par Dr. rer. publ. Werner Wüthrich
Comment amener les enfants et les jeunes à s’intéresser à la politique? Les habitants d’Oberurnen, dans le canton de Glaris, ont trouvé une réponse pour leur école maternelle et primaire: la landsgemeinde des élèves. Le magazine régional Fridolin du 28 mai 2025 rapporte:
«Le gouvernement des élèves, composé de cinq personnes, avait déjà été élu en février. Il a préparé les intervention déposées des différentes classes pour être débattus sur la tribune de cette assenblée général selon le modèle réel de la landsgemeinde glaronaise. Ainsi, la maternelle Hobi avait proposée une plate-bande surélevée tandis que celle Bizozzero une fontaine placée au terrain de jeu. Les élèves en 3e et 4e année scolaire s’étaient engagés pour une fête d’été et pour qu’il y ait un camp scolaire tous les deux ans tandis que ceux en 5e et 6e votaient pour une aide aux devoirs située à la maison des jeunes. Ainsi l’ordre du jour, préparé savemment du gouvernement des écoliers, prévoyait dix affaires à traiter dans l’assemblée plénière. La demande d’installer un toboggan intérieur dans le bâtiment dépassait amplement le budget ce qui avait amené le gouvernement des écoliers de préconiser, face à l’assemblée, son rejet – proposition avalisée sans problème. Avant cet évenement, le corps enseignant et les autorités avaient affirmé leur volonté de réaliser les choix de l’assemblée plénière. En effet, la landsgemeinde écolière, même s’il s’agissait d’une expérience nouvelle, a été un évenement sérieux et non pas un pur jeu. Les jeunes imitants de la cérémonie traditionnelle depuis des siècles se sont rendus sur le terrain spacieux de sport, destiné comme lieu de réunion, en cortège, au pas mesurés selon le rhythme solennel de La marche de landsgemeinde original – avec, en tête, le landamman* des jeunes Samuel, en compagnie du landamman glaronais authentique, Kaspar Becker, ainsi que les «landräte» (membres du Parlement cantonal) locaux. Ce qui faisait qu’assis sur leurs bancs et impatients se trouvaient deux cents élèves – de la maternelle à la 6e année scolaire – parmi eux ceux penchés sur leurs annotations préparées pour intervenir sur le podium pendant les débats après avoir écouté les propositions de leur gouvernement élu d’eux-mêmes.»
La plupart du temps, les élèves ont suivi leur gouvernement. Mais comme pour la vraie landsgemeinde, cette assemblée-là avait, elle aussi, ses règles. A plusieurs reprises, le landamman des élèves Samuel a dû faire voter deux fois parce que la majorité n’était pas clairement perceptible pour lui. (Lors de la vraie landsgemeinde, on ne compte pas non plus les voix une à une, mais c’est au landamman d’estimer les majorités dans une situation mitigée). Levin a proposé de rejeter la proposition concernant les «camps de classe» faisant état du fait que nombreux enfants – dont lui – seront épris d’attaques de nostalgie. La solution adoptée pour la fontaine était tout à fait salomonique. Les enfants du jardin d’enfants y auront libre accès à l’utiliser pour faire des expériences. Caroline trouve que c’est une bonne idée. Nora par contre pense que les enfants de l’école devraient aussi pouvoir y jouer. Lea, élève en 3e, souhaite en revanche réparer ou remplacer la fontaine de la cour de récréation. Une motion de refus estime que les élèves disposent déjà de nombreuses autres installations à la cour de récréation et que c’est trop cher. L’amendement de Nora est adopté à une large majorité. Ensuite l’assemblé décidé de ne pas construire une nouvelle fontaine, mais de la réparer. En plus, dès maintenant, les enfants des classes pré-scolaires auront accès à la fontaine de l’école existante. Déjà là s’annonce une compréhension plus profonde de la démocratie directe: les enfants ne se contentent pas d’extérioriser leurs revendications seules, ils font preuve aussi d’être conscients du fait que la mise en œuvre de leurs demandes aura son prix.
Pour l’année prochaine, le canton de Glaris prévoit un Parlement des élèves. Il faut considérer que la landsgemeinde glaronaise a déjà introduit, il y a quelques années, le droit de vote à partir de seize ans.
