Les signataires de l’Acte final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) avaient publiquement renouvelé leur «détermination à respecter et à mettre en pratique certains principes, tous fondamentaux, qui régissaient leurs relations mutuelles, indépendamment de leurs systèmes politiques, économiques ou sociaux, ainsi que leur taille, de leur situation géographique ou de leur niveau de développement économique:
Egalité souveraine, respect des droits inhérents à cette souveraineté; non-recours à la menace ou à l’emploi de la force; inviolabilité des frontières; intégrité territoriale des Etats; règlement pacifique des différends; non-ingérence dans les affaires intérieures; respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment de la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction; égalité de droits et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes; coopération entre les Etats; respect effectif et fidèle des obligations découlant du droit international.»1
Les Etats participants se sont alors engagés à joindre leurs efforts pour surmonter la méfiance et accroître la confiance, résoudre les problèmes qui les divisaient et coopérer pour le bien de l’humanité. Les puissances signataires de l’Acte final d’Helsinki ont ainsi pris l’engagement, dans l’intérêt de la garantie de la sécurité en Europe, de persévérer à:
Le 1er août 1975, cet acte final a donc été le corollaire de la volonté de ses 35 signataires de détendre leurs relations, contribuer à la paix, à la sécurité, à la justice et à une meilleure coopération. Parmi les signataires, on comptait 15 membres de l’OTAN, 7 Etats rattachés au Traité de Varsovie et 13 «indépendants» avec statut d’observateur2 – à savoir les pays riverains de la Méditerranée, l’Egypte, Israël, le Maroc, la Syrie et la Tunisie.
Un diplomate de la CSCE revient sur le passé
La priorité qui se trouvait au cœur de l’Acte final d’Helsinki et du processus de détente qui en a résulté était de définir des concepts tels que la paix et la sécurité, ainsi que la coopération nécessaire pour y parvenir, et ce dans un contexte aujourd’hui encore inchangé et même, à l’heure actuelle, impératif.3
Grâce à la CSCE, à ses règlements et ses définitions, une nouvelle structure de négociation internationale a vu le jour. Le principe de l’égalité des droits de tous les Etats participants s’exprimait par le refus de toute tentative de réintroduire des structures d’opposition entre blocs dans le processus. Du moins, c’est ainsi que ça se passait, au début.
Ces derniers principes concernent certains aspects de la sécurité et du désarmement, de la coopération économique, scientifique, technique et environnementale, ainsi que de la coopération humanitaire ou dans d’autres domaines, particulièrement controversés, comme par exemple les contacts humains et l’information.
En 1975, avec les Accords finaux d’Helsinki, chaque participant a pu imposer ce qu’il estimait nécessaire et primordial pour garantir ses intérêts: dans le cadre du traité de Varsovie, les régimes socialistes alors en place considéraient que les réalités politiques et territoriales de l’époque étaient garanties par les principes de renonciation à la violence, de respect de l’intégrité territoriale, d’inviolabilité des frontières, de respect de la souveraineté et de non-ingérence.
Dans le camp occidental, le catalogue incluait les principes relatifs au respect des droits de l’homme, l’aménagement détaillé du large éventail des questions humanitaires ainsi que la vaste thématique portant sur l’information et la problématique de la coopération économique, surtout dans l’optique de la préservation des avantages commerciaux.
Il convient de souligner le rôle joué par les Etats neutres et non-alignés. A une exception près – celle de l’ex-Yougoslavie – ils se situaient généralement du côté occidental, de par leur système gouvernemental. Néanmoins, ils ont été sollicités pour jouer un rôle de médiateur et de coordinateur dans différents groupes de travail ou en plénière de la conférence. C’était particulièrement pertinent dans de nombreux cas où il était nécessaire de négocier des compromis de plus ou moins grande envergure.
L’Acte final et le processus de détente qui en a résulté, incluant des mesures militaires et de confiance, sont entrés dans les affaires internationales comme un exemple concret démontrant qu’il était possible d’instaurer la coexistence pacifique et la coopération entre des Etats ayant des systèmes sociaux et politiques différents.
Ce genre de structure peut également être considérée comme une attitude démocratique cohérente des Etats en matière de relations internationales. En son absence, le monde multipolaire ne pourra pas vivre en paix, ce qui était et demeure un impératif international sans date de péremption.
Pour la «coexistence pacifique» dans un monde multipolaire
Aucun monopole ne pourra «domestiquer» la multipolarité. C’est pourtant ce à quoi s’emploie actuellement l’Occident collectif, confronté à l’émergence d’un camp politique mondial de forces et de puissances montantes en Eurasie, en Afrique et en Amérique latine. Dans ce contexte, on assiste à l’émergence d’une nouvelle constellation de forces et de conflits internationaux, dans laquelle les règles, les mécanismes et les bénéfices internationaux transmis par l’Occident perdent leur fonction de monopole et de modèle. Henry Kissinger a comparé cette nouvelle situation à un état dans lequel les «grandes puissances européennes traditionnelles ne perçoivent pas que les réalités géostratégiques et géopolitiques contemporaines sont devenues obsolètes» et que «les règles et les normes édictées par une élite paneuropéenne, si elles ignorent les réalités géopolitiques, ne s’avèrent pas non plus un vecteur suffisant en vue d’une stratégie globale».4
Cette «élite» paneuropéenne aspire aujourd’hui à combler à son avantage le fossé global qui divise le monde multipolaire avec sa doctrine d’un «ordre international fondé sur des règles», plutôt que d’analyser, de définir et d’équilibrer les intérêts des deux parties. L’Occident transatlantique se réfère certes à la Charte des Nations Unies, mais son objectif est différent – imposer son «idéologie de superpuissance, [son] monopole de domination et [ses] critères d’exercice du pouvoir».5
Les Etats-Unis, en particulier, défendent leur hégémonie mondiale au travers de cette doctrine, aucun doute ne subsiste à ce sujet, d’après les documents officiels du Congrès américain.
