévu à l’avance, peut-être même avec un certain degré de coordination? Cela nous apprend-il quelque chose?

Vous avez probablement raison de dire qu’il y a eu une consultation préalable avec leurs capitales, mais Israël est aujourd’hui tellement méprisé au niveau international que cela n’aurait guère été nécessaire. L’antisionisme est devenu une politique de bon aloi presque partout en dehors de l’Occident.

Les pays du Moyen-Orient

Et qu’en est-il des pays d’Asie occidentale qui ne sont ni des alliés ni des obligés des Américains? L’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie. Comment ont-ils réagi – ou non – à la crise de Gaza et comment les verriez-vous réagir à mesure qu’elle s’étend?

Les agissements d’Israël à Gaza, en Syrie, au Yémen et maintenant au Liban, ainsi que ses efforts pour provoquer une guerre régionale de plus en plus étendue au Moyen-Orient, ont accompli ce qui était auparavant impossible. Elles ont réuni les chiites et les sunnites et consolidé le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Plus la cruauté d’Israël à l’égard de ses populations arabes captives et de ses voisins est grande, plus la coalition contre ce pays se renforce. [Le Royaume d’Arabie saoudite et la République islamique ont renoué des liens, après une longue rupture, à la suite de pourparlers parrainés par les Chinois en mars 2023].

La grande question pour beaucoup de gens est de savoir pourquoi il y a eu si peu de réactions effectives, même sur le plan diplomatique, à la conduite barbare d’Israël depuis les événements du 7 octobre. La Ligue arabe a fait quelques déclarations fermes, mais elles n’ont pas donné grand-chose. Lorsque la barbarie d’Israël est devenue évidente à l’automne dernier, quelques pays d’Amérique latine ont retiré leurs ambassadeurs ou ont rompu leurs relations. Les Sud-Africains ont emprunté la voie juridique, de manière très honorable. Mais à part cela, il ne se passe pas grand-chose. Pourquoi ce silence, cette frilosité, quel que soit le nom qu’on lui donne? Il semble que «le monde entier regarde», mais que ce même monde entier ne fasse rien. Cela peut-il se résumer à la question de la puissance américaine?

Pourquoi tant de frilosité et de silence?

Cela se passe peut-être selon l’adage, personne ne veut «jouer à qui pisse le plus loin avec un putois» – si vous me pardonnerez cette expression vulgaire dans ce contexte plus que sérieux. Mais il désigne particulièrement les faits lorsque le putois est soutenu par un pays aussi puissant et enclin aux actions coercitives que les Etats-Unis. Les partisans du sionisme ont la réputation, bien méritée, de calomnier méchamment leurs détracteurs et d’être déterminés à les ostraciser. Cela intimide la plupart des gens et des gouvernements.
    Tactiquement, à quelques honorables exceptions près, les pays ont choisi de se tordre les mains tout en restant assis. Mais les implications stratégiques (c’est-à-dire à long terme) de l’autodélégitimation d’Israël seront d’une grande portée. Le droit international et la majorité mondiale ont peut-être été temporairement mis de côté par des gouvernements peu enclins à prendre des risques, mais la tolérance de leurs opinions publiques à l’égard d’Israël en tant que fauteur de méfaits s’amenuise de plus en plus.  Le fossé se creuse entre les élites politiques bien établies et l’opinion publique indignée, ce qui déstabilise la politique dans les sociétés démocratiques comme dans les sociétés non démocratiques. Les demandes de re-démocratisation des sociétés occidentales et de sanctions à l’encontre d’Israël se font de plus en plus pressantes. Le mouvement «BDS» – boycott, désinvestissement et sanctions – gagne du terrain, tout comme il l’a fait contre la forme beaucoup plus modérée d’apartheid tolérée par l’Occident en Afrique du Sud.

Les Européens

En ce qui concerne les Européens, en particulier les Britanniques, les Français et les Allemands, devons-nous conclure que ces nations sont simplement des Etats vassaux, ou leurs positions sont-elles plus complexes?

Elles sont toutes différentes. Les Allemands sont rongés par la culpabilité pour avoir conduit l’Holocauste antisémite et surcompensent en conférant l’immunité à Israël, qui a vu le jour à la suite de cette atrocité européenne. Les Britanniques et les Français, comme les Américains, poursuivent des politiques contrôlées par des lobbies sionistes très efficaces et des médias qui s’autocensurent en faveur d’Israël. Ironiquement, certains pays européens ayant un passé fasciste et antisémite et des affinités actuelles pour l’autoritarisme xénophobe considèrent la culture politique israélienne contemporaine comme similaire à certains égards à la leur. Et l’islamophobie est un facteur croissant dans la chrétienté européenne.

BRICS, Chine, Afrique du Sud

Venons-en aux grandes puissances non occidentales, les Russes, les Chinois, les Indiens, et si vous voulez les inclure, les Brésiliens. Je m’attendais à ce qu’ils soient plus nombreux aujourd’hui. Les Chinois ont convoqué cette réunion des différentes factions palestiniennes, peu avant l’assassinat d’Ismail Haniyeh le 31 juillet. Cela m’a semblé être une initiative typique de la nation qui prétend vivre selon les cinq principes de Zhou Enlai. Que pensez-vous de la manière dont les grandes puissances non occidentales ont jusqu’à présent réagi à la crise de l’Asie occidentale?   

