par Peter Küpfer
A la première partie de cet article, on a évoqué l’origine de la guerre sans fin qui sévit dans l’est du Congo, ses principaux protagonistes et les intérêts qu’ils poursuivent.1 Dans l’est du Congo également, les termes utilisés par les propagandistes de la guerre – «guerre civile», «guerre de rébellion», «guerre défensive» – cachent une brutale politique de pouvoir. Tout d’abord, elle n’est pas alimentée par les conflits interethniques, mais par la soif de supériorité économique et l’illusion du pouvoir de se créer une certaine sécurité grâce à la guerre. Dans cette deuxième partie, les systèmes de propagande à l’emploi, dissimulant les véritables intentions, sont désignés pour ce qu’ils sont: des mensonges de guerre. Comme on le sait, mentir ne signifie pas seulement ne pas dire la vérité, mais également occulter des éléments essentiels de la vérité et donner à d’autres un poids qu’ils n’ont pas. Nous voyons ces deux stratégies de manipulation éprouvées également à l’œuvre dans la catastrophe humanitaire à long terme dans l’est du Congo. La durée de cette guerre (30 ans!), largement inconnue dans le monde occidentale, et l’évacuation des terrains protège et incite les avidités sans limites pour le pouvoir et les profits illégaux. Elle est donc voulue de ceux qui cyniquement en profitent.
Là encore, des mensonges
de guerre systématiques triomphent
Paul Kagame, l’ancien commandant de la guérilla rwandaise formée par l’élite Tutsi exilée en Ouganda dans les années 1960 (voir encadré), continue d’affirmer publiquement que son pays doit continuer à se protéger des membres de l’ethnie hutu rwandaise qui, en 1994, se sont réfugiés en toute hâte à l’est du Congo. Dans sa rhétorique, ces gens étaient et le sont toujours, tous, sans exception, des «génocidaires». C’est en suivant le même raisonnement que l’armée israélienne exécute aujourd’hui quotidiennement et sans distinction ceux qui appartiennent à la population palestinienne.
C’est également cette recette ethnique, établie en éclatante négation des réalités, qui a été utilisée pour la conquête militaire du pouvoir au Congo oriental. Comme dans d’autres points chauds du monde, une partie de la population toute entière (les Hutus rwandais) est qualifiée collectivement de «génocidaires» et chassé ensuite comme du gibier dans le cadre d’une théorie sophistiquée de prétendue «autodéfense». Kagame à reconquis le pouvoir au Rwanda en juillet 1994, après une guerre d’intervention dirigée contre un gouvernement démocratiquement élu et prêt à partager le pouvoir avec d’autres composants, y compris le parti des assaillants. Mais le but de Kagamé n’était pas la démocratie dans son pays natal, le Rwanda, mais la reconquête du pouvoir pour sa caste, minoritaire, les Tutsis, les seigneurs du temps où le Rwanda était encore un petit royaume (jusqu’à 1962, voir encadré). Elle réside là, la raison principale pour laquelle les Hutus rwandais ont fui par centaines de milliers à l’approche de l’armée tutsie commandée par Kagame. Un grand nombre d’entre eux, plusieurs centaines de milliers selon Strizek2, pour la plupart des civils, ont été abattus par les membres de la guérilla tutsie qui les poursuivaient. En effet, le fait de prendre la fuite était, aux yeux des forces armées, une preuve suffisante du caractère «génocidaire» des fuyards, lesquels n’auraient aucune raison de fuir devant «l’avancée des libérateurs» du Rwanda, selon le raisonnement cynique des vainqueurs.
