Ces derniers temps, tant de choses nous interpellent sur ce qui est à la base d’une vie en commun qui réussisse. C’est une coïncidence frappante que ce problème profond se cache souvent dans des livres pour enfants et adolescents, surtout s’ils les touchent dans leurs sentiments et les encouragent à réfléchir eux-mêmes (suivant leur âge) quelle serait leur contribution à eux en faveur d’une vie en commun en paix et en liberté. Leurs auteurs se désignent souvent par cette éthique pro-sociale qui voit en chaque être humain, déjà à sa naissance, une partie précieuse et inaliénable de cette grande famille qui constitue l’humanité.
Des courants irritants, des séductions à la mode …
Malheureusement de tels livres sont devenus rares, et souvent on doit avoir recours à des livres plus anciens, parfois épuisés (beaucoup d’entre eux ont été heureusement transférés d’une génération à l’autre). Ce qui plus est – signe de l’esprit du temps et de fausses théories qui sont répandues aujourd’hui – beaucoup d’albums et de livres pour enfants et adolescents inondent leurs lecteurs juvéniles de fantaisies grotesques ou agressives ou bien des idéologies aversives qui les invitent à un «programme de vie» loin de leurs proches, sur une voie solitaire et ainsi souvent malheureuse.
Mais j’ai eu de la chance. Fouillant une «caisse de trouvailles» à la sortie d’une bibliothèque de petite ville, l’illustration d’une couverture m’a frappée qui me semblait mal correspondre au titre «L’histoire de l’hippopotame triste» puisqu’elle représentait une multitude d’animaux se désaltérant paisiblement autour d’un abreuvoir tropique – ce qui a éveillé ma curiosité. Mais au fait – l’hippopotame était réellement triste parce qu’il était toujours occupé à se comparer avec les autres animaux – malheureusement à la négative, sans pitié, aboutissant au sentiment de représenter l’animal le plus insignifiant et le plus superflu de ce monde. Il aurait tellement préféré être capable, lui aussi, de faire des choses présumées excitantes dont excellaient ses amis: marcher aussi loin que le zèbre, rugir aussi fort que le lion, mordre comme le crocodile, gicler de l’eau comme l’éléphant, glisser furtivement comme le guépard et goûter les feuilles tendres dans les cimes des arbres comme la girafe. Mais à tout cela, l’hippopotame constatait être exclu par sa constitution naturelle, cause de ses griefs constants. Je ne suis – pensait-il tristement – que tout simplement un hippopotame ennuyeux, plantée dans son trou d’eau ennuyeux ne faisant rien que ruminer des nénuphars ennuyeux. Son existence ennuyante à ce point devait donc changer. «Je n’ai rien vu du monde, seulement ce vieux trou d’eau ennuyeux.» Et l’hippopotame de sortir de son trou d’eau et se mettre en route. Les animaux fréquentant son trou, ses amis, veulent l’arrêter chacun à sa façon. Mais en vain – et maintenant?
S’identifier et se mettre à la place de l’autre
Une telle histoire centrée sur la question de son identité évoque la réflexion chez les enfants déjà (les petits aussi bien que les grands!). Elle est soutenue par les images d’animaux magistralement personnalisés dans leurs qualités, images qui facilitent à l’enfant de s’identifier aux protagonistes et leurs situations de vie. A nous adultes aussi, de telles histoires nous réchauffent le cœur en nous offrant une passerelle directe envers le plaisir qui consiste à entamer des discussions avec des enfants (et plus tard des adolescents), une sorte très naturelle de «parler philosophie». Qu’est-ce qui tracasse l’hippopotame? Comment pourrait-on l’aider? Qu’est-ce qui me plaît en lui et qu’est-ce qu’il sait faire de spécialement bien? Et quant à moi-même? Que voudrais-je bien savoir, faire et apprendre? Quel est mon côté fort? Qui suis-je dans le fond?
Simple et exigeant à la fois
Ça me fait plaisir bien sûr d’avoir trouvé un beau livre d’images qui s’occupe de façon désinvolte et compréhensive des questions urgentes qui se posent à nos enfants et d’adolescents ainsi que celles, incontournables, comment s’orienter dans notre vie en commun avec nos semblables. Beaucoup d’enfants et avant tout d’adolescents – souvent cachés derrière un comportement «cool» – ont beaucoup de doutes concernant leur conscience d’eux-mêmes se posant constamment la question, souvent pénible: mais qui suis-je? Qu’est-ce que je sais faire? Quel est mon rôle, mon poids, ma signification dans mon entourage social? Et que vais-je devenir? De telles réflexions, les enfants et les adolescents se les posent quasiment perpétuellement. Dans ce processus, les adultes ont une tâche importante. Eux aussi peuvent et doivent se faire leurs propres réflexions en accompagnant ce processus à trouver son identité. Processus à la fois simple parce qu’il est inné à la nature humaine, et exigeant, notamment pour les adultes qui l’accompagnent, parce qu’il nécessite d’eux un regard clair et ferme, spécialement de nos jours.
