Un vent frais en poupe – la résistance contre l’accord-muselière s’accroît

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Il règne une effervescence fébrile au sein de l’administration fédérale. Des armées de fonctionnaires et de diplomates «négocient» avec zèle depuis des mois avec la Commission européenne sur les «points ouverts» du paquet contreversé de négociations. Le 6 novembre, le Conseil fédéral a procédé à un état des lieux interne. Il a toutefois omis de s’adresser ensuite aux médias et d’informer la population. Les raisons du mutisme bernois ne sont pas difficiles à deviner.
    Il est par contre encourageant d’observer que la résistance face à l’alignement de la Suisse derrière l’UE s’accroît. A l’instar de l’Initiative sur la neutralité, qui s’oppose à l’intégration de fait de notre pays dans l’OTAN, c’est au tour de l’Alliance Boussole Europe, une association d’entrepreneurs suisses comptant environ 2500 membres, de lancer son initiative populaire «Initiative Boussole» contre l’intégration institutionnelle de la Suisse dans l’UE. Un sondage de l’institut de recherche sur l’opinion publique gfs à Berne arrive à une conclusion similaire. Selon ce sondage, les électeurs suisses interrogés souhaitent certes en majorité entretenir de bonnes relations avec les pays de l’UE (ce que personne ne remet en question), mais ils ne veulent pas sacrifier le modèle étatique suisse au profit du «moloch bureaucratique qu’est l’UE». Ce sondage sera examiné à la loupe ultérieurement.1

«Etat des lieux» du Conseil fédéral – sans point de vue

Le communiqué de presse du Conseil fédéral du 6 novembre se compose de peu de contenu et brasse beaucoup d’air pour rien.2 Les négociations seraient «bien avancées» pour la plupart des dossiers, d’autres feraient l’objet de «négociations intenses afin de parvenir à des positions concordantes». Et ainsi de suite. En réalité, depuis la publication du «Common Understanding» en décembre 2023, il est évident qu’il n’y a plus rien à négocier. Le résultat des négociations se trouve dans ce document, voilà ce qu’a affirmé la Commission européenne sans équivoque, dès le début. Le projet préfabriqué à Bruxelles a été le résultat «des négociations» déjà, tout au goût de la bureaucratie centraliste bruxelloise: en fait, là déjà, il s’agissait d’un document rédigé par ses fonctionnaires, en anglais et dans le style approprié aux documents bruxellois, c’est-à-dire difficile à comprendre pour les gens ordinaires. Son contenu a été présenté lors de son apparition (en anglais seulement!), juste avant les vacances d’été, dans Horizons et débats.3
    Or, en reprenant la paperasse avec Bruxelles en mars 2024, le Conseil fédéral s’est engagé dans une impasse, contre toute raison et contrairement aux intérêts du pays et de sa population. Comme il fallait s’y attendre, l’UE ne fait aucune concession, pas même dans des domaines absolument essentiels comme la protection des salaires selon les standards suisses ou une gestion, ne serait-elle que modérée, de l’immigration allant débordante. C’est pourquoi, selon le communiqué de presse, le Conseil fédéral continue d’impliquer davantage la Conférence des gouvernements cantonaux, les partenaires sociaux et les associations d’entreprises afin de faire passer une «transposition interne» des directives de Bruxelles dans la législation suisse. Ses interlocuteurs n’oublieront toutefois pas qu’au final, ce sera le peuple suisse qui décidera.
    Les nombreux chantiers à part (14 équipes de négociation thématiques sont impliquées) ne doivent pas nous détourner de l’essentiel. Les éléphants dans la pièce restent (1) la reprise de facto obligatoire du droit de l’UE et (2) l’autorité suprême de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) en cas de divergences ainsi que (3) l’interdiction de toute subvention étatique, même dans le domaine social, vital pour la Suisse – trois no-go donc dans une Suisse fondamentalement fédéraliste, façonnée par la démocratie directe.
    Même la rédaction du dossier suisse de la «Neue Zürcher Zeitung» se demande, en dépit de sa ligne jadis imperturbablement pro-UE, par rapport au communiqué du Conseil fédéral précité: «A quoi bon tout cela?» Après tous les avertissements des «élites» suisses pro-UE, savamment recueillis dans les colonnes de la NZZ, selon lesquels notre économie ne survivrait pas sans accord-cadre, son rédacteur Fabian Schäfer admet enfin: «En dehors des hautes écoles et de quelques branches exportatrices qui souffrent des tentatives de pression politique de l’UE, on ne ressent guère de problèmes aigus aujourd’hui»4. Bien au contraire! Comparée aux entreprises des pays de l’UE qui luttent pour leur survie, l’économie suisse est bien plus résistante (voir encadré2): C’est un secret de Polichinelle qu’en matière d’une économie stable et propice, c’est l’autonomie et la capacité d’innovation qui apportent son éclosion.