Les Hutus rwandais en fuite en 1994
vers le Congo de l’Est n’étaient pas tous des «génocidaires»
En 1994, peu avant la prise imminente de Kigali par l’armée tutsie de Kagamé, la population hutue rwandaise avait d’autres raisons sérieuses de chercher refuge dans les pays voisins (principalement le Congo de l’Est) par des centaines de milliers et dans la panique. En effet, des rumeurs sérieuses et (comme il s’est avéré plus tard) fondées sur une terrible vérité circulaient à l’époque, selon lesquelles la soldatesque de l’Armée patriotique rwandaise (APR), l’armée de guérilla de Paul Kagamé, se livrait à des massacres systématique de la population hutue installée dans les zones qu’elle avait «libérées» lors de sa progression vers la capitale Kigali. Entre-temps, il existe une littérature sérieuse soigneusement documentée par des faits qui démontre en détail ce (premier!) génocide rwandais perpétré par les «libérateurs» tutsis contre leurs compatriotes hutus.2Un autre génocide a donc précédé chronologiquement le génocide perpétré par les milices d’extrémistes hutus contre les Tutsis au début de l’été 1994 («le génocide rwandais», le seul dont le monde occidental parle!), celui perpétré par la guérilla de l’APR dirigée par Kagamé contre la population hutue dans les territoires qu’elle a «libérés» au Rwanda. Ce premier génocide, absolument occulté, a eu lieu, selon les documents disponibles, à partir de 1990 culminant dans la prise de Kigali en juillet 1994, c’est-à-dire depuis le début de la guerre d’intervention de l’APR (Armée patriotique rwandaise) de Kagame contre le gouvernement d’équilibre démocratiquement légitimé de Juvénal Habyarimana à Kigali (c’est-à-dire pendant les quatre années, de 1990 à1994, que la guérilla de l’APR a duré jusqu’à la prise de Kigali). Les témoignages accumulés, les rapports de l’ONU et les fosses communes découvertes dans les zones «libérées» par l’APR ont prouvé cette terrible réalité. (voir encadré)
Malheureusement, le Tribunal pénal créé spécialement pour le génocide (uniquement celui du début de l’été 1994!) au Rwanda, dont le siège est à Arusha (Tanzanie, créé sous la pression des Etats-Unis), n’a pas enregistré, en procédé juridique ordonné, les preuves de ce crime systématique contre l’humanité. Dans son autobiographie, la juriste suisse Carla del Ponte, ancienne procureure de la Confédération suisse qui siégeait au Tribunal pénal international pour le Rwanda en tant que procureur en chef, explique ces faits de la manière suivante: sur la plus haute intervention de Kofi Annan, elle aurait reçu l’ordre de ne procéder que dans les cas où des Hutus figuraient comme auteurs de crimes. Les exécutions de masse de type génocidaire, commises par l’APR, le bras armée des Tutsis émigrés, lors de sa campagne dans les années de guerre précédentes, ont ainsi complètement échappé au mandat temporel fixé par l’ONU. Lorsque la courageuse juriste suisse a protesté, elle a été remplacée peu de temps après, manifestement à l’instigation des Etats-Unis, par un procureur en chef mieux adapté aux intérêts américains en matière de dissimulation. Il s’agissait de l’avocat gambien Boubakar Hassan Jallow, un ami proche d’un haut responsable rwandais, cofondateur de l’APR rwandaise à laquelle des massacres massifs contre des civils ont constamment été officiellement reproché, par l’Espagne, la France et la Belgique, sans effet. C’est ainsi que le Tribunal pénal international pour le Rwanda a activement fermé les yeux sur les crimes graves commis par la partie plaignante. Il n’y a donc pas eu qu’un seul génocide au Rwanda, d’avril à fin juin 1994, dont le monde entier parle, mais déjà auparavant un précurseur tout aussi cruel, commis par la partie qui se présente aujourd’hui comme victime.
Et encore un meurtre de masse –
«justifié» par une carte tronquée
Un deuxième crime grave contre l’humanité, occulté par l’historiographie officielle et perpétré par des troupes sous commandement rwandais, a commencé deux ans plus tard. Comme on le sait, la première guerre d’intervention au Congo a eu lieu début novembre 1996 et a porté au pouvoir à Kinshasa Laurent-Désiré Kabila, ancien chef d’une formation de guérilla pour combattre Mobutu.