Ces derniers caractérisent «l’ordre international fondé sur des règles» comme «un monde centré sur les Etats-Unis, leurs alliés et partenaires, afin d’imposer leurs valeurs et intérêts communs, de maintenir et de promouvoir des régions libres, ouvertes, démocratiques, inclusives, fondées sur des règles, stables et diversifiées»6 (souligné par A. S.).
En revanche, les principes constitutifs des BRICS, situés sur l’autre versant de ce «fossé», ont un aspect sensiblement différent: «engagement en faveur du multilatéralisme et du maintien du droit international, y compris les objectifs inscrits dans la Charte des Nations unies, ainsi que le rôle central de l’ONU dans un système international de coopération entre Etats souverains, dans le but de maintenir la paix internationale, la sécurité ainsi que le développement durable; promotion et protection des droits de l’homme; respect mutuel, justice et égalité.»7On ne trouve ici, contrairement à la doctrine de l’ordre international fondé sur des règles» occidental, aucune revendication d’hégémonie du «Sud». L’accent est mis sur son exigence de démocratisation des relations internationales, de leurs instruments, institutions et règles.
En revanche, la prétention des Etats-Unis à revendiquer l’hégémonie mondiale avec ses alliés, même dans des conditions multipolaires, constitue actuellement le point névralgique des conflits internationaux.
Dans ce contexte, le président américain Biden a lancé le terme générique d’«ère» pour légitimer comme fatidique la doctrine des «relations internationales dans des conditions de rivalité stratégique à long terme» après la fin de la guerre froide – parlant ainsi d’une «ère post-guerre froide des relations internationales».8 Ce qui équivaut de facto à une «fin ouverte». Le début de cette ère a été marqué par «la prise et l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014», ses «interventions dans l’est de l’Ukraine» et «les interventions de la Chine dans l’est et le sud de la mer de Chine», dont «l’administration américaine a estimé qu’il s’agissait d’une «menace pour des éléments-clés de l’ordre international établi par les Etats-Unis».9 En d’autres termes, l’ère de la «rivalité stratégique à long terme» se concrétise déjà et marque le positionnement dominant des Etats-Unis dans le conflit ukrainien et bien au-delà.
Reste à savoir si Donald Trump, suivra cette doctrine. Les premières discussions portant sur une normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie ainsi que sur un règlement politique de la guerre en Ukraine laissent espérer une détente. Ces deux éléments pourraient, et il faut s’en féliciter, déboucher directement ou indirectement sur un genre de coexistence pacifique, mais sans pouvoir exclure certains conflits d’intérêts.
«Il ne fait aucun doute que les bases d’un nouvel ordre mondial soient posées depuis longtemps et cela, alors même que les bâtisseurs subsistants de l’ancien ordre mondial, à savoir les Nord-Américains et les Européens de l’Ouest, y sont restés bloqués depuis 30 ans. D’autres, les Chinois en tête, ont repris le flambeau et se sont lancés dans une nouvelle aventure. Certes, cette situation peut ne pas nous plaire, mais nous n’avons pas le choix. Nous devons l’accepter en tant qu’élément d’un ordre établi jusqu’à présent sans notre intervention. Si nous ne le faisons pas, nous courrons à l’échec».10
La coexistence pacifique entre Etats ne se limite pas
à l’absence de conflit ou de recours à la violence
La coexistence pacifique11 consiste en la création, l’existence et le maintien d’un espace politique au sein duquel des systèmes sociaux, des valeurs et des politiques contradictoires se positionnent les uns par rapport aux autres et interagissent sans remettre en question le principe de droit international de l’égalité souveraine des Etats dotés de systèmes sociaux et politiques différents. Satisfaire à ces trois objectifs confère à la coexistence pacifique un caractère à la fois dynamique et durable. Pour réussir, il lui est indispensable de faire preuve de volonté de paix, de compréhension, de sécurité mutuelle et de compromis. La perte de confiance et les antagonismes en seraient les pires ennemis.
L’Acte final d’Helsinki est l’incarnation même de ces principes. Dans la pratique, il s’est avéré que les Etats de la CSCE devraient développer de meilleures et de plus proches relations entre eux afin de surmonter les affrontements dus à la nature de leurs relations antérieures et parvenir ainsi à une meilleure compréhension mutuelle. Ces principes et engagements ont été créés par des dirigeants des deux camps antagonistes de l’Ouest et de l’Est ainsi que par des Etats non-alignés, afin de résoudre leurs conflits sociopolitiques et éthiques selon des règles communes de coexistence pacifique.
Leur objectif premier, pacificateur, était de garantir la sécurité collective en Europe. L’objectif, l’esprit, le message et la procédure de l’Acte final d’Helsinki fournissent des mécanismes indispensables à la politique de paix, même dans le contexte actuel de configurations de forces multipolaires et de conflits en rapide évolution.
Même dans des conditions contraires au système, les dirigeants des deux camps, socialiste et capitaliste, avaient réussi à maîtriser et à «cultiver» leur antagonisme sociopolitique et leurs ambitions de domination politique ou révolutionnaire mondiale.
