par Dr. Matin Baraki
La faute majeure de Julian Assange est d’avoir dit la vérité. C’est dans ce paradoxe élucidant que Ken Loach résume le drame centré sur WikiLeaks et Julian Assange dans sa préface du livre de Stefania Maurizi consacré à leur histoire révoltante. Il montre, sur ses 460 pages richement documentées que la politique étrangère des Etats-Unis se base, par principe et depuis longtemps, sur sa force armée et ses interventions militaires. Au cours d’une quinzaine d’années, la journaliste italienne Stefania Maurizi a enquêté sur les dessous de l’affaire, ayant collaboré à partir de 2008 avec WikiLeaks et Julian Assange pour des publications dont elle avait suscité l’intérêt de différentes maisons d’édition. Dans le domaine du journalisme international, elle demeure pourtant toujours la seule professionnelle à avoir travaillé sur l’ensemble des documents publiés par WikiLeaks. Dans son livre «Secret Power» (l’édition française est intitulée «L’affaire WikiLeaks», réd.), elle raconte l’histoire de ce journaliste courageux, longtemps emprisonné, qui a été impitoyablement persécuté pour avoir osé rendre publics les crimes perpétrés d’une puissance mondiale et Etat de droit.
Stefania Maurizi décrit en détail la méthode de travail et le combat de Julian Assange, leçon de modèle pour le journalisme investigatif. C’est précisément ce contexte qui explique les raisons profondes pour lesquelles Assange a dû passer cinq ans et deux mois en détention dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, qu’on a qualifié de «Guantánamo britannique». Si l’on tient compte du temps qu’il a également passé en tant que réfugié à l’ambassade d’Equateur, il n’aura finalement été libéré qu’«après 14 ans d’un emprisonnement arbitraire», comme résume l’auteure.
Maurizi assimile le centre de détention de Belmarsh à la prison américaine de Guantánamo Bay. Il est en fait élucidant de comparer, comme elle le fait, le sort réservé à Augusto Pinochet, dictateur et véritable bourreau de son peuple, dont le ministre britannique de l’Intérieur Jack Straw, membre du parti travailliste, avait refusé l’extradition pour de prétendues raisons médicales, et qui s’était ensuite vu délivrer un sauf-conduit par la Première ministre Margaret Thatcher. Pinochet quitta Londres en fauteuil roulant, duquel il se révéla soudainement capable de se lever sans aide, une fois arrivé à l’aéroport de Santiago du Chili. En revanche, Julian Assange a été extrait par la force de l’ambassade d’Equateur par la police britannique (Scotland Yard), le 11 avril 2019, pour être ensuite incarcéré dans de très mauvaises conditions. Il risquait en outre d’être extradé vers les Etats-Unis où il aurait dû s’attendre à passer jusqu’à 175 ans (!) derrière les barreaux. Joe Biden, à l’époque Vice-Président d’Obama, traita Assange de «hightech terrorist».
Aux Etats-Unis, certains politiciens étaient du même avis, comme le rapporta le Huffington Post (7 décembre 2010), celui de «faire descendre ce fils de pute en douce […]». L’ex-gouverneure de l’Alaska, l’ultraconservatrice républicaine Sarah Palin, avait proposé de «traquer Assange comme un leader d’Al-Qaïda», et son collègue de parti, Newt Gingrich, avait, quant à lui, insisté pour qu’il soit «traité comme Ben Laden».
Tous ces braves gens parlaient sérieusement. La CIA a très réellement envisagé de «kidnapper ou éventuellement, de tuer» Assange. Un autre de ces courageux lanceurs d’alerte, Edward J. Snowden, a lui aussi été impitoyablement persécuté. A l’été 2013, ses révélations avaient donné un aperçu de l’ampleur des pratiques de surveillance et d’espionnage des services secrets des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne dans le monde entier. Snowden était plusieurs fois distingué par des organisations non gouvernementales, notamment par le Prix Nobel alternatif.
L’ancien Chef de la CIA, James Wolsey, voulait «faire pendre Snowden jusqu’à ce que mort s’ensuive». Comme en conclut Stefania Maurizi, les plans visant à éliminer ces deux journalistes «n’étaient pas des phrases en l’air», mais au contraire des scénarios «mortellement sérieux».
Pour Bradley Manning, membre de l’armée américaine et analyste des services de renseignement, les brutales méthodes d’interrogatoire utilisées par les soldats américains envers les prisonniers irakiens lui étaient insupportables au point de transmettre sur le site web de WikiLeaks des copies de vidéos et de documents classés «top secretes». Ces documents dont, à l’époque, les grands médias du monde entier raffolaient, dévoilaient les procédures d’intervention en Irak et en Afghanistan, ainsi que les instructions relatives aux camps de Guantánamo et les vidéos d’interrogatoires de la CIA.
Ce qui a échappé à l’attention des médias, c’est le paramètre «Tout a commencé en Afghanistan» : les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak ont précédé la mise en place du même type de camps de torture systématique plus tôt déjà, comme celui implanté par exemple à l’aéroport de Bagram au nord de Kaboul. Les conditions de détention et les méthodes d’interrogatoire et de torture qui y étaient pratiquées ont servi de modèle à Guantánamo. Le fait que ces méthodes de torture soient de toute évidence, là comme ailleurs, contraires aux droits humanitaires et qu’elles aient suscité de vives critiques au niveau international, n’a pas dérangé les Etats-Unis.
«Nous avons identifié et publié la vérité sur des dizaines de milliers de victimes de guerre et d’autres atrocités non rapportées, sur des programmes d’assassinat, de transfert, de torture et de surveillance de masse. Nous avons non seulement révélé quand et où ces choses se sont produites, mais souvent aussi en désigant les politiques, les accords et les structures qui les encadraient», a déclaré Julian Assange dans son discours prononcé le 1er octobre 2024 devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Fondamentalement, les documents montrent, faits à l’appui, à quel point les Etats-Unis se sont comportés comme un Etat voyou, ce qui aurait dû en fait leur valoir de comparaître devant le Tribunal international de La Haye.
Pour l’édition allemande du livre, traduit en plusieurs langues, Maurizi a rédigé de longs commentaires qui retracent les étapes de la libération d’Assange, saluées comme le succès d’une campagne de solidarité internationale.
Il est bien difficile de résumer cet ouvrage volumineux, car aucune phrase n’y est superflue. On ne peut donc que recommander vivement la lecture intégral de cette documentation à tous les amis et critiques d’un Etat qui se définit lui-même comme «de droit» mais dont l’histoire est jalonnée de guerres, d’agressions et de coups d’Etat. Elle est une base incontournable s’il s’agit de connaître pleinement l’ampleur des crimes commis par les Etats-Unis, à commencer dans les prisons afghanes de Bagram, passer à celles irakiennes d’Abou Ghraïb et se confronter finalement aux tristes vérités liées à Guantánamo. •
Source:
Maurizi, Stefania: Secret Power.L’attaque contre WikiLeaks et Julian Assange, Edition PapyRossa, 2024 Edition française: Maurizi Stefania: L’Affaire WikiLeaks. Médias indépendants, censure et crimes d’Etats, édition Agone, 2024.
(Traduction de l’allemand Horizons et débats)
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