Cette guerre par procuration, préparée de longue date par le Pentagone et approuvée par le président américain Clinton, est presque exclusivement présentée par les services de documentation occidentaux, y compris Wikipédia, comme une «guerre de rébellion» menée par une minorité tutsie de l’est de la RDC (les soi-disant Banyamulenge) pour faire valoir des droits qui lui auraient été refusés par le gouvernement congolais (à l’époque Mobutu déjà). Une telle prétendue ethnie tutsie congolaise n’a jamais existé au Congo oriental (voir à ce sujet Bucyalimwe Mararo Stanislas, Manoeurvring; Onana,Charles, Holocauste au Congo, Nganda Nzambo, Honoré, Crimes organisés en Afrique centrale, détails bibliographiques, note 2). En réalité, avec ces «Tutsis rwandais de l’est du Congo» il s’agit d’une couche d’anciens immigrés tutsis rwandais de résidence au Congo plutôt récente, installés principalement au Sud-Kivu (région d’Uvira). Ils ont longtemps vécu en paix avec leur environnement d’accueil congolais, majoritairement des ethnies bantoues. Les tensions ne sont apparues que lorsque des cercles belliqueux au Rwanda les ont incités à s’opposer aux arrêts administratif du gouvernement Mobutu prétendument contraignantes pour eux voire, selon leur langage, «racistes».
Dans les années de préparation de la première guerre du Congo, cette implantation toutsie au Congo oriental a pris plus d’ampleur, avant tout par des éléments armés arrivés du Rwanda et du Burundi. Le Rwanda a diffusé avec insistance la version à connotation raciste selon laquelle les Banyamulenge étaient menacés et devaient donc être protégés par l’armée rwandaise. Après les événements génocidaires du début de l’été 1994 au Rwanda, les seuls dont le monde occidental a pris note, ces accusations ont pris de l’ampleur. Ce fut la raison officielle, immédiatement reprise et diffusée par les médias occidentaux, de la première guerre du Congo de 1997/98: «libérer les Banyamulenge, minorité tutsie rwandaise menacée par les extrémistes hutus se cachant dans les immenses camps de réfugiés (les génocidaires!) dans la région d’Uvira» – le mensonge de guerre principal savammemt élaboré des spécialistes de la guerre hybride, mensonge qui devait coûter la vie (et le doit toujours!) de plusieurs millions d’êtres humains (la plupart des civils) dans des guerres consécutives jusqu’à nos jours!
En réalité, cette guerre éclair était une autre guerre par procuration camouflée, planifiée, principalement financée et équipée militairement par les Etats-Unis. Comme on le sait, elle a été menée essentiellement par des membres de l’armée rwandaise, en dépit de tous les camouflages. Dès le début, le but non déclaré de la guerre était de sécuriser les matières premières stratégiques de l’est du Congo et le territoire de l’est du Congo ou une partie de celui-ci pour l’alliance occidentale (v. partie 1re de cet article).
Ce que l’on passe généralement sous silence, c’est le fait que, parallèlement à l’avancée de l’armée de camouflage au nom ronflant d’AFDL (Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Congo), les immenses camps de réfugiés hutus rwandais existant à l’époque sur le territoire de l’est du Congo ont été littéralement enfoncés dans le sol, en partie par des tirs d’artillerie et des bombardements. C’est ce qui s’est passé le 2 novembre 1996 avec l’immense camp de Mugunga, situé à proximité de Goma, le «plus grand camp de réfugiés du monde», massacre qui a été suivi par d’autres similaires.
Ce troisième génocide de Rwandais (et le deuxième commis par l’armée rwandaise contre sa propre population hutu), cette fois sur le sol de l’est du Congo, a été d’une ampleur incroyable. Selon des estimations fiables, des dixaines de milliers de personnes sans défense, en majorité des civils hutus rwandais, ont été tuées directement par les tirs des camps ou lors de leur poursuite impitoyable par des unités commandées par les Rwandais lors de leur nouvelle fuite à travers la jungle sauvage en direction de l’ouest, parfois sur des centaines de kilomètres jusqu’à Kisangani, sur le fleuve Congo.