«La coexistence pacifique à long terme nécessite des dispositions institutionnelles et des réas-surances. Mais elle implique également la présence de mentalités appropriées». (souligné par A. S.). Ce sont là les conclusions tirées par Dieter Senghaas pour clore ses recherches sur la paix concernant la «coexistence pacifique» ainsi que le dénouement de la guerre froide et de la confrontation Est-Ouest entre 1945 et 1990. Il s’agissait pour lui, dans un «retour vers le futur»12, d’«empêcher à l’avenir la formation de nouvelles configurations conflictuelles de nature comparable ou sous une forme atténuée, d’une configuration antagoniste entre des puissances régionales».
Selon la perception historique de Senghaas, il n’y avait là rien d’absurde, car la conjoncture conflictuelle Est-Ouest était, du point de vue de l’histoire mondiale, caractérisée par une aggravation sans précédent, tant du point de vue de l’antagonisme idéologique des deux systèmes que des «événements marquants, voire monstrueux» et des «potentiels de destruction». «De cette conjoncture politique mondiale passée, particulièrement tendue, il y aurait ainsi bien des leçons à tirer.»
Ce que Senghaas considérait encore comme une situation «sans précédent» est en train d’être rattrapé par notre actualité. C’est la tragédie de notre époque. Actuellement, les puissances qui déterminent la situation internationale de manière décisive se sont engagées dans une confrontation qui risque constamment de dégénérer en guerre ouverte.
En 1988, Gorbatchev préconisait encore la perspective d’une sécurité européenne dans la «création d’une structure pour la sécurité et la confiance, qui se situe au-dessus des blocs». Par contre, en 1991, le président américain George Bush senior a interprété le dénouement pacifique de la guerre froide comme l’ouverture d’un changement de stratégie vers un ordre mondial unipolaire. Un «‹ordre› dans lequel ce seront les Etats-Unis à façonner à leur gré le reste du monde plutôt que d’interagir avec celui-ci».13
En résumé, sur le plan international, la question de la paix n’est plus la question la plus cruciale, puisqu’il existe des réponses. Le projet de la «coexistence pacifique» en tant que modèle originairement européen de paix et de détente demeure plus que jamais incontournable. Le modèle d’Helsinki avait fait ses preuves avec succès dans le tumultueux contexte politique européen de la guerre froide. Les 35 Etats et chefs d’Etat européens, y compris les dirigeants politiques de la République fédérale d’Allemagne, le considéraient comme opportun, même en période de crise.
Le «facteur subjectif», qui prend la forme du «rôle joué par les individus dans l’histoire», a adopté et continue d’adopter une position de causalité primaire, lourde de conséquences, dans la mesure où il élimine en grande partie la «coexistence pacifique» et son contenu pacificateur en matière de politique étrangère. Les arguments les plus courants sont que leur valeur temporelle est arrivée à échéance en raison de la modification des conditions internationales et qu’ils sont par conséquent devenus «obsolètes».
La République fédérale en mode «détente»
et la «Maison commune européenne»
«J’ai convenu avec le Secrétaire général Gorbatchev des éléments constitutifs d’une ‘maison commune’ européenne!»
(Chancelier Helmut Kohl).
Et donc, il y a eu en effet une génération de penseurs politiques, principalement des dirigeants d’Europe occidentale, y compris sociaux-démocrates, qui, sous la pression de la menace nucléaire, se sont penchés sur la sécurité commune et la détente durant la période d’Helsinki. Même les attentes de relations économiques pacifiques entre les Etats de l’Ouest et de l’Est y avaient trouvé leur place. Leur action reposait encore «sur le souvenir personnel et collectif de la guerre vécue», afin «d’en empêcher que n’éclate la prochaine». «En Allemagne, c’était encore la génération de Willy Brandt, Helmut Kohl et Erich Honecker».14
La motivation première, voire personnelle, des chefs d’Etat de l’époque était d’empêcher une escalade cauchemardesque entre les deux systèmes sociopolitiques antagonistes.
La clarté et les implications totales de cette menace, le fait qu’il s’agissait de la survie pacifique ou de la disparition commune de l’humanité dans une guerre nucléaire, ont alors fait germer l’idée que les potentiels de conflit impliquant un risque de guerre nucléaire ne pourraient plus être maîtrisés de manière traditionnelle, par la supériorité militaire, la victoire militaire, la défaite ou la soumission de l’une des deux parties. Au contraire, la menace devrait plutôt être éliminée de façon à exclure la variante guerrière armée de la résolution du conflit.
Il est intéressant de noter que le gouvernement fédéral s’est alors également inspiré de quelques principes de coexistence pour élaborer les conditions extérieures de la fusion des deux Etats allemands.
Une première application qui en résultait fut celle du plan de Gorbatchev (1987) sur la «Maison commune européenne», au sein de laquelle l’Union soviétique, la RFA et la RDA devaient coexister pacifiquement avec les autres Etats européens.
