L’Ukraine lance des missiles OTAN sur des cibles russes, en territoire russe

Biden a tardivement donné son aval – risquant l’escalade «critique»

par Joe Lauria*

L’Ukraine a lancé mardi, 19 novembre, six missiles américains ATACMS sur le territoire russe, deux jours seulement après que le Président américain sortant Joe Biden lui en ait donné l’autorisation, et ce malgré une mise en garde de la Russie contre une éventuelle guerre avec les Etats-Unis et l’OTAN. [Le 21 novembre, cette attaque a été doublée par le lancement ukrainien de missiles Storm Shadows de fabrication britannique ainsi que de lance-roquettes HIMARS américains, voire déclaration de Poutine du 21 novembre reproduit dans cette édition, p. 1re; réd. ]
    Selon les informations ukrainiennes, l’attaque menée avant l’aube n’était pas dirigée contre un dépôt de munitions à Koursk, ce que Biden avait autorisé, mais visait une cible militaire dans la ville voisine de Briansk, située dans une région du sud-ouest de la Russie, à 110 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine.
    Le Ministère russe de la Défense a déclaré avoir abattu cinq des six ATACMS. Selon le «New York Times», un représentant du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien a déclaré que l’attaque avait touché des dépôts contenant «des munitions d’artillerie, y compris des munitions nord-coréennes destinées à alimenter leurs systèmes, des bombes aériennes téléguidées, des missiles antiaériens et des munitions pour systèmes de missiles multiples».
    Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï V. Lavrov a déclaré, lors d’une conférence de presse du 20 novembre: «Le fait que plusieurs missiles ATACMS aient été utilisés hier soir contre la région de Briansk montre qu’ils [en Occident] veulent l’escalade. Vous voyez, il est impossible de déployer ces missiles de haute technologie sans l’aide des Américains, et [le président russe Vladimir] Poutine lui-même l’a dit à plusieurs reprises».
    Lundi, le porte-parole du Kremlin a réitéré l’avertissement de Poutine selon lequel l’OTAN, dans le cas où une de ses équipes fait usage ce genre de missiles menaçant la Russie, entrerait en conflit direct avec la Russie, ce qui changerait le caractère du conflit. C’est désormais chose faite.

Le revirement de Biden

Biden prend ainsi justement le risque contre lequel il avait auparavant mis en garde, et ce de la manière on ne peut plus limpide: «La troisième guerre mondiale? Bon, les gars, ne mâchons pas les mots. Nous ne mènerons pas la troisième guerre mondiale en Ukraine », a-t-il déclaré face aux journalistes en mars 2022, après avoir écouté le Pentagone, remettant ensuite en minorité son Ministre des Affaires étrangères Antony Blinken qui avait préconisé la création d’une zone d’exclusion aérienne de l’OTAN.
    Il y a deux mois à peine, en septembre, Biden a donné raison aux réalistes du Pentagone en s’opposant au lancement de missiles britanniques à longue portée du type Storm Shadow depuis l’Ukraine sur des cibles en territoire russe. Il craignait que cela ne conduise à une guerre directe entre l’OTAN et la Russie, avec des conséquences potentiellement inimaginables.
    Or nous voici maintenant face au surprenant revirement de Biden, après que les électeurs américains aient chassé, à une majorité écrasante, son parti de la Maison Blanche, un Biden déshonoré, qui ne sera plus au pouvoir que quelques semaines encore. En dépit de tout, il semble être décidé à jouer à la roulette en misant les jetons de l’humanité tout entière sur la table, enjeu suprême – tout cela pour sauver son poker désinvolte sur l’Ukraine et rendre encore plus difficile les tentatives de Donald Trump pour mettre fin à la guerre.
    Et lorsque la guerre attindra son incontournable défaite ukrainienne, Biden pourra alors inculper Trump et tenter de dégager sa responsabilité dans la catastrophe qu’il aura provoquée.

Le Pentagone était-il au courant?

Alors que le Pentagone a déjà empêché Biden, à deux reprises, de déclencher une guerre directe avec la Russie, il semble cette fois qu’il n’ait même pas informé le Ministère de la Défense et qu’il se soit même opposé à lui par sa démarche irresponsable à l’extrême.
    Lorsque lundi, des journalistes ont directement interrogé Biden pour savoir s’il avait consulté des militaires de haut rang avant de fournir à l’Ukraine des ATACMS américains, la porte-parole du Pentagone, Mme Sabrina Singh, a esquivé à plusieurs reprises cette question cruciale comme l’illustre ce dialogue rendu public. Sur la question, Sabrina Singh a répondu: «Je n’ai rien à ajouter à ce qui a été rapporté ce week-end.»
    Et de dire face à l’insistance journaliste l’interrogean si elle pouvait «confirmer que Biden avait fait savoir au Pentagone et au secrétaire à la Défense, Austin, que le feu vert était désormais donné?»:
    «Je ne peux pas confirmer ces rapports et je ne peux pas non plus entrer dans les détails. Je peux seulement vous dire, en ce qui concerne votre deuxième question sur les ATACMS, que nous avons mis des ATACMS à la disposition de l’Ukraine dans le cadre de différents forfaits au travers PDA Notre soutien à l’Ukraine se poursuit au travers de différents PDAs [PDA, assistant numérique personnel, réd]. Mais je ne puis vous en dire plus davantage, pour le moment, sur les rapports du week-end auxquels vous faites référence».
    Or, les missiles ATACMS précédemment fournis par le Pentagone étaient strictement destinés à un usage interne aux frontières ukrainiennes avant 2022, un lancement au-delà, sur le territoire de la Fédération de Russie, étant exclu. Peut-être Singh n’a-t-elle pu donner davantage de détails au-delà des reportages du week-end puisque le Pentagone n’aura peut-être appris cette décision lourde de conséquences qu’en consultant les médias, notamment les quotidiens, comme tout le monde.