Entrepreneurs suisses: souveraineté et démocratie directe avant tout

Après qu’Economiesuisse, l’alliance corporative représentant les groupes industriels suisses plutôt d’envergure, a longtemps prétendu parler au nom de la totalité des «entrepreneurs» suisses, deux autres associations d’entrepreneurs, Autonomiesuisse et Boussole Europe, se font entendre depuis quelques années avec des milliers de membres. Ils se montrent réfractaires aux cercles préconisant de sacrifier la souveraineté et la démocratie directe suisses pour (peut-être) se trouver un peu plus à l’abri des coups d’épingle (et parfois de marteau) en provenance bruxelloise.
    Le 1er octobre 2024, Boussole Europe a lancé son initiative populaire dénommée, dans sa version courte, «Initiative Boussole». Elle vise à empêcher tout accord institutionnel dicté par l’extérieur, notamment l’UE (voir encadré ci-dessous: Initiative populaire fédérale «Pour la démocratie directe et la compétivité de notre pays – Contre une Suisse membre passif de l’UE»). Le fait que de nombreux entrepreneurs suisses prospères attachent plus d’importance à l’autonomie de la Suisse qu’à une intégration plus étroite dans l’espace économique de l’UE provoque considérablement d’inquiétude au sein de la Berne fédérale et dans les médias mainstream – tant mieux!

Le raisonnement bien fondé de «Boussole Europe» contre l’accord institutionnel

Il est vivement recommandé de lire l’ensemble du raisonnement des initiateurs afin de mieux saisir le contenu et surtout la teneur profonde de l’initiative dans son ensemble et de ses différentes parties. Les auteurs font preuve d’un haut niveau de culture civique et politique, qui ne va malheureusement plus de soi aujourd’hui, et d’un esprit suisse profondément enraciné. Une leçon d’instruction civique du meilleur effet.5
    Voici donc quelques extraits avec compléments explicatifs.

– Préserver la participation à la démocratie directe.
C’est sous ce titre que l’objectif de l’initiative et le texte de l’initiative se trouvent expliqués, dans une vue d’ensemble: «La Suisse dispose d’un système politique unique en son genre qui se caractérise par une prise de décision conforme aux principes de la démocratie directe et par une stabilité élevée. Ce système a contribué de manière essentielle à l’important consensus social et au bien-être actuel du pays, raison pour laquelle nous souhaitons le préserver et le protéger. La reprise automatique du droit et la soumission à la juridiction de l’UE prévues par l’accord-cadre remettent désormais en question notre autodétermination dans une très large mesure. Nous nous y opposons. L’initiative fait confiance au peuple et renforce la démocratie. Les traités internationaux de grande portée, par lesquels la Suisse cède à des tiers une partie de sa souveraineté en matière de définition des lois en vigueur, doivent rester soumis au vote des citoyens et des cantons. Seuls ceux qui ont peur de la démocratie ont peur des décisions populaires ».

– Le peuple doit pouvoir décider librement.
Sous cette entrée, est présenté le nouvel art. 164, al. 3. Le nouvel article ne veut pas autoriser les reprises de droit en tant que règle générale aux contenus imprévisibles, mais uniquement par rapport à un état de fait étroitement limité et ancré concrètement dans une loi ou un accord: «L’UE veut que la Suisse reprenne tous les actes juridiques de l’UE ayant une incidence sur le marché intérieur, aujourd’hui et à l’avenir. Si nous nous y opposons, par exemple par le biais d’un référendum, nous serons de fait contraints de la reprendre au moyen de paiements compensatoires et de pressions politiques. C’est ce que nous voulons éviter avec notre initiative. Le peuple doit pouvoir décider sans que des mesures compensatoires ne le menacent. C’est pourquoi la reprise de dispositions législatives importantes doit d’abord être soumise au peuple. Par contre, celui qui doit prendre une décision sous la menace de mesures punitives ne peut pas prendre une décision libre».