Helmut Strizek, spécialiste reconnu de l’Afrique de l’Est, résume ce crime contre l’humanité, contre lequel aucune procédure judiciaire n’a encore été engagée, en ces termes: «Presque personne n’aurait cru, au tournant de l’année 1996/97, que l’alliance rebelle AFDL pourrait réussir à s’emparer de tout le Zaïre avant le 17 mai 1997 et à exterminer la majeure partie des réfugiés hutus rwandais pendant cette guerre.» (Strizek, Helmut, Congo-Zaïre, Rwanda, Burundi, p. 179)
Les agresseurs se comportent en victimes
Cette violence sans précédent à l’encontre de personnes sans défense a toujours été justifiée, par la camarilla rwandaise, comme étant de la légitime défense. Selon ce mensonge de guerre, c’est depuis les camps de réfugiés que des incursions menaçant la sécurité du Rwanda auraient régulièrement eu lieu sur le territoire rwandais. A cette époque déjà, on jouait la carte ethnique, dûment forgée, avec laquelle les auteurs de crimes contre l’humanité peuvent se dissimuler derrière le principe du droit de l’homme à la légitime défense – en arguant qu’un groupe de population particulier cherchait à les exterminer. Si l’on tient compte des conditions réelles des réfugiés dans les immenses camps de réfugiés totalement délabrés du Nord où se trouvaient entassés dans les deux Kivus (du Nord et du Sud) entre 1994–1996 un nombre inimaginable de réfugiés hutus rwandais, il s’agit là d’une affirmation pour le moins téméraire. Plus d’un million de Hutus rwandais, entassés sommairement dans des tentes improvisées, y luttaient pour leur survie en novembre 1996, au moment où l’armée de l’AFDL envahissait l’est du Congo.
L’une des nombreuses énigmes du Rwanda est celle de savoir comment ces réfugiés auraient pu former une puissante guérilla dans de telles circonstances, comment ils auraient pu représenter une menace militaire sérieuse pour l’existence du nouveau Rwanda tutsi de Kagamé ou comment ils auraient pu commettre un nouveau «génocide». Charles Onana confirme qu’en 1994, un strict contrôle de la circulation des armes était effectué aux points de passage des réfugiés (opération Turquoise) assurés par l’armée française. Les gens qui passaient par là fuyaient pour sauver leur vie, celle de leur femmes et de leurs enfants. Ils avaient d’autres soucis que d’organiser dans les camps une guérilla de revanche contre le nouveau gouvernement. Où aurait-on pu cacher des armes dans ces regroupements désordonnés de personnes désespérées et affamées? Et quelle aurait été la provenance des munitions sans lesquelles aucune armée ne puisse agir? La partie de l’Occident asservie aux Américains, en particulier les médias qualitatifs corrompus, y compris Wikipédia, a continué à diffuser ce narratif tronqué avec ferveur, jusqu’à aujourd’hui, ce mensonge général de la guerre rwandaise.3
On s’est abondamment référé à la cynique déclaration de Kagamé avant le massacre dans les camps de réfugiés, mais on ne lui a pas fait obstruction. Kagamé a dit: «Si la communauté internationale n’intervient pas pour mettre fin au danger que représentent les génocidaires qui ont fui vers l’est du Congo, c’est moi qui irai y faire la besogne». Ce qu’il n’a pas tardé à faire (Onana, p. 112 et suivantes), s’appuyant sur cette vision grossièrement déformée selon laquelle chaque réfugié hutu rwandais se trouvant dans l’est du Congo était un génocidaire. Il a alors sorti de son chapeau l’armée de l’AFDL, dont le chef Laurent Désiré Kabila et ses officiers passés maîtres dans l’art de la guérilla ont, en menant une guerre-éclair, traversé la moitié du Congo et renversé un Mobutu déjà fort mal en point, le tout sous prétexte d’apporter leur aide au clan Tutsi opprimé des Banyamulenge et à faire valoir ses droits. Ainsi fut légitimée la guerre-éclair pour la conquête du Congo, avec son cortège de morts et de ruines, et qui n’aurait jamais été possible sans la planification et le soutien des Etats-Unis, car elle faisait manifestement partie de la stratégie à long terme de la grande puissance occidentale en Afrique.
Comment organiser sa propre impunité
Les principaux responsables de cette opération militaire ont été nommés à de hautes fonctions au sein de l’armée et de l’Etat congolais, lequel s’est fièrement rebaptisé «République Démocratique du Congo». James Kabarebe, le plus proche frère d’armes de Kagamé pendant la guérilla de 1990–1994, commandant en chef des forces armées rwandaises pendant la guerre de l’AFDL, a été nommé immédiatement après la reprise de Kinshasa, en 1997, chef de l’etat major de l’armée nationale congolaise, y incorporant par ailleurs des officiers et des éléments de l’armée rwandaise. Cela constitue un acte d’une perfidie et d’une humiliation peu communes.