Réticence russe jusqu’à l’entrée en fonction de Trump?

Moscou respectera-t-elle son avertissement de frapper des cibles de l’OTAN jusqu’au 20 janvier, date à laquelle Trump prendra ses fonctions et retirera peut-être à l’Ukraine son autorisation décisive? Cela pourrait dépendre du nombre de missiles ATACMS que l’Ukraine recevra et de l’intensité des attaques.
    Biden fait apparemment partie de ceux qui, au sein de l’OTAN, pensent toujours que Poutine joue au poker. Avec ces attaques ATACMS aujourd’hui, celui qui est encore Président pour huit semaines croit apparemment pouvoir démasquer ce bluff, alors qu’il joue lui-même au poker avec l’avenir de l’humanité. En effet, mardi, jour des attaques ukrainiennes, Poutine a présenté la nouvelle doctrine de guerre nucléaire de la Russie y incorporant deux changements majeurs.
    Le premier d’entre eux stipule que «toute agression contre la Fédération de Russie et/ou ses alliés par un Etat non doté d’armes nucléaires, réalisée avec la participation ou le soutien d’un Etat doté d’armes nucléaires sera considérée comme leur agression commune». Ce qui inclura donc clairement l’Ukraine.
    Le deuxième changement crucial est le suivant: «La Fédération de Russie se réserve le droit d’utiliser des armes nucléaires en réponse à l’utilisation d’armes nucléaires et/ou d’autres armes de destruction massive pour l’attaquer elle-même et/ou ses alliés, si une telle agression constituait une menace critique pour sa souveraineté et/ou son intégrité territoriale».
    L’expression «menace critique» remplace l’expression employée jusqu’à présent «si l’existence même de l’Etat est menacée». Comparée à la version précédente, cette formule fait considérablement abaisser l’obstacle devant le recours aux armes nucléaires.
    Tout cela a été balayé par la Maison Blanche, dans une déclaration du Conseil national de sécurité des Etats-Unis prétendant qu’il n’y avait «aucun changement dans la position nucléaire de la Russie». Dans un article alarmant, évoquant un monde de somnambules titubant aveuglement vers son anéantissement nucléaire, David Sanger du New York Times vient d’ écrire:
    «Il est significatif que Washington n’ait réagi, mardi dernier, que par un bref bâillement. Les fonctionnaires ont rejeté la doctrine aménagée en tant que «menace nucléaire». Au lieu de cela, on a préféré consacrer son temps à spéculer sur le nom de celui qui s’imposerait comme Ministre des Finances ou bien si Matt Gaetz, ancien membre du Congrès (contre lequel pèsent de graves accusations concernant des délits sur le plan sexuel, de consommation de drogues et autres, bien qu’il n’ait pas encore été inculpé officiellement), pourrait survivre à la procédure de confirmation au poste de – procureur général.»
    La guerre en Ukraine a transformé le monde sur beaucoup de choses: Elle a fait des centaines de milliers de morts, terrorisé des millions de personnes, ébranlé l’Europe et agravé l’hostilité entre la Russie et les Etats-Unis. Mais elle a également habitué Washington et le monde entier à l’emploi renouvelé de l’arme nucléaire comme ultime moyen de négociation. L’idée qu’un des neuf pays disposant aujourd’hui de l’arme nucléaire – l’Iran est sur le point de devenir le dixième – puisse appuyer sur le bouton ne semble provoquer plus qu’un haussement d’épaules, plutôt que d’envisager sérieusement la convocation urgente du Conseil de sécurité des Nations unies.

Source: https://consortiumnews.com/2024/11/19/ukraine-fires-us-missiles-at-russia-risking-wider-war/  du 19.11.2024

(Traduction Horizons et débats)


* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant de l’ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et d’autres journaux, dont la Montreal Gazette, le London Daily Mail et The Star of Johannesburg. Il a été reporter d’investigation pour le Sunday Times de Londres, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencé son activité professionnelle à l’âge de 19 ans en tant que pigiste pour le «New York Times». Il est l’auteur de deux livres, «A Political Odyssey», avec Sen. Mike Gravel, préface de Daniel Ellsberg; et «How I Lost By Hillary Clinton», préface de Julian Assange

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