– Rester souverain, compétitif et prospère à long terme.
Il s’agit avant tout du référendum obligatoire (art. 140, al. 1):«[...] L’UE veut que la Suisse s’engage à reprendre son droit. Mais nous ne voulons pas que l’UE fasse nos lois. Nous ne voulons pas être pris en charge pour les erreurs de l’UE. C’est pourquoi il nous est impossible de nous associer en tant que membre de l’UE, ni même de membre passif. Nous le garantirons en figeant dans la Constitution que les Suisses se prononceront toujours, par le biais du référendum obligatoire, pour ou contre les traités internationaux de grand poids».

  • Nous ne sommes pas politiquement et structurellement compatibles avec l’UE. «Le système politique suisse (démocratie directe, fédéralisme, principe de subsidiarité, concordance) n’est pas compatible avec l’UE organisée de manière hiérarchique. De même, notre système économique et social-libéral et décentralisé se trouve essentiellement opposé à la raison d’être de l’UE. Il en va de même pour les compétences législatives de la Suisse par rapport aux instances centralisées de l’UE. […]»
  • La place économique suisse ne doit pas être affaiblie. «Le renforcement durable de la place économique ne peut réussir que si la Suisse continue à l’avenir à mener une politique économique autonome et que le contrôle démocratique d’une régulation économique autonome est préservé. Le libre choix des partenaires commerciaux doit être garanti et la menace d’une relation monopolistique avec l’UE doit être évitée». C’est probablement l’argument qui donnera le plus de fil à retordre au Conseil fédéral et à économiesuisse: Une économie suisse indépendante, basée sur la démocratie directe et le fédéralisme, se porte en réalité mieux qu’une économie intégrée à l’UE.
  • Pour l’économie suisse, «le reste du monde» devient de plus en plus important par rapport à l’UE. [...] Ce n’est pas seulement pour l’économie que le «reste du monde» devient de plus en plus important. Notre pays dans son ensemble ferait bien de se souvenir de son Histoire de pays ouvert sur le monde, neutre, lié à tous les peuples, avec quatre cultures linguistiques. Ce qui a permis à la Suisse de prospérer, non pas sur le seul plan économique. Jusqu’à présent, elle a pris sa place dans le monde notamment grâce à sa politique de paix en tant qu’Etat neutre et compétent médiateur, grâce à l’indispensable contribution humanitaire du CICR et aux bons offices.  

1 «L’Europe au quotidien. 25 ans d’accords bilatéraux: Le point de vue des électeurs suisses» gfs.Berne. 24 octobre 2024
2 «Suisse-UE: le Conseil fédéral dresse un état des lieux». Communiqué du Conseil fédéral du 6 novembre 2024
3 «Tout est différent – Du vin nouveau dans de vieilles outres? Le Conseil fédéral ne parvient pas à relancer les négociations avec Bruxelles» dans: Horizons et débats No 1 du 16 janvier 2024
4 Schäfer, Fabian. «Die Schweiz soll 150 Rechtsakte der EU übernehmen – der Bundesrat stellt die Weichen für das Finale der Verhandlungen». dans: Neue Zürcher Zeitung du 6.11.2024

5https://kompasseuropa.ch/fr/initiative-boussole/ 

 

Initiative populaire fédérale «Pour la démocratie directe et la compétivité de notre pays – contre une Suisse membre passive à l’UE (Initiative Boussole)»

(Kompass-Initiative)

mw. Le texte de l’initiative peut sembler, par endroits, un peu compliqué. Ce sera avant tout parce qu’il se compose de plusieurs modifications concernant de différents articles constitutionnels existants qui contiennent en outre les articles destinés aux dispositions transitoires, contraignants sur le plan juridique (voire le commentaire* ci-dessous). Les arguments cités de Kompass Europa/Boussole constituent un guide utile sur l’initiative (consulter pour plus de renseignements le site du comité avec feuille de signatures: kompasseuropa.ch/FR/initiative boussole/signer).

Le texte de l’initiative Boussole

La Constitution fédérale est modifiée comme suit:

Art. 101, al. 1, 2e et 3e phrases
    1 […] Elle [la Confédération] poursuit une politique économique extérieure autonome qui prend en considération les besoins de la Suisse en tant que place économique intégrée dans le réseau international. Ce faisant, elle respecte les droits démocratiques du peuple et l’autonomie des cantons.