Faut-il encore s’étonner qu’une telle armée «nationale» congolaise ait jusqu’ici combattu sans grande efficacité les «groupes rebelles» équipés et soutenus par le Rwanda dans l’est du Congo? Le fait, par exemple, que Laurent Désiré Kabila, qui avait été porté sur le bouclier par l’AFDL (et la CIA) en tant que nouveau Président du gigantesque empire congolais, ait été abattu peu de temps après par un de ses propres agents de sécurité (le 16 janvier 2001) après avoir voulu modifier les contrats existants avec les grandes sociétés minières occidentales, en faveur de la population congolaise pauvre comme un rat d’église (dont la plupart vit toujours avec deux dollars par jour), en dit long. Son successeur, Joseph Kabila, n’est pas congolais, mais rwandais. Il parle un français approximatif, ce qui n’est pas étonnant. Il a grandi au Rwanda dans l’entourage de Kabarebe, le «cerveau» de la guerre-éclair, et a très tôt fait partie du cercle intime des officiers de l’Armée populaire rwandaise. Depuis que Kabarebe et Joseph Kabila ont tenu les ficelles du géant Congo, le nain Rwanda a assumé une escalade économique de rêve, devenu entre-temps dans les médias occidentaux l’enfant modèle du développement africain. Dans la première partie de cet article nous avons nommé ceux qui en payent le prix, une fois de plus la population, surtout celle à l’est du Congo. Ce pays meurtri est ainsi miné de l’intérieur, non seulement par la corruption, mais aussi par les opinions savamment façonnées selon les «récits» nourrissants les médias, délivrés chaque jour par la camarilla presque identique aux sommets des deux états, du grand et du petit.
Difficile de sortir de l’impasse dans laquelle les populations se trouvent dans les deux Etats étant pris en otage par leurs gouvernements. Il faudra emprunter un chemin semé d’embûches. L’Afrique du Sud montre que c’est possible. Lors de sa pacification interne, elle a toutefois dû se débarrasser de sa soumission au cartel de pouvoir occidental. Mais contrairement à la situation qui régnait en Afrique du Sud, le Congo ne connaît pas de tensions difficiles à surmonter entre certaines parties de la population. Le Congo n’a pas de problème de racisme. Et la population est unanime sur la question de l’Est du Congo: les troupes étrangères doivent finalement plier bagage, les officielles et les anonymes, y compris même la MONUC chancelant entre l’impuissance et la corruption. Dès que les armes tiennent le haut du pavé, la paix est loin. Le problème principal réside dans le fait qu’une population apathique tolère un gouvernement qui pille son propre peuple.
Seul un remède drastique pourrait être efficace, comme l’a confirmé récemment la Conférence épiscopale des Etats d’Afrique de l’Est: les forces constructives de bonne volonté de toutes les parties devraient finalement joindre leurs efforts pour parvenir à une solution qui apporte une paix durable, ce qui ne pourra intervenir sans une aide extérieure fiable. Jusqu’à présent, les regards de l’Occident sur les faits, l’acceptation par les politiques et les médias des mensonges de guerre les plus grossiers, tout cela ensemble avec le refus d’apporter une aide humanitaire efficace à la population civile sans défense n’ont fait que démontrer ce que veulent manifestement les empires chancelants occidentaux, y compris l’UE: un état de guerre permanente. Cette guerre sans fin couvre et favorise le pillage illégal de ressources revenant de droit à la population congolaise, dont une partie doit survivre avec 2 dollars par jour (statistique Médecins sans frontières) et se trouve toujours dramatiquement sous le seuil de pauvreté. Combien de temps le reste du monde l’acceptera-t-il enccore? •
1 Articles antérieurs voués à ce sujet: Le Congo post-Mobutiste: les Etats-Unis misent sur la carte rwandaise, Horizons et débats No 3, du 05/02/2018; Elections douteuses en République démocratique du Congo, Horizons et débats No 5 du 04/03/2019; L’autobiographie de l’auteur congolais Stanislas Bucyalimwe Mararo: un legs authentique,Horizons et débats No 19 du 15/09/2020, supplément Congo; Un vent nouveau souffle-t-il aussi sur l’Afriquecentrale?Requête peu encourageante émanant des élections présidentielles en République Démocratique du Congo,Horizons et débats No 4 du 27/02/2024; Congo oriental – une autre catastrophe humanitaire se poursuit sous nos yeux (1re partie). La guerre permanente est avant tout dirigée contre la population civile, Horizons et débatsNo7 du 09/04/2024.
