La Suisse devra enfin formuler une politique de sécurité autonome et indépendante. Cette nécessité se manifeste depuis longtemps déjà, mais on la repousse aux calendes grecques. Une intégration toujours plus forte dans l’OTAN (entre autres liée au projet Sky Shield) est plus importante pour certains.
Mandat constitutionnel
et complément nécessaire
La Constitution fédérale suisse décrit pourtant très clairement les compétences politiques pour une politique de sécurité réaliste, qui comprend un engagement clair en faveur de la neutralité et de l’armée de milice. Son préambule stipule notamment que «le peuple suisse et les cantons» se donnent cette Constituiton, «[…] conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures». L’un de ces acquis est la neutralité. Où est-elle, cette responsabilité envers les générations futures face au démantèlement actuel de la neutralité?
En ce qui concerne l’armée de milice, la Constitution stipule clairement, dans sont article 58, alinéas 1 et 2:
«1 La Suisse a une armée. Celle-ci est organisée essentiellement selon le principe de la milice.
2 L’armée contribue à prévenir la guerre et à maintenir la paix; elle assure la défense du pays et de sa population».
Actuellement, notre armée est absolument incapable de remplir cette mission. Le Département de la défense (DDPS) est tellement désorganisé que seule la révision d’Armée21 et toutes les étapes de réforme qui suivront pourront y remédier. Le chef du DDPS nouvellement élu, Martin Pfister, aura une tâche herculéenne à accomplir à cet égard. Les tâches et les compétences de l’Assemblée fédérale sont également exposées dans la Constitution fédérale, dans son article 173, de manière bien limpide et compréhensible pour tous (art. 173 Cst
«1 L’Assemblée fédérale a en outre les tâches et les compétences suivantes:
a. Elle prend les mesures nécessaires pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse».
Il en va de même pour le Conseil fédéral (art. 185). On peut se demander pourquoi nos représentants élus du peuple – tous «serviteurs du peuple» – ne remplissent plus ce mandat constitutionnel contraignant. Entre-temps, la Suisse, comme tous les pays de l’OTAN, est devenue un état rempart, pour ne pas dire vassal, des Etats-Unis. Dans ce sens, notre pays est de plus en plus intégré, d’une part dans les structures supranationales de l’Union européenne (UE) par le biais de l’accord-cadre 2.0 prévu, et d’autre part dans l’alliance militaire de l’OTAN devenue belliciste. C’est en raison de ce mépris flagrant et continu de la Constitution fédérale suisse – et non pas seulement à cause de la guerre en Ukraine – que l’initiative sur la neutralité a été lancée. Elle vise à ancrer clairement la neutralité de la Suisse dans la Constitution, afin de garantir une politique de paix à dimension globale et le renforcement des traditions humanitaires (CICR).
Le Conseil fédéral a notamment besoin de garde-fous pour sa politique étrangère, afin de mettre fin à ses tergiversations sans fin et de rompre son silence parfois insupportable. Après l’acceptation de l’initiative, le nouvel article sur la neutralité suisse ne doit plus rester lettre morte, mais constituer un mandat incontournable pour le Conseil fédéral ainsi que le Parlement!
Après le dépôt de l’initiative, l’année dernière, celle-ci fait maintenant l’objet de discussions intenses au sein des commissions des Chambres. Un contre-projet direct permettant d’extraire des parties importantes du texte de l’initiative est du domaine du possible. La votation aura probablement lieu le 8 mars 2026.
La Suisse officielle s’exerce
à faire des courbettes sans fin
Au lieu d’élaborer une stratégie à long terme pour sa sécurité nationale, le département du DDPS a chargé 21 personnes de rédiger un rapport en tant que «commission d’étude sur la politique de sécurité». La plupart des membres de la commission, à l’exception de deux ou trois présumés représentants d’attitude divergeante, ont été triés sur le volet par le département Amherd, ce qui a conduit à une orientation unilatérale, voire partisane. Les résultats étaient prévisibles. Le rapport fait des déclarations de grande portée sans respecter le contexte historique nécessaire.
Ainsi, il reproduit des analyses géopolitiques de la situation telles que nous les connaissons dans les médias, par exemple à la page 22 du rapport: «Ce n’est que si l’Occident parvient à rétablir l’intégrité territoriale de l’Ukraine qu’un ordre fondé sur des règles sera maintenu dans lequel le droit international sera appliqué et les contrevenants punis. Dans le cas contraire, cet ordre restera fragilisé et l’Europe menacée, notamment par la Russie».