Les réflexions sur l’organisation d’un système sécuritaire européen commun consécutif à la fin du conflit Est-Ouest, son institutionnalisation et sa consolidation au sein de la CSCE et par le biais de celle-ci, étaient toutefois de plus grande importance. Le Chancelier Helmut Kohl et le Ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher entendaient par là le principe de coexistence coopérative des Etats et de leur régulation. Ainsi, dans son discours devant le Bundestag, le 28 novembre 1990, Kohl présenta un «programme en dix points pour surmonter la division de l’Allemagne et de l’Europe» se déclarant avoir convenu avec «le Secrétaire général Gorbatchev des éléments constitutifs d’une maison commune européenne». A cet effet, il mentionna à titre d’exemple:
Hans-Dietrich Genscher insista particulièrement sur le point 8: «Le processus de la CSCE est la clé de voûte de cette architecture paneuropéenne. Nous voulons la voir progresser et mettre à profit dans ce sens les forums à venir.» Le 20 septembre 1990, lors de la 226e session du Bundestag allemand, il déclara: «Grâce à notre participation, une structure de coopération, de sécurité et de stabilité européennes est en train de se développer, pas à pas, résultant de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.»16
Certains dirigeants du SPD soutenaient également la ligne d’Helsinki, en particulier Egon Bahr. Au sein de l’Institut de recherche sur la paix et la gestion des conflits qu’il dirigeait à Hambourg, il avait conçu des solutions alternatives allant dans l’optique d’un système de sécurité collectif européen. Dans son approche de l’après-guerre froide, il se laissait guider par l’idée d’un «espace commun allant de Lisbonne à Vladivostok en tant qu’entité politique de sécurité».
«L’Europe a la chance de pouvoir organiser la sécurité de ses Etats de telle sorte que les guerres entre eux deviennent impossibles.»17
Dans ses «Grandes lignes d’un système de sécurité collective», Egon Bahr proposa «la création d’organes paneuropéens, en y incluant la Russie, dans le domaine de la sécurité. On ne sait pas encore si ce pays développera la démocratie et l’économie de marché d’ici dix ou quinze ans, s’il en a la volonté ou la capacité par rapport aux critères de l’Europe occidentale; mais attendre que la Russie retrouve sa stabilité avant d’organiser la sécurité serait l’erreur du siècle».18
Manfred Wörner, Secrétaire général de l’OTAN, avait développé en 1990 le concept d’une «future structure de sécurité pour l’Europe». Sa mission consistait à «organiser un partenariat de sécurité pour les Etats européens afin de surmonter leur farouche opposition datant de la guerre froide tout en passant de la confrontation à la coopération».
Wörner a formulé à titre de «perspectives d’avenir» de l’OTAN une alliance en mutation: «a changing Alliance: from confrontation to cooperation; from a military to a political alliance; from deterrence to protection against risks and the guarantee of stability; from peace-keeping to peace-building; from a US-led Alliance to a genuine partnership with the Europeans now playing an equal leadership role.» 19(de la confrontation à la coopération, de l’alliance militaire à l’alliance politique, de la dissuasion à la protection contre les risques et à la garantie de stabilité, du simple maintien de la paix à l’édification de la paix, de l’alliance dirigée par les Etats-Unis à une véritable alliance politique avec les Européens qui joueraient à présent un rôle de partenaires à égalité).
Les Etats-Unis ont immédiatement réagi à ces concepts de la RFA axés sur des intérêts souverains et indépendants en rétorquant: «L’Alliance atlantique doit désormais moins se préoccuper de la sécurité que de sa portée politique. L’élargissement de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie [...] dans un rayon limité à quelques centaines de kilomètres de Moscou, a été envisagé comme une méthode appropriée pour continuer à implanter la démocratie», déclara Henry Kissinger.20
Cette contre-attaque a été immédiate, faisant suite à une nouvelle orientation du Pentagone «devenue elle-même un pilier de la politique étrangère américaine»: «Le gouvernement américain devait «dissuader les nations industrielles développées de remettre en question notre leadership ou même de chercher à accroître l’étendue de leur rôle régional ou mondial de manière indépendante.»21
En 1989, Robert L. Hutchings, «membre de l’équipe de politique étrangère de l’administration Bush» affirmait dans son livre «Quand la guerre froide a pris fin»: «Notre diplomatie à cette époque était entièrement axée sur la défense des intérêts américains – et non pas allemands.»22 Certains à Washington considéraient l’institutionnalisation du processus de la CSCE comme un anathème, car ils craignaient que la conférence ne mine l’OTAN». «Le discours de Genscher nous a fait comprendre le danger de voir les Allemands, s’ils étaient laissés à eux-mêmes, tout à fait prêts à payer un prix inacceptable et superflu pour eux-mêmes – et pour d’autres – dans le but d’obtenir l’accord des Soviétiques sur la réunification». De même, «nous étions préoccupés par le fait que Genscher assurait par ailleurs que l’Allemagne resterait membre de l’OTAN – mais d’une OTAN plus politique que militaire»23.
En toute logique, l’orientation américaine anti-CSCE par principe avait été révélée par l’intervention du Secrétaire d’Etat Baker qui avait sondé, dès février 1990, la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie sur leur accord avec un élargissement de l’OTAN vers l’Est.
Robert L. Hutchings a noté à ce sujet: «Alors que la Pologne et la Hongrie se sont révélées être des partisans enthousiastes de l’OTAN, les choses ont été plus difficiles à Prague: de ses années de dissidence, le président Havel avait gardé la conviction que les deux ‹blocs militaires› – c’est-à-dire l’OTAN et le Pacte de Varsovie – devaient être dissous de la même manière et remplacés par un nouvel ‹ordre de paix paneuropéen›, de préférence par la CSCE en tant que nouveau système de sécurité collective. […] Nous avons alors estimé qu’il était important de lui expliquer pourquoi les Etats-Unis ne pensaient pas que la CSCE pourrait remplacer l’OTAN en tant qu’instrument de sécurité européenne».24 Cela se passait alors même que le traité de Varsovie était encore en vigueur.