Mes amis ont besoin de moi
Revenons donc à notre hippopotame envahi de doutes concernant son identité. Il essaie donc le monde, mais s’y enlise vite constatant que la terre ferme n’est pas vraiment son élément. Qui pouvait donc l’aider à se réorienter? Ses amis animaux se trouvent devant la difficulté qu’aucun entre eux ne puisse y arriver seul – ramener l’hippopotame dans son trou d’eau où ils aimaient tant lui rendre visite, chaque jour. Se souvenant du fait que la force collective prime celle d’un seul, ils se mettent ensemble pour le reconduire à leur trou d’eau – excellente idée! Se mettre ensemble, ne pas s’occuper seulement de soi-même, s’engager pour autrui et impliquer les autres dans ses problèmes à soi, n’est-ce pas beaucoup plus prometteur que de vouloir copier ces quelques-uns qui emploient leurs talents et leurs forces uniquement pour leurs intérêts à eux, restant indifférents au destin de leurs semblables – addicts au modèle de l’ordre néolibéral du monde? C’est pour cette raison que le problème de la petite communauté de nos animaux est en même temps celui de l’humanité! Pour les animaux fréquentant le trou de l’hippopotame, il était évident ce qui était à faire – le persuader de son importance, en lui affirmant, chacun de sa part: «Nous avons justement besoin de toi. Qui mangerait les roses aquatiques envahissantes le trou? Qui tiendrait propre le trou d’eau pour que tous les animaux puissent boire?» Et ils offrent à l’hippopotame de lui montrer tout ce qu’il voudrait bien apprendre – rugir comme un lion, gicler de l’eau comme un éléphant, se déplacer furtivement comme un léopard. La girafe a descendu le sommet d’un arbre pour le laisser goûter aux feuilles. Le conseil des animaux se transforma donc en rencontre à titre égal pour chacun. L’hippopotame comprit qu’il était un membre également accepté et important d’une assez grande communauté, en sa capacité de fournir une contribution indispensable et importante à ses amis. «Qui habite près d’un trou d’eau n’est jamais vraiment seul. Les autres savent peut-être faire des choses excitantes – mais personne ne peut manger aussi bien les roses aquatiques comme moi» déclare-t-il en constat final, réconcilié avec sa vie et les autres. Et curieux, les feuilles désirées d’en haut, offertes par la girafe, il ne les trouvait plus aussi bonnes – qui s’en étonnera?
Prise psychologiquement, on peut comprendre cette petite histoire ravissante comme un processus de quête de soi-même, d’un processus d’individuation réussie, avant tout en ce que l’hippopotame a pu vivre et renforcer le sentiment de son efficacité sociale. Il se rend compte de sa valeur pour autrui et fait ainsi un pas décisif dans sa conscience de lui-même. La petite histoire offre donc l’occasion, adaptée à l’âge d’enfant, à un entretien approfondi si l’occasion se prête, sur le sens de la vie et de la vie d’ensemble de nous tous.
Qui suis-je? – question
souvent épineuse pour les adolescents
En regardant le livre d’images je ne pensais pas seulement à des petits enfants mais aussi à nombre d’adolescents que j’ai connus et qui m’ont fait réfléchir au cours de mon travail, ainsi en classe que dans mon cabinet de psychologue. Au courant de leurs premières années scolaires, beaucoup d’entre eux se trouvaient exposés à de difficultés variées, soit liées à l’apprentissage ou bien parce que leur comportement empêchait la poursuite de cours sans dérangements. Un autre entourage scolaire était souvent devenu nécessaire. C’est précisément eux qui sont confrontés à la question de leur propre importance et leur acceptation dans leur peer-group.