Art. 140, al. 1, phrase introductive et let. bbis
    1 Sont soumis au vote du peuple et des cantons: les traités internationaux qui prévoient la reprise de dispositions importantes fixant des règles de droit;
    Art. 164, al. 3
    3 La reprise de dispositions importantes fixant des règles de droit doit être prévue expressément dans une loi fédérale ou dans un traité international soumis au référendum obligatoire et restreinte à un domaine étroitement délimité.
    

Art. 197, ch. 17, Disposition transitoire ad art. 140, al. 1, let. bbis, et 164, al. 3 (Reprise de dispositions importantes fixant des règles de droit):
    Les lois fédérales et les traités internationaux en vigueur au moment de l’acceptation par le peuple et les cantons (des art. 101, al. 1, 2e et 3e phrases, 140, al. 1, phrase introductive et let. bbis, et 164, al. 3) qui prévoient la reprise de dispositions importantes fixant des règles de droit ne sont pas soumis aux principes régissant une telle reprise. Cette garantie ne s’applique à un accord-cadre institutionnel ou à un accord comparable entre la Suisse et l’Union européenne que s’il a été soumis au référendum obligatoire et accepté par le peuple et les cantons. Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.*

*En ce qui concerne la disposition transitoire: La première phrase contient une garantie d’existence pour les lois fédérales et les traités internationaux contenant des dispositions législatives importantes reprises de l’étranger. Cela signifie que ces actes législatifs restent valables, même s’ils n’ont pas été soumis au référendum obligatoire à l’époque. La deuxième phrase contient une clause de rétroactivité: si le Conseil fédéral et le Parlement décident d’un accord avec l’UE et le soumettent uniquement au référendum facultatif, une deuxième votation populaire obligatoire, à la majorité du peuple et des cantons, devra avoir lieu ultérieurement sur cet accord si l’initiative Boussole est acceptée par le souverain. mw.

L’autonomie et la capacité d’innovation sont essentielles à l’économie

mw. Ce sont des chiffres impressionnants que la «Handelszeitung» a publiés, il y a quelques semaines, sous le titre «De loin meilleure que l’Allemagne et l’UE. L’industrie suisse les distancie tous». Un graphique basé sur les chiffres de l’agence financière Bloomberg «montre que depuis 2011, la production industrielle suisse a augmenté d’environ 40 pour cent, alors que celle allemande a reculé de 5 pour cent et y est restée, comme cela est le cas plus ou moins dans les autres Etats de l’UE». Et ceci face au «franc suisse qui a augmenté de 25 pour cent par rapport à l’euro durant la même période, ce qui aurait plutôt l’effet de freiner les exportations». Selon le journal, le secret de ce succès réside dans le fait que la productionsuisse s’excelle par son degré hautement spécialisée et à forte valeur ajoutée, surtout dans certains secteurs, notamment liés à la pharmacie, la chimie et l’horlogerie).1
    Dans ce contexte, la solidité du franc n’est donc pas un inconvénient, selon un article dans la même perspective publié de la «Neue Zürcher Zeitung», mais «rien d’autre qu’un label de qualité pour la forme de l’économie suisse – même si parfois il génère des nuits blanches aux exportateurs. A l’inverse, il reste à espérer pour l’Allemagne que la longue tradition du Deutsche Mark dur, face à une réalité marquée par l’euro, ne sera pas totalement tombé dans l’oubli collectif»2.
    Il convient d’ajouter que d’autres facteurs contribuent largement au secret de la réussite de l’économie suisse: une autonomie politique et économique maximale, une économie innovante et à petite échelle, basée principalement sur les PME (plus de 99% des entreprises) – qui sont également fortes en région campagnarde – et une formation professionnelle duale de grande qualité. Le tout porté par le pouvoir décisionnel de la démocratie directe des citoyens et par une structure fédéraliste marquée par la base.

1 Knupfer, Gabriel.«Um Längen besser als Deutschland und die EU. Schweizer Industrie hängt alle ab». Handelszeitung du 29/09/2424
2 Steck, Albert. «Die Abschaffung der D-Mark war ein Fehler». Neue Zürcher Zeitung du 12/11/24

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