Ainsi, Siegfried Bock, chef de la délégation de la RDA aux négociations de la CSCE à Helsinki et à Genève, se souvient également dans «Die DDR im KSZE-Prozess» (La RDA lors du processus de la CSCE) que «dans ce domaine, seuls les Etats-Unis [étaient] plus enclins à considérer la conférence comme une concession à l’égard de l’Union soviétique, en échange de quoi ils attendaient une contrepartie de Moscou. Kissinger a toujours évoqué cette conférence avec grand détachement, à l’utilité de laquelle il n’a jamais vraiment cru».25
Avec le recul, il faut prendre en considération que la volonté du gouvernement fédéral de l’époque de réaliser enfin l’«unité allemande» et de liquider le «corps étranger» certes allemand, mais tout de même socialiste qu’était la RDA, a largement motivé sa complaisance envers Gorbatchev.
En interne, un consensus s’est probablement dégagé en faveur de l’idée que si «maison commune» il devait y avoir, sa réunification ne pouvait être qu’«à l’allemande». De même, il n’y a pas eu de «réorganisation du paysage de la sécurité européenne» dans les années qui ont suivi. La mesure préconisée par Wörner, à savoir élargir les fonctions politiques de l’OTAN, ne s’est pas non plus concrétisée. Les espoirs russes de voir l’OTAN changer de nature sont donc restés une illusion de Gorbatchev. Le fait que le «Traité sur le règlement définitif des relations avec l’Allemagne» (Traité «Deux plus quatre») – notamment son article 2 qui stipule que «de la terre allemande ne doit plus émaner que la paix» – signé à Moscou, le 12 septembre 1990, ait été enfreint car considéré comme inexistant, constitue aujourd’hui une menace pour la paix.
Récapitulation et leçons
à tirer issues de nos expériences
«La politique de paix requiert une véritable aptitude à la coexistence pacifique. Celle-ci repose à son tour sur la capacité d’accepter et de respecter toute autre forme de société et tout autre Etat en tant que tels.»
(Erhard Crome, p. 151)
L’Acte final d’Helsinki (1975) et la Charte de Paris pour une Nouvelle Europe (1990) sont définitivement à considérer en tant que les piliers constitutifs d’un ordre de paix européen durable. Dans le même temps, leurs principes constituent le noyau d’une politique internationale de «coexistence pacifique» entre les Etats.
Loin de n’être qu’une «conférence sur le papier» théorique, le processus d’Helsinki s’est révélé extrêmement efficace et pratique sur le plan international. La CSCE, ainsi que son avatar, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ont joué, au début des années 1990, un rôle indispensable de médiateur en matière de politique de sécurité et de renforcement de la confiance militaire réciproque.
Le code de sécurité commun incluait donc: la non-intervention militaire, la transparence totale et l’assurance de la non-menace nucléaire mutuelle. La prédictibilité des parties a ainsi surtout profité à la paix en Europe centrale. Elle était soutenue par un statu quo militaire, une «construction au modus vivendi».
Malencontreusement, les Etats de l’Alliance transatlantique se sont progressivement distancés de cette construction du modus vivendi et de ses piliers CSCE/OSCE. Dans l’esprit des dirigeants russes, cela revenait à évincer la Russie du processus de gestion communautaire des questions de sécurité paneuropéennes sur le continent commun.
Rétrospectivement, la construction globale du modus vivendi s’est avérée être la clé de voûte de la coexistence pacifique, dont le modèle a été le processus de la CSCE.
Pour apaiser les tensions dans les relations entre les Etats européens et eurasiens, il faut sortir de la situation actuelle où la guerre froide utilise les relations interétatiques comme une arme. A cet égard, l’expérience du processus de la CSCE peut servir de modèle.
Premièrement, le processus de la CSCE ayant fonctionné à l’époque même de la première guerre froide, il a permis de créer des espaces de conciliation des problèmes sur un pied d’égalité. (La stratégie OTAN 2030 en offre un ultime contre-pied avec son «offre de compensation à la Russie à ses conditions (celles de l’OTAN)». En clair: on ne souhaite guère de compensation).
Deuxièmement, la notion prioritaire fondamentale de la « civilisation du conflit » (Senghaas) a été d’empêcher les conflits entre les Etats, ce qui reposait sur le concept selon lequel ce ne sont pas les différences de système en soi qui constituent une cause primaire de menace, mais la militarisation de leur gestion. Partant de là, le système de comportement suivant s’est développé au cours du processus d’Helsinki:
Cette construction globale d’un modus vivendi sous forme de stabilité des relations entre les Etats, des relations de travail au niveau des dirigeants et du statu quo militaire s’est avérée être une sorte de «sésame, ouvre-toi» pour la coexistence pacifique. Elle a permis un comportement démocratique conséquent des Etats les uns envers les autres et les uns avec les autres, en particulier des Etats internationaux majeurs, mais également des Etats régionaux.
Guerre froide des valeurs constitutives –
quels en seront les aspects considérables comme pragmatiques et donc surmontables?
Primo: décrisper les rapports et les relations entre Etats européens et eurasiens. Un premier pas essentiel dans ce sens serait de leur épargner les controverses autour de la problématique des valeurs profondes, innées aux différentes cultures, ce qui apporterait rapidement des améliorations considérables en matière d’ambiance.
Il n’y a aucune raison concrète pour ne pas mettre fin immédiatement à cette «guerre des valeurs». Ni l’identité des valeurs, ni l’identité de l’ordre politique des sociétés occidentales de l’Est ou du Sud ne sont en danger. En appliquant le respect des droits de l’homme, on mettrait l’accent sur la préservation de l’intégrité physique de l’être humain, condition la plus élémentaire de tout progrès démocratique. Les conventions exigeant et protégeant l’intégrité physique de l’être humain restent à être revendiquées comme obligatoires.