Leurs pierres d’achoppements dans leur passé constituaient une difficulté en plus pesant sur leur conscience d’eux-mêmes, souvent assombrie par leurs doutes d’être un membre respecté du groupe. Mais ils se sont mis en route (il ne faut pas sous-estimer leur courage et celui des enseignants et de leur habilité pédagogique pour l’entreprendre en commun) en quête de leur valeur et de leur identité. Beaucoup d’entre eux doutent d’eux-mêmes, concernant leur apparence aussi: trop grand, trop petit, trop gros, trop mince, le nez mal formé, les yeux faisant défaut de ce bleu de violettes, les cheveux «ciboulette»… Mais une chose était claire: ils avaient tous besoin de nous, en tant qu’adultes restant de leur côté, calmes et confiants, les accompagnant, les encourageant dans cette phase exigeante de leur vie. Dans le passé, parce qu’ils leur manquaient de modèles, des directives et de l’accompagnement, quelques-uns avaient été des consommateurs assidus de chaînes comme YouTube, notamment adhérents de variés «influencers» admirés parmi les peer-groups – sous l’influence donc d’un style de vie qui a tendance de les éloigner de leurs proches et du monde réel. Ils ont donc pris l’attitude d’admirer, souvent sans critique et de bonne foi, les façades digitales de leurs idoles leur miroitant une existence brillante mais dénuée de toute substance. En comparaison avec les photos embellies artificiellement dans les médias ils ne pouvaient que se sentir insignifiants, superflus (comme l’hippopotame triste) se sanctionnant ainsi par eux-mêmes. Par exemple Eva qui était tout le temps en discorde avec sa corpulence et se tenait pour infiniment bête, et Mirko qui détestait sa jolie tête pleine de boucles et essayait de les lisser avec beaucoup de gel, ou bien Nadia qui s’était même installée son propre canal YouTube et avait passé beaucoup de temps à modifier ses photos en attente de followers qui l’admireraient (et ce à l’aide de photoshop et pareils qui avaient comme résulat que ses photos étaient dénouées de tout son rayonnement naturel admirable). Je les garde tous dans ma mémoire, appréciés comme des adolescents magnifiques ayant eu le courage de vouloir apprendre à juger de beaucoup de choses autrement qu’avant et de les changer aussi si nécessaire.
«Best friends» –
honnêtes, secourables et fiables
Ce qui était intéressant pour moi étaient les valeurs jugées avoir de l’importance pour «mes» adolescents dans leurs relations. Qu’est-ce qui faisait, à leurs yeux, de les ranger an tant que «best friends» dont ils rêvaient? A cette question, lors de nos entretiens, je voulais trouver des réponses. J’étais étonnée de ce qu’ils se souhaitaient, malgré l’influence permanente par les idoles fabriquées et admirées par les médias, concernant leurs amis: ils devaient être serviable, fiables, honnêtes et drôles et – se réjouir lorsque quelqu’un réussissait bien quelque chose. Dans le fond comme dans l’histoire de l’hippopotame triste … Je ne pouvais que les soutenir dans ces critères! Je savais que la voie qui les y amène leur demanderait beaucoup, car l’amitié a besoin de prendre et de donner mutuellement. Mais ils nommaient d’emblée des points cruciaux pour l’être humain: le désir profond d’occuper une place immuable dans le foyer intérieur d’autrui, dans leur entourage proche et éloigné. Jusqu’à présent, ils avaient souvent éprouvé le manque de pouvoir s’appuyer sur les relations stables réciproques et de trouver ainsi une orientation intérieure comment vivre. Et, pour penser plus loin, ils articulaient de cette façon leur besoin de protection de ce qui domine la vie moderne, c’est à dire l’ingérence invasive de facteurs éxtérieurs dans leurs domaines personnels. Leur insécurité, leur zèle de se faire respecter par les autres, les a souvent laissé sans défense face à la contrainte de confier, à l’anonymat, des choses personnelles, ce avant tout dans les réseaux sociaux, sans se rendre compte qu’on leur prenait de cette façon le droit à une sphère personnelle privée.
Une vie commune à valeur égale et en paix
Ce qui est apparent dans la vie avec des enfants et des adolescents vaut également pour les adultes. Il s’agit du sentiment de l’attachement social – de relations de confiance entre les êtres humains entre eux, comme le prouvent des résultats scientifiques sérieuses, de façon multiple. Cette qualité de confiance sociale est la base de la santé psychique, condition majeure pour le déploiement d’une personnalité individuelle stable. Ce ne sont pas seulement les enfants et les adolescents qui ont ce désir profond d’entrer en contact réciproques avec leurs semblables et d’avoir des amis (même si ce désir se cache parfois derrière des comportements déconcertants, dans des cas extrêmes avec des aspects psychiatriques). En fin de compte il s’agit toujours de la confiance en les autres êtres humains et de la sécurité d’être apprécié en tant qu’être humain précieux, même si on défend une opinion déviante. Ce n’est pas toujours facile, parce qu’on doit peut-être prendre en compte que son vis-à-vis s’exprime de façon dédaigneuse ou qu’il rompt même la relation. Ce n’est pas chose facile de surmonter ces obstacles (pas seulement pour les enfants et les adolescents). Mais surtout de nos jours, il est nécessaire pour tenir le coup face aux séductions politiques, de voir clair dans les stratégies de pouvoir et de garder la tête froide. Pour tenir le coup, il faut une assimilation des valeurs universelles à sa propre culture, auxquelles on s’oriente.Tout aussi important est la connaissance et l’estime des contributions préalables de générations anciennes et le respect devant les techniques d’autres cultures. C’est seulement de cette façon qu’une vie d’ensemble en paix est possible. Tout commence par l’échange – peut-être animé par des images comme celles de l’Hippopotame triste. •
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