2 Choix d’œuvres et de documents complétant et corrigeant les défaillances qui caratérisent la vue historique «officielle» du conflit: Ruzibiza, Abdul Joshua, «Rwanda. L’histoire secrète», Paris (Editions du Panama) 2005 (ISBN 2-7557-0093-9); «Report Mapping», Honoré Ngbanda, Crimes organisés en Afrique centale, (ISBN 139782951315990); Rapport ONU sur les crimes de guerre perpétrés au Congo de l’Est (déchargeable en angl. et fr. sur: UN-Office of the High Commissioner for Human Rights. Democratic Republic of the Congo, Mapping Exercise 2010);Bucyalimwe Mararo, Stanislas, Manœuvring for ethnic hegemony, 2 tomes, Editions Scribe 2014,(ISBN 978-2-930765-03-7 et ISBN 978-2-930765-04-4); Bucyalimwe Mararo, Stanislas, «Nord-Kivu (RDC). Vingt-quatre ans des tueries programmées (mars 1993–mars 2017)», Saint-Denis (Edilivre) 2018 (ISBN 978-2-414-19737-8); Rever, Judi, «In praise of blood. The crimes of the Rwandian Patrotic Front» (Vintage Canada) 2020 (reprint), ISBN 978-0345812100; Onana, Charles, «Holocauste au Congo. L’omertà de la communauté internationale», Paris (Editions de l’Artilleur) 2023, ISBN 978-2-81001-145-2
3 Au cours de l’hiver 2001/2002, en compagnie de collaborateurs proches d’organisations d’entraide du Congo oriental qui se trouvaient en Suisse à l’invitation de l’association «Pour la Paix et l’Entente en Afrique», l’auteur a visité le bureau «Etranger» de la rédaction de la «Neue Zürcher Zeitung» ainsi que le Département des affaires étrangères de la Confédération suisse, et un haut-fonctionnaire chargé de l’Afrique au Ministère fédéral des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne à Berlin. A la rédaction de la «Neue Zürcher Zeitung» régnait une ignorance alarmante (effective ou jouée) sur la situation réelle dans l’est du Congo, à Berne, on se reférait aux compétences de la Croix-Rouge et à des accords internationaux contraignants. Mais à Berlin, on nous a dit textuellement et avec la franchise naïve de ceux qui se croient dans leur droit: «Vous savez, le Président Paul Kagamé fait partie des amis les plus proches de l’Allemagne en Afrique, nous faisons donc tout pour le soutenir.»
pk. Avant d’accéder à l’indépendance (1962), le Rwanda était un tout petit royaume (sous la domination des dynasties «Mwami», comme au Burundi). Territoire sous mandat allemand avant la Première Guerre mondiale, il est ensuite passé sous administration belge en 1908, tout comme le Congo. L’ethnie tutsie rwandaise (environ 17% de la population rwandaise à l’indépendance) traitait la la tribu bantoue des Hutus (majoritaire à 80%) en tant que ses «serfs» de naissance.