Ces pays sont engagés dans la mise en place d’une alternative à la structure des Nations Unies, de plus en plus impuissante, et à ses agences de régulation mises à l’écart, comme l’OMC. Le groupe des BRICS est né d’un mouvement de protestation contre la primauté des Etats-Unis et du G-7 sur les grandes puissances non occidentales. Il se dote à présent du potentiel nécessaire pour convoquer des assemblées ad hoc capables d’établir des règles en dehors du cadre des Nations unies, en attendant la réforme et la réorganisation de l’ONU afin de restaurer son efficacité.
    Les efforts chinois de rétablissement de la paix en Asie occidentale et en Europe de l’Est sont soutenus par les autres membres des BRICS. Il est significatif que l’Afrique du Sud – le «S» des BRICS – ait porté plainte contre le génocide israélien devant la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale. Nous assistons à l’émergence progressive d’une volonté de la part des pays décolonisés d’obliger l’Occident à respecter les idéaux qu’il professe si hypocritement.

Quelle est votre vision de la situation sur le plan diplomatique? On peut se demander, alors que les Israéliens ont ouvert un nouveau front au Liban et que rien n’indique que les puissances occidentales réagiront différemment, si nous ne sommes pas en train d’assister à ce que je qualifie d’impunité sans limite, d’impunité sans fin. Quelle influence, quel impact, les autres nations peuvent-elles avoir sur la crise du Moyen-Orient à ce stade? Si vous le voulez bien, prenez d’abord en compte les pays non occidentaux. Pouvons-nous attendre de ces nations quelque chose de plus que ce que nous avons pu voir jusqu’à présent? La question est particulièrement importante, me semble-t-il, parce qu’elle concerne le sujet plus vaste du «nouvel ordre mondial» et de ce qu’au fond, une telle notion peut ou ne peut pas signifier.

L’essor «des autres» dans
ce monde est une réalité

Je pense que le monde hors Occident insiste de plus en plus sur le respect des normes mondiales par ce dernier au fur et à mesure qu’il devient plus puissant et plus prospère. Comme l’a dit Fareed Zakaria, l’«essor des autres» est une réalité. Le centre de gravité mondial a quitté la région euro-atlantique. Les puissances de rang intermédiaire gagnent en indépendance et en assurance dans la défense de leurs propres intérêts et se montrent moins déférentes à l’égard du club des puissances impérialistes que constitue le G-7. Et si la politique des pays précédemment colonisés est souvent dominée par les tremblements de la gueule de bois post-coloniale, leurs revendications, comme leurs luttes pour l’indépendance, ont été inspirées par les idées qu’ils ont assimilées de l’Occident.
    Pour l’essentiel, ils cherchent à affirmer les normes mondiales édictées pendant la période de domination occidentale, plutôt qu’à s’en affranchir. Ils ne cherchent donc pas à renverser l’ordre établi, mais à rétablir la conformité avec ses idéaux. La perception américaine selon laquelle ils sont «révisionnistes» a un fondement, mais l’antagonisme américain à l’égard de leurs revendications est fondé sur le désir de conserver un rôle hégémonique dans l’économie politique mondiale et la capacité d’utiliser la force pour passer outre ces mêmes normes que les Américains ont contribué à élaborer et qu’ils prétendent toujours soutenir.

L’impuissance politique de l’ONU

Encore une question à ce sujet. On reparle actuellement d’une réforme fondamentale de l’ONU et, bien que ce ne soit pas un sujet nouveau, le discours semble plus sérieux aujourd’hui – plus prometteur. La semaine dernière, l’Assemblée générale a fait la démonstration claire et simple d’un problème majeur: L’AG peut faire des recommandations, mais toute l’autorité exécutive appartient aux cinq puissances du Conseil de sécurité. Ce problème, un défaut structurel si l’on veut, remonte à la fondation de l’ONU. Richard Falk et Hans-Christof von Sponeck, deux éminents spécialistes ayant une longue expérience en tant que hauts fonctionnaires de l’ONU, viennent de publier Liberating the United Nations: Realism with Hope (Stanford). Je considère qu’il s’agit d’un livre important. Pouvez-vous exprimer à haute voix le fond de votre pensée au sujet de l’actuelle extension de la crise au Moyen-Orient et sur ce qui pourrait être fait pour y remédier dans le contexte de ce nouveau mouvement de réforme des Nations unies?