Secundo: une approche diplomatique devrait évaluer, de manière réaliste, l’importance et la place des problèmes liés aux valeurs, ce dans les conditions multipolaires et socioculturelles plurielles contemporaines. Concrètement, cela devrait commencer par la Russie et l’espace eurasien commun. Il conviendrait, dans cette gestion du conflit des valeurs, de développer des modalités permettant des relations coopératives entre les Etats. Le problème des valeurs doit être séparé de tout contexte de politique militaire, comme celui représenté par l’OTAN.
Tertio:le respect des principes de l’«Acte final d’Helsinki» ainsi que de la «Charte de Paris». Dans le cadre de l’OSCE, ses Etats signataires devraient réaffirmer leur engagement à respecter ses principes et ses règles fondamentales. Ces Etats ont signé l’Acte final, connaissent son contenu et en ont approuvé la validité, même après la fin de la première guerre froide, comme composante majeure d’un ordre de paix européen. Dans la réalité, cet ordre a été balayé par les nouveaux conflits entre Etats après la fin du conflit Est-Ouest et celle de la première Guerre froide. L’Acte final de Helsinki devait conserver sa validité en tant que cadre de référence normatif.
Quarto: l’OSCEdevrait jouer un rôle directeur au sein de l’espace eurasiatique de ses états membres, en renouant avec les concepts existants de la coexistence pacifique. Elle est à cet égard l’organisation régionale la plus efficace, possédant des relations et des mécanismes entre Etats qui ont fait leurs preuves, la connaissance mutuelle des positions politiques et des principes et règles constitutifs reconnus par tous les Etats membres.
Il reste indéniable que depuis la Charte de Paris, cet espace ait connu une remarquable pluralisation des intérêts, des valeurs et des systèmes politiques, dont la dynamique n’a pas été suivie par le paradigme dogmatique des valeurs en tant que facteur relationnel de ses membres occidentaux. L’OSCE dispose pourtant encore des conditions nécessaires pour être un «laboratoire» destiné à la construction d’une compréhension moderne et dynamique de la coexistence pacifique en Eurasie.
La coexistence pacifique reste en fin de compte la seule issue réaliste et viable à la crise désastreuse dans laquelle se trouvent actuellement les relations entre l’UE-Europe et son contexte continental à dimension eurasienne. •
1https://www.osce.org/files/f/documents/6/e/39503_1.pdf
2 Cette obligation ne concernait que le droit de signature.
3 Cette partie du texte a été rédigée de la main de Peter Steglich, ancien ambassadeur. Depuis les préparatifs de la Conférence de Helsinki jusqu’à la rédaction de l’Acte final, P. Steglich a accompagné le processus de Helsinki de 1977 à 1990 en tant que Chef adjoint de la Division des questions fondamentales et de la planification au Ministère des affaires étrangères de la RDA. Durant cette période, il a dirigé la délégation de la RDA aux réunions de suivi de la CSCE à Madrid (1980–1983) et à Vienne (1986–1989) ainsi qu’à d’autres conférences de la CSCE à Bonn, Hambourg et Paris.
4 Henry Kissinger. Weltordnung, C. Bertelsmann, 2014, p. 111
5 Hans Köchler. Demokratie und Neue Weltordnung, Universität Innsbruck, VIII, 1992, p. 10
6The United States global leadership role, Congressional Bills 117 the Congress 2021/2022, [From the U.S. Government Publishing Office], [S. 1169 Reported in Senate (RS)], STATEMENT OF POLICY, BILLS-117hr3524ih.pdf (congress.gov) (1)
7 Déclaration commune des Ministres BRICS des affaires étrangères, en anglais;
https://www.mea.gov.in/bilateraldocuments.htm?dtl/37860/joint+statement+of+the+brics+ministers+of+foreign+affairsinternational+relations . (traduction A.S.)
8https://crsreports.congress.gov
9 ibid.
10 Gregor Schöllgen, Gerhard Schröder, Letzte Chance. Warum wir jetzt eine neue Weltordnung brauchen, Deutsche Verlags-Anstalt, 2021, p. 219
11 Celle-ci est à rapprocher de la catégorie internationale de «sécurité collective» rejetant tout comportement agressif dans la sphère d’influence des Etats participants. (Kissinger, p. 289)
12 Dieter Senghaas. Weltordnung in einer zerklüfteten Welt, Suhrkamp, Berlin 2012, p. 75
13 Uri Friedman, The «attraction of American society … is today less clear», Centre for Strategic and International Studies, CSIS, Washington, September 13, 2018,
https://www.defenseone.com/ideas/2018/09/america-losing-power-and-influence-and-must-adapt-warns-un-secretary-general/151242/
14 Erhard Crome. Die ungeliebte Alternative, Rückbesinnung auf friedliche Koexistenz für eine zeitgemäße internationale Politik, VSA: Verlag Hamburg, 2021, p.145
15Zehn-Punkte-Programm zur Überwindung der Teilung Deutschlands und Europas, Rede des Bundeskanzlers vor dem Deutschen Bundestag am 28. November 1990,
https://archiv.bundesregierung.de/resource/blob/975236/237440/63b9cde71a07804a8ee297d1561cd1ed/2009-11-16-
16Bulletin der Bundesregierung Nr. 113/p. 1187 du 21 septembre 1990
17 Egon Bahr. Zu meiner Zeit, Karl Blessing Verlag, München, 1996, p. 166
18 ibid. p. 566
19The Atlantic Alliance and European Security in the 1990s, Address by Secretary General
20 Kissinger, loc. cit., p. 106
21 Jeremy Rifkin. Der Europäische Traum, Die Vision einer leisen Supermacht, Fischer Taschenbuch, Frankfurt a.M., 2006, p. 314
22 Robert L. Hutchings. Als der Kalte Krieg zu Ende war – ein Bericht aus dem Inneren der Macht, Alexander Fest Verlag, p. 132
23 ibid.