La caste minoritaire des Tutsis, représentante séculaire de l’aristocratie rwandaise, traditionnellement propriétaires de vastes troupeaux, regroupait l’ensemble des hauts fonctionnaires de la cour ainsi que les officiers de l’armée. Dans les écoles tenues par les missionnaires (les seules en fonction à l’époque constituant la condition préalable à toute carrière), ils étaient sur-représentés de façon disproportionnée alors que les Hutus, jugés à l’époque sans grandes aptitudes à l’étude, étaient sous-représentés. C’est ce qu’attestent à l’unisson nombreux témoins de l’époque et des chercheurs reconnus, comme on le constate également dans le témoignage méticuleiusement documenté «Un évêque au Rwanda», rédigé par André Perraudin, missionnaire valaisan et archevêque de Kabgayi (Rwanda) dans les années soixante. Médiateur par son office spiritiuel et ses persuasions émanant du modèle de la démocratie directe suisse, il tenta de calmer les esprits lorsque les premiers débordements annonçaient l’envergure des tensions entre Hutus et Tutsis face aux transformations qui s’annonçaient. La nervosité au sein de la caste dirigante traditionnelle tutsie allait croissante face au plébiscite à majorité écrasante en faveur de la démocratie.
Depuis le génocide perpétré par les Hutus contre les Tutsis au printemps et au début de l’été 1994, cette littérature respectant les faits est considérée comme «révisionniste» (niant le génocide), ou même, par un renversement spectaculaire des réalités historiques, comme «raciste».
Quant à Perraudin, il déclara envers un entretien avec le rigoureux documentariste allemand Helmut Strizek, se référant à la situation rwandaise lors de l’accession à l’indépendance au début des années soixante: «J’ai fini par me rendre compte que le groupe des Hutus était méprisé dans le pays. Les Hutus étaient vus comme des personnes de seconde classe par les autres [les Tutsis, réd.], qui estimaient qu’ils avaient vocation à dominer, avec une mentalité de ‹surhomme›, celle qu’on a trop connue en Allemagne. Pardonnez-moi cette comparaison, mais elle est appropriée.» (v. not. 2, Strizek). Comme pour de nombreux sujets similaires, il existe néanmoins un certain courant de pensée qui a intérêt, ici aussi, à jeter un voile de silence sur ce qui s’est passé et à se placer uniquement du «côté des bons».
Là aussi, les vainqueurs (l’autocratie rwandaise de l’ancienne élite tutsie rétablie par Kagame à l’été 1994) ont réécrit l’histoire du Rwanda. Celui qui évoque les antécédents réels se voit traiter de «révisionniste» et encourt le harcèlement médiatique ainsi que des pressions et poursuites par le gouvernement rwandais. Malheureusement, cette tendance à manipuler l’histoire est suivie presque aveuglément par la majorité des publications actuelles, des médias et des acteurs culturels concernant les tragédies rwandaises (v. not. 3).
Heureusement, les voix qui s’y opposent en s’appuyant sur les faits sont en nombre croissant (v. not. 2).
Deux citations tirés de documentations reliables:
«Il semble que dès cette époque (été 1996, en pleins préparatifs de la première ‹guerre de rébellion› contre le Congo/Zaïre), Kagame ait déjà discuté de ses objectifs d’agression avec les instances américaines. On sait que, même dans les milieux militaires et les services secrets, cette politique ne faisait pas l’unanimité, mais qu’elle s’est finalement imposée. On a donné le feu vert à l’élimination de Mobutu. […] Les problèmes récurrents des réfugiés rwandais et les égards envers Kagame, le nouveau dirigeant du Rwanda issu de la minorité tutsie, ont empêché le Zaïre d’accéder à la démocratie, qui était pourtant à portée de main pour cause de décès imminent de Mobutu. En effet, depuis l’automne 1996 au moins, les services secrets savaient que le cancer de Mobutu était en phase terminale et qu’il fallait s’attendre à sa mort prochaine. Personne n’aurait alors pu empêcher la tenue d’élections présidentielles démocratiques au Zaïre.» (Strizek, Helmut. Congo/Zaïre-Rwanda-Burundi. p. 142, not. 2, mise en relief pk.)