A Glaris, la tradition démocratique est une constante historique…
Il est hautement sensé de cultiver ces traditions démocratiques autant précieuses. Pour les mesurer, il faut remonter loin dans le passé des populations, à l’époque même où l’ancienne Confédération se figea. Il vaut la peine de remonter jusqu’aux origines, avec les populations rurales d’Uri, Schwyz et Unterwald qui ont fondé l’Alliance suisse primordiale par leur traité d’entre-aide de l’an 1291. En 1352, ils conquièrent Glaris et l’intègrent dans leur Alliance en tant que «membre de droit mineur». En 1386, lors de la bataille de Sempach, les Glaronais ont combattu dans les rangs des alliés et ont ensuite été admis comme membres à part entière.
Le 11 mars 1387, le bailli et la communauté des citoyens glaronais se sont réunis pour la première landsgemeinde en tant que collectivité libre se dotant d’une constitution – les premiers statuts de la contrée glaronaise. Celle-ci a vu le jour grâce à la «faveur et à la volonté des sages, des prudents et de nos chers Confédérés». Chaque année, 15 juges étaient alors élus pour examiner chaque affaire avec équité, autant «chez les pauvres comme chez les riches». Si une dispute violente éclatait, chaque participant devait agir pour restaurer la paix. Dans ces cas, les belligérants devaient alors immédiatement arrêter le combat. D’autres dispositions règlaient les mariages, les héritages, les mises sous tutelle et les contraventions en cas d’insultes et de vols. Aux réunions destinées de prendre des décisions, la minorité devait suivre les choix de la majorité. Le même principe s’appliquait dans les communes locales aussi. – Avec ces dispositions, c’est notamment aus Glaronais qu’appartient l’honneur d’avoir figé les bases de la constitution démocratique actuelle (Davatz, p. 42). C’est sur ce fond que la landsgemeinde glaronaise est devenue une institution fixe – jusqu’à aujourd’hui.
…et conduit, avec le coup de libération
de Naefels, à sa liberté stable
A cette époque, les Glaronais devaient cependant encore faire face à une dure épreuve. La maison de Habsbourg, de plus en plus combattive, en dépit de sa défaite à Sempach, revint sur place un an plus tard déjà – en 1388 – munie de forces armées considérables, pour reconquérir les contrées de Glaris. Les Glaronais ne tardaient pas d’evoyer des messagers en Suisse centrale et à Zurich. Mais les Habsbourg furent rapides et les Glaronais durent se défendre seuls. La bataille de Naefels eut lieu. Les assaillants, ayant pu franchi leur «letzi», leur grand mur de fortification érigée au nord du pays, ont pénétré à l’intérieur de la vallée, sûrs de leur victoire facile. Mais à ce moment décisif, les Glaronais redoublèrent de leurs efforts dans la bataille de Naefels ne relâchant pas avant d’avoir repoussé les Habsbourg de façon définitive.
En mémoire vitale – la «procession de Naefels»
Par la suite, la landsgemeinde de l’époque décide que la population se réunisse chaque année, le premier jeudi d’avril, en commémoration de cet événement décisif pour son indépendance, au champ de bataille près de Naefels, pour y prier pour le salut éternel des tombés et pour louer Dieu et les saints pour leur prévoyance. C’est devenue tradition jusqu’à nos jours. Chaque année, début avril, les glaronais visitent en procession silencieuse les différents lieux où se sont déroulés les combats. Un conseiller d’Etat y prononce un discours. Chaque année, un prêtre catholique et un prêtre protestant y prononcent à tour de rôle leur sermon. Ensuite, le document historique voué à la bataille est lu. Il décrit les événements et les noms des soldats tombés au combat, gravés sur la balustrade de la galerie de l’église.
La cérémonie de commémoration de la bataille de Naefels est bien autre chose qu’une manifestation historique. Elle est avant tout la commémoration d’une leçon d’histoire unique partagée par nos ancêtres par générations. Elle insiste sur le fait que la liberté est un bien nécesstant sa protection et que c’est la liberté qui préserve la paix. Tandis que la landsgemeinde glaronaise est un événement public accueillant aujourd’hui de nombreux invités en provenance de la Suisse et de l’étranger, lors de la procession de Naefels, événement à caractère plus spirituel, les Glaronais se retrouvent entre eux pour partager leur recueillement intérieur.