«L’intégrité territoriale» est en soi correcte, mais un «ordre fondé sur des règles» en Europe, s’il a jamais existé sous forme d’ébauche, n’existe plus depuis la guerre du Kosovo en 1999. Cette guerre de l’OTAN s’est trouvée en enfreinte du droit international, les contrevenants n’ont pas été punis et l’intégrité territoriale de la Serbie n’a pas été rétablie à ce jour. Les munitions à l’uranium qui ont été utilisées à cette occasion continuent d’émettre des radiations et sont une catastrophe pour la santé publique. Et c’est ce que les pays de l’OTAN ont appelé une «intervention humanitaire». La Suisse n’a rien trouvé de mieux à faire que de soutenir jusqu’à aujourd’hui l’exercice absurde de la KFOR avec nos soldats.
Le fait que l’Europe soit menacée par la Russie, comme le dit la citation, est tout simplement absurde, mais sert de fantoche pour déclencher désormais un réarmement militaire déchaîné.
Le complexe militaro-industriel mondial rit de bon cœur. Le surarmement et la formation de blocs ainsi qu’une politique d’alliances forcée montrent toutefois et inévitablement la voie vers la guerre, comme c’était déjà le cas avant la Première Guerre mondiale. La «Neue Zürcher Zeitung» réfléchit déjà à une «Triple Entente moderne» (cf. «Neue Zürcher Zeitung» du 10 mars 25), un bellicisme d’un genre particulier provenant de la chambre d’écho transatlantique.
Le message du Conseil fédéral sur l’initiative sur la neutralité est désormais disponible. Comme prévu, il propose de la rejeter. Selon le Conseil fédéral, l’initiative ancrerait dans la Constitution une «conception rigide de la neutralité» et limiterait trop fortement sa marge de manœuvre en matière de politique étrangère. Or, c’est précisément ce qui est aujourd’hui à l’ordre du jour. Le Conseil fédéral veut conserver sa «flexibilité» dans l’application de la neutralité. Mais on ne peut plus compter sur un pays qui applique sa neutralité de manière flexible. Un tel relativisme n’est rien d’autre que du «cherry picking» ne faisant que diminuer dramatiquement la crédibilité en la fiabilité suisse, comme nous le constatons chaque jour. Un deuxième argument du Conseil fédéral contre l’initiative est qu’il veut continuer à imposer des sanctions contre les pays en guerre en dehors de l’ONU. Des études montrent pourtant clairement que de telles sanctions ne servent à rien (voir la Russie d’aujourd’hui), qu’elles touchent la population civile innocente et qu’elles ont pour conséquence qu’un dialogue normal est coupé pour longtemps.
La Suisse, architecte d’une nouvelle
politique de sécurité européenne
C’est précisément dans la situation politique mondiale délicate d’aujourd’hui que la grande chance des neutres et des non-alignés réside dans leur capacité à promouvoir la paix et la coopération en tant qu’Etats nationaux sûrs d’eux-mêmes. La neutralité perpétuelle et armée de la Suisse, renforcée par le nouvel article constitutionnel que prévoit l’initiative, pourrait, en mettant en place une autodéfense aussi autonome que possible, créer la base permettant de dialoguer avec tous et de mettre en place une nouvelle architecture de sécurité européenne. La Suisse doit ici jouer le rôle d’architecte avec d’autres pays désireux d’instaurer la paix. Il convient de rappeler à cet égard le processus de la CSCE, que la Suisse a activement soutenu, et qui a finalement mis fin à la guerre froide. Pour les Etats-Unis, la neutralité a toujours été quelque chose d’«immorale». Cela ne doit pas nous préoccuper davantage. La Suisse a été pendant un certain temps une «grande puissance diplomatique» pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Elle doit précisément renouer avec cette tradition et servir à nouveau la paix, de manière conséquente, notamment avec ses bons offices. •
* René Roca est professeur de lycée et docteur en histoire. Il a fondé et dirige l’Institut de recherche sur la démocratie directe (www.fidd.ch). Il est membre du comité de l’initiative sur la neutralité.
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