«Il est donc clair que si le gouvernement congolais ou la société civile de la RDC ne se montrent pas plus incisifs sur la question de l’impunité, les criminels rwandais, ougandais, burundais et les Banyamulenge, qui continuent d’imposer la mort et d’interminables souffrances et atrocités à la population congolaise et d’y semer la mort, resteront libres et n’hésiterons pas à poursuivre leur action criminelle afin d’écraser définitivement les Congolais dans leur pays. Ces derniers doivent se souvenir, de ce que le Pape François, évoquant le génocide oublié de la RDC, a souligné lors de son séjour à Kinshasa que «l’avenir des Congolais est entre leurs mains» et qu’ils ne devraient pas se laisser «manipuler, et moins encore achter, par ceux qui veulent maintenir le pays dans la violence afin de l’exploiter et de faire des affaires honteuses». (Onana, Charles. Holocauste au Congo, p. 442)
pk. Si l’on se base sur la véritable histoire du Rwanda, il n’y a rien de surprenant dans l’exode massif des familles dirigeantes d’antan et de leurs affiliés, l’élite tutsie, à l’époque où le petit royaume du Rwanda voulait se transformer en démocratie dans les années 1960. Ceux qui prenaient la route de l’exil n’entrevoyaient en effet aucune possibilité de perpétuer leur rôle de dirigeants, au vu de la majorité ethnique dominante dans la population, les Hutus (la minorité tutsie ne dépassait pas les 18% de la population rwandaise, v. Strizek, note2). La plupart de ces Tutsis exilés se tournèrent vers l’Ouganda; ce fut le cas également de la famille de Paul Kagame, qui appartenait aux cercles les plus influents du Rwanda monarchique. Avec l’appui de Museveni et des USA, Kagame, ayant passé sa jeunesse et son adolescence dans l’éxil ougandais, y créa une armée d’intervention, l’APR (Armée patriotique rwandaise), et récupéra avec elle, fin juillet 1994, l’hégémonie perdue sur le Rwanda, après quatre ans d’une sanglante intervention armée. Plusieurs auteurs sérieux montrent que cette intervention fut présentée à l’époque déjà sous la fausse étiquette de «guerre civile». Il s’agissait en réalité d’une intervention militaire provoquée et réalisée suivant un scénario de la CIA et de l’administration Clinton, à l’encontre du gouvernement du président démocratiquement élu Juvénal Habyarimana (Hutu). Celui-ci avait intégré les Tutsi de manière représentative en une vaine tentative de bloquer ainsi la poursuite de la guerre par l’APR, intégration dans un gouvernement de transition sous participation de la branche politique de la guérilla de Kagamé, le Front patriotique rwandais (FPR). Au moment où les guerilléros (transformés en «ministres» FPR) y occupaient leur place, leur armée (APR) recommença ses assauts débouchant, un an plus tard, sur la prise finale de Kigali.
Dans la nuit du 6 avril 1994, l’avion du président ruandais Juvénal Habyarimana, élu démocratiquement et aspirant à une attitude équilibrée, fut abattu lors de la manœuvre d’atterrissage sur l’aérodrome de Kigali par une fusée sol-air lancée d’un endroit proche. Le Président Juvénal Habyarimana (Hutu), le Président burundais Ntaryamira (Hutu), de hauts gradés appartenant aux deux Etats (Rwanda et Burundi) ainsi que l’équipage français de l’avion, composé de quatre personnes, avaient trouvé la mort lors de cette lâche attaque.
L’attentat déclencha le début du génocide meurtrier mené par des extrémistes Hutus rwandais contre les Tutsis de 1994. Onana et d’autres experts, observateurs critiques des évènements, avancent, basés sur une masse d’indices révélateurs, que c’était l’ APR qui a effectivement perpétré l’attentat.
Selon cette logique sinistre, l’état-major de l’APR (tutsi) aurait livré sa propre ethnie (tutsie) aux couteaux des extrémistes hutus de manière préméditée, dans le but de pouvoir se présenter au monde comme de sublimes «libérateurs du génocide» des Hutus contre les Tutsis. Le fait que l’APR elle-même avait perpétré, avant et après, contre la population rwandaise hutue des meurtres de masse à caractère de «nettoyage ethnique» systématique et planifié (voir Ruzibiza/Rapport ONU «report mapping», note 2), avait été camouflé, avec l’aide du partenariat Etats-Unis/Royaume Uni/Union européenne, suivant une stratégie propagandiste similaire à celle selon laquelle les véritables origines du problème sont dissimulées: les acteurs tirent cyniquement profit de la tragédie de leur peuple pour couvrir leurs propres crimes. Les exécutants jouent les victimes.
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