Là, il va nous falloir, d’urgence même, faire preuve d’imagination diplomatique. Rien dans le droit international n’empêche le rassemblement ad hoc de pays partageant les mêmes idées pour concerter leurs politiques et leurs pratiques sans tenir compte des Nations unies. L’ONU fait preuve d’une impuissance politique qui rappelle celle de la Société des Nations face aux agissements fascistes des années 1930 en Chine, en Ethiopie et en Europe centrale. Nous devons espérer que la réforme ou le renouvellement de l’ONU ne nécessitera pas une guerre mondiale, comme ce fut le cas pour remplacer la Société des Nations par une nouvelle organisation, plus efficace pendant un certain temps.
    Comme je l’ai suggéré, les BRICS semblent se développer en une institution qui pourrait donner naissance à de nouveaux systèmes de gouvernance mondiale plus équitables. Mais qu’il en soit ainsi ou non, la nécessité de se concentrer sur des objectifs communs et de concevoir des mesures collectives pour les poursuivre est une urgence. Falk et von Sponeck ont mis le doigt sur quelque chose d’important.

Il se trouve que les BRICS viennent de clore un sommet qui s’est tenu à Kazan, le long de la Volga, dans le sud-ouest de la Russie. J’ai trouvé que le moment choisi était évocateur, ne serait-ce que vaguement, d’un ordre mondial à venir se préparant à remplacer un ordre en déclin. La couverture de la presse occidentale a été, bien sûr, d’un ton de rancœur presque farfelu, et j’ai toujours interprété ce genre de choses comme un indicateur de l’insécurité de l’Occident. Comment analysez-vous le sommet et son importance? La grande nouveauté qui devait sortir de la réunion de Kazan – c’est du moins ce que je pensais – était l’annonce formelle d’un partenariat stratégique, voire d’une alliance, entre la Russie et la République islamique. Cela aurait eu d’énormes répercussions sur la crise de l’Asie occidentale. Mais je n’ai rien relevé concernant les relations entre Moscou et Téhéran. Auriez-vous une idée à ce sujet?

BRICS: dialogue diplomatique honnête
et coopération plutôt que dissuasion

Il n’est pas surprenant que ceux qui mènent des politiques étrangères militarisées considèrent les BRICS comme un «bloc» du type G-7 ou comme une alliance potentielle du type OTAN, mais ce n’est ni l’un ni l’autre. C’est une alternative à la domination occidentale sur les institutions et les règles internationales, mais cela reste un forum, comme les Nations unies, et non une coalition anti-occidentale. La traiter comme une coalition anti-occidentale pourrait toutefois l’inciter à le devenir. Si la Russie et l’Iran voulaient formaliser leur relation de défense, la réunion des BRICS à Kazan aurait été l’occasion de le faire, mais le moment n’était pas opportun, étant donné les incertitudes créées par les menaces d’Israël d’attaquer l’Iran pour rétablir la domination par escalade et parvenir ainsi à l’hégémonie régionale à laquelle il aspire. La Russie n’a pas besoin d’une alliance en bonne et due forme pour être en mesure d’aider l’Iran ou d’autres pays de la région à se défendre contre l’agression israélienne.  Elle le fera dans la mesure où cela sert ses intérêts, comme elle l’a fait en Syrie. En contrepartie, l’Iran continuera à vendre des drones et à transférer des technologies à la Russie. Une des différences majeures entre l’ordre mondial de l’après-guerre froide et le nouveau système international vers lequel nous nous acheminons est la diminution du rôle des alliances et le retour de la diplomatie classique. Le système émergent est dominé par des ententes (partenariats limités à des fins limitées) fondées sur des intérêts communs, dont certains peuvent être transitoires, plutôt que par des alliances incarnant des valeurs et des intérêts partagés.
    Les cinq premiers Etats membres des BRICS sont tous non alignés et considèrent les «alliances» comme un passif plutôt que comme un atout stratégique inaltérable. Ils sont prêts à défendre leurs propres intérêts, qu’ils privilégient par rapport à ceux des autres nations. Ils acceptent d’aider les autres à se défendre lorsque les circonstances l’exigent, mais pas autrement.
    Ce point de vue repose sur un raisonnement simple. L’engagement de défendre d’autres Etats souverains expose ceux qui le prennent au risque d’être mêlés à des combats qui ne sont pas les leurs pour défendre des intérêts qu’ils ne partagent peut-être pas. George Washington l’avait bien compris, et c’est pourquoi il a recommandé aux Américains d’éviter les alliances complexes et les attachements passionnés à d’autres nations. Nos dirigeants actuels ne comprennent pas la sagesse d’une approche aussi flexible et tellement intéressée des affaires étrangères. Ils semblent incapables de réaliser que les Etats membres des BRICS donnent la priorité au dialogue diplomatique et à la coopération plutôt qu’à la dissuasion militaire. Les membres des BRICS cherchent à sauvegarder leur souveraineté non seulement en se libérant de l’hégémonie occidentale, mais aussi en renforçant leur coopération mutuelle sur la base de concessions mutuelles au service d’intérêts communs.

Source: Scheerpost.com du 28 octobre 2024; https://scheerpost.com/2024/10/28/patrick-lawrence-israel-and-its-neighborhood-an-interview-with-ambassador-chas-freeman/ 

(Traduction Horizons et débats)

Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.

Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.

OK