24 loc. cit., p. 176
25 Siegfried Bock. Die DDR im KSZE-Prozess; Siegfried Bock, Ingrid Muth, Hermann Schwiesau. DDR-Außenpolitik im Rückspiegel, (LIT Verlag) Münster, p. 105
(Traduction Horizons et débats)
* Arne Clemens Seifert, Dr. h.c. (né en 1937 à Berlin), ancien ambassadeur, Senior Research Fellow WeltTrends-Institut für Internationale Politik, Potsdam. Etudes à l’Institut des relations internationales, Moscou, spécialisation pour la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, diplôme en 1963. Doctorat à l’Institut du mouvement ouvrier international, Berlin, 1977. Dr honoris causa de l’Institut d’Orient de l’Académie des sciences de Russie en 2017. Fonctions au ministère des Affaires étrangères de la RDA 1964–1990: secteur des Etats arabes, en poste en Egypte et Jordanie; chef de secteur en Irak, Iran, Afghanistan; collaborateur scientifique du vice-ministre pour l’Asie, l’Afrique; ambassadeur au Koweït 1982-1987; chef de division 1987–1990. Après 1990: mission de l’OSCE au Tadjikistan; conseiller pour l’Asie centrale au Centre de recherche de l’OSCE (CORE), Institut de recherche sur la paix et la politique de sécurité de l’Université de Hambourg, spécialisé dans la recherche sur l’OSCE et l’Asie centrale – prévention civile des conflits, transformation, islam politique, relations laïques-islamiques, processus politiques. Publications récentes, entre autres: Dialogue et transformation. 25 ans de recherche sur l’OSCE et l’Asie centrale, Nomos; Islamischer Aufbruch in Zentralasien, Spezifika religiöser Raddikalisierungsprävention, OSZE-Jahrbuch, tome. 24, 2018 Friedliche Koexistenz in unserer Zeit. Der neue Kalte Krieg und die Friedenfrage, WeltTrends 202; Regelbasierte internationale Ordnungversus post-coloniale Emanzipation-Grenzen und Sackgassen eines globalen Hegemonieprojekts, WeltTrends 2022.
par Arne C. Seifert
«La tâche la plus noble des dirigeants occidentaux n’est pas de vouloir transformer les autres cultures à l’image de l’Occident.»
(Samuel Huntington)
Quels aspects du conflit seraient pragmatiques et surmontables? L’auteur de cet article en choisit délibérément un parmi la multitude de foyers et d’objets de conflit nécessitant une détente: Le conflit des valeurs et la guerre des valeurs.
Un politicien arabe du Golfe a lancé son avertissement en ces termes: «Il est temps de se parler concrètement. Cela concerne avant tout les problèmes liés aux ‹valeurs›. S’il vous plaît, ne sous-estimez pas nos valeurs, notre religion et notre culture. Nous attendons de vous le respect et l’appréciation de notre culture. C’est le cœur de notre relation. Les gouvernements vont et viennent. La culture, la religion et les valeurs restent. Sans leur compréhension, il n’y aura pas de partenariat solide et durable entre nous. Je vous recommande de ne pas oublier: Nous avons aussi des partenaires qui diffèrent des vôtres. Le monde est ouvert pour nous aussi. Nous ne dépendons pas de vous. Si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur des principes acceptables, fondement d’une relation commune respectueuse des valeurs et des cultures, nous manquerons de la base solide pour nos relations et notre confiance mutuelle.»1
La prise en compte de la pluralité des systèmes sociaux, politiques et de la variété des valeurs qui régissent notre monde renseigne sur la manière dont la diversité des systèmes de domination est perçue et sur les intentions politiques qui en résultent. Elle indique en plus les instruments de gestion internationale vers lesquels les Etats se tournent – hégémoniques et conflictuels ou co-existentiels, préventifs aux conflits et orientés vers la paix.
L’intention de l’Occident, particulièrement manifeste, d’étendre au niveau international sa vision du monde normative et institutionnelle pour en faire, après la fin du conflit Est-Ouest, la vision dominante, favorise la complexité dans la gestion de la diversité des systèmes sociopolitiques, réglementaires et des valeurs fondamentales – au point d’en faire un des champs de conflits les plus complexes de la politique mondiale. Sa militarisation par le biais de guerres et d’interventions à des fins de «changement de régime» a abouti à en faire une question de «guerre ou de paix».
Apostrophée comme «paix démocratique», la partie occidentale n’a pas fait mystère de ses intentions dès la fin du conflit Est-Ouest. Dès 1990, il était clair pour elle qu’elle intégrerait ses Etats membres situés à l’Est dans le cadre constitutionnel de leurs systèmes politiques, notamment à l’aide des mécanismes de la CSCE. Par conséquence, elle a engagé tous les Etats orientaux de la CSCE, par le biais de la Charte de Paris, à «établir, consolider et renforcer la démocratie en tant que seule forme de gouvernement […]».2 Dans ses mémoires, Hans-Dietrich Genscher écrit à ce sujet: «La Charte de Paris [créait] un fondement pour toutes les valeurs et tous les principes fondamentaux d’un ordre social libéral»3 [souligné par A.S.].