La Landsgemeinde glaronaise
en des temps difficiles
La landsgemeinde glaronaise et la leçon historique à tirer de Naefels ont toujours été conçues être cruciales pour la paix intérieure et la cohésion des Suisses entre eux – surtout en des temps difficiles. C’est cette dimension-là qui m’a conduit à les rappeler.
Lorsque Huldrych Zwingli, après ses années comme prêtre à Glaris, a commencé son oeuvre de la Réforme zurichoise, après 1523, 80% de la population de Glaris ont opté, le moment venu, pour la nouvelle foi. Les catholiques ne représentaient plus qu’une minorité d’environ 20%. Comme dans d’autres cantons de la Confédération helvétique de l’époque, la question se posait: comment faire pour pouvoir tout de même vivre ensemble? Qu’adviendra-t-il de notre landsgemeinde? A Glaris, la majorité des réformés risquait d’être constamment en désaccord avec la minorité des croyants selon le culte romain. Comment résoudre ce problème sans provoquer de scission?
Les Glaronais ont trouvé une solution. Ils ne feraient pas la guerre et n’abandonneraient pas leur pays à la scission: ils instaurèrent donc trois landsgemeinden. Le dimanche précédant celui de la landsgemeinde en commun, donc le premier dimanche de mai, les catholiques se réunissaient pour leur landsgemeinde catholique à eux. De même qu’à cette date, ce seront les réformés, eux aussi, qui tiendraient la leur, celle protestante. Cette date serait donc réservé à disctuer leurs propres affaires à eux. Ensuite, un dimanche plus tard, ils se retrouveraient pour la Landsgemeinde en commun. Pour cette Landsgemeinde, face aux nouvelles circonstance, il existait un contrat national spécial qui prévoyait des changements réciproques concernant les fonctions importantes. Avec cette prévoyance, le pays restait uni. Toujours est-il que certaines communes ont pourtant vécu la séparation. Ainsi Oberurnen est toujours principalement habitée par des catholiques tandis qu’à Niederurnen ce sont les réformés formant la majorité. En 1836, les trois Landsgemeinden ont à nouveau été réunies.
Une telle démarche, pourquoi est-ce une réussite? Je pense que la tradition et son entretien ont permis aux habitants de tisser des liens qui ont perduré. Les deux parties n’avaient jamais oublié qu’elles avaient lutté ensemble pour leur liberté. C’est peut-être le facteur central à ce qu’ ils ne se sont jamais partagé le pays ni cassé la tête du seul fait que leurs croyances diféraient. – Dans d’autres contrées suisse de l’époque, le conflit religieux a été plus acerbe, même si, heureusement, il n’a pas dégénére sur une guerre de trente ans comme en Allemagne.
L’histoire de Glaris nous offre d’autres exemples de cet art consommé du maintien de la communication au-delà des divergences. A l’époque de l’industrialisation, le canton de Glaris comptait encore de nombreuses usines textiles. En 1864, la Landsgemeinde de Glaris a adopté la loi sur les fabriques la plus progressiste d’Europe, qui limitait pour la première fois le temps de travail hebdomadaire et qui a servi de modèle à la loi fédérale sur les fabriques en 1877. Le Glaronais Fridolin Schuler devint inspecteur fédéral des fabriques. En 1916, la landsgemeinde décida de créer une assurance vieillesse et invalidité cantonale. Au niveau fédéral, plus de 30 ans devaient encore s’écouler avant que le Conseil fédéral puisse soumettre notre AVS au vote des électeurs en 1948.
Je résume donc ainsi. Tant que des communes comme Oberurnen transmettront leurs traditions démocratiques à la jeunesse de manière aussi vivante, le corps électoral se réunira encore longtemps sur la grande place de Glaris pour sa landsgemeinde annuelle – comme c’est le cas depuis plus de 600 ans. Pour d’autres cantons et communes également, c’est une excellente occasion à familiariser nos jeunes avec la démocratie, notamment celle directe. •
Sources: Davatz, Jürg. Glarner Heimatbuch, Histoire,Glaris 1980.
*) Le landamman désigne actuellement le président du gouvernement dans les cantons ayant conservé, auprès du Parlement cantonal, leur landsgemeinde, l’assemblée annuelle du corps des citoyennes et citoyens accomplissant les élections et des affaires de poids.
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