C’est également Genscher qui, lors de la conférence de la CSCE à Moscou en septembre 1991, a insisté sur le fait que des interventions extérieures étaient autorisées pour faire respecter la «dimension humaine, synonyme de démocratie, d’Etat de droit respectant les droits de l’homme» [souligné par A.S.]. Dans ses «Mémoires», il note à ce sujet: «Lors de cette conférence de Moscou, quelques semaines après le putsch de Moscou de l’été 1991, l’Union soviétique [le président Eltsine de l’époque; A.S.] s’est ralliée à mon initiative d’inscrire dans le cadre de la CSCE la non-reconnaissance des changements de pouvoir anticonstitutionnels et de décider en outre que l’exigence de respect des droits de l’homme n’était pas soumise à l’interdiction d’ingérence dans les affaires intérieures.» (Genscher, Erinnerungen, p. 321)
C’est dans ce contexte que l’«Occident», dans le contexte de la «guerre contre la terreur», de la «paix démocratique», de l’«intervention démocratique», de «la dimension humaine», s’est créé, ensemble avec la «Responsabilité de protéger» un cadre de droit international qui a étayé sa politique d’intervention sapant ainsi les dispositions fondamentales de la Charte des Nations unies qui visent à garantir la sécurité et la paix internationales, comme celle de l’égalité souveraine des Etats.
Par contre, le principe de l’Acte final d’Helsinki stipule ceci: «En vertu du principe de l’égalité des droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tous les peuples ont le droit, à tout moment, de déterminer en toute liberté, quand et comme ils le souhaitent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement politique, économique, social et culturel comme ils l’entendent». Les paroles de Genscher montrent à quel point le monde occidental a entretemps rejeté ce principe (jusqu’à nos jours).4
Le désir occidental de domination globale des valeurs a donc été intégré, sous le couvert des droits de l’homme, dans la doctrine transatlantique figée dans la formule de «l’ordre international fondé sur des règles». Celle-ci est devenue partie intégrante non seulement de la politique de la plupart des Etats occidentaux, mais aussi de l’OTAN. «Nous restons le rempart de l’ordre international fondé sur des règles» [souligné par A.S.], peut-on lire dans l’actuel concept de l’OTAN «NATO 2022 STRATEGIC CONCEPT». Les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’OTAN ont en outre décidé que «nous renforcerons nos relations avec les partenaires qui partagent les valeurs et l’intérêt de l’Alliance à maintenir l’ordre international fondé sur des règles. Nous renforcerons le dialogue et la coopération pour défendre cet ordre, préserver nos valeurs et protéger les systèmes, les normes et les technologies dont ils dépendent.»5 Pour atteindre ces buts, l’OTAN se réserve un espace d’action à 360°, c’est-à-dire à l’échelle mondiale.
Considérant le fait qu’aucune menace réelle existe, ni pour la sécurité de l’OTAN tout ensemble ni de celle de ses Etats membres, on se trouve donc face à une menace à dimension mondiale. La partie du monde «(trans)atlantique» mène donc sa «guerre froide des valeurs» – quelle menace historique pour la coexistence pacifique dans ce monde unique, le globe!
Ce globe qui comprenait, en 2021, environ 3,2 milliards de personnes peuplant les pays des BRICS, donc 41% de la population mondiale, avec leurs valeurs, leurs normes sociales, leurs cultures, leurs religions, etc. Les pays BRICS ont bien pris note de la provocation de l’Occident et de l’OTAN en matière de valeurs. Ils y ont réagi, discrètement mais sans équivoque, lors de leur sommet de 2024 à Kazan, en Russie, comme le témoigne leurs déclaration finale en commun: «Ils [les Etats participants] se sont mis d’accord de renforcer leur coopération sur les questions d’intérêts communs, tant au sein des BRICS que dans les forums multilatéraux, y compris l’Assemblée générale des Nations unies et le Conseil des droits de l’homme, en tenant compte de la nécessité de promouvoir, de protéger et de respecter les droits de l’homme de manière non sélective, non politisée et constructive, sans double standard.»6 [souligné par A.S.].
L’avertissement sans équivoque des BRICS et leur détermination à résister et à affronter les vents contraires internationaux se rangent aux paroles de l’homme politique arabe citées au début de cet article.
1archives de l’auteur, citation de 2024
2Charte de Paris pour une nouvelle Europe. Déclaration de la Réunion parisienne des chefs d’État et de gouvernement de la CSCE, Paris, 21 novembre 1990, dans: Ulrich Fastenrath (éd.). CSCE/OSCE. Dokumente der Konferenz und der Organisation für Sicherheit und Zusammenarbeit in Europa, Cologne 2008, chap. A.2, p. 2
3Hans-Dietrich Genscher, Erinnerungen, Siedler Verlag, Berlin, 1995, p. 319
4Acte final d’Helsinki, chap. VIII. Egalité des droits et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
5OTAN, Adopté par les chefs d’État et de gouvernement lors du sommet de l’OTAN à Madrid, 29 juin 2022, p.1;10
6Déclaration commune des ministres des affaires étrangères/relations internationales des BRICS, point 49, 10 juin 2024,
https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm?dtl/37860/joint+statement+of+the+brics+ministers+of+foreign+affairsinternational+relations
(Traduction Horizons et débats)
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