Le droit humanitaire international doit être respecté en toutes circonstances Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien

Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien

par Prof. Dr. DDr. h.c. Hans Köchler*

Intervention du Prof. Dr. DDr. h.c. Hans Köchler*, Président de l’Organisation internationale pour le progrès, à l’occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, convoquée par le Comité pour les droits inaliénables du peuple palestinien, en accord avec la Résolution 32/42 de l’Assemblée générale des Nations Unies, Siège des Nations unies, Vienne, le 5 décembre 2023

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs!

Ce n’est guère l’heure aux déclarations solennelles ou aux invocations de nobles principes seules – au moment où 16000 Palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants, ont été tués au hasard dans des bombardements massifs, où des milliers d’autres sont portés disparus sous les décombres de leurs maisons dans la bande de Gaza et où l’infrastructure du territoire est systématiquement détruite. Hôpitaux, écoles, mosquées, églises, installations des Nations unies servant de refuge – aucun endroit n’est à l’abri des attaques. Il ne faut mâcher ses mots: le largage de bombes de 2000 livres sur des quartiers densément peuplés équivaut à un massacre de la population civile – et ceci sous l’étiquette déshumanisante de «dommages collatéraux.» La vice-présidente des Etats-Unis, Mme Kamala Harris, a qualifié l’ampleur des souffrances civiles à Gaza de «dévastatrices» et «profondément déchirantes».1
    Dans cet assaut, plus de 100 employés des Nations unies, plus de 200 membres du personnel médical et plus de 60 journalistes ont perdu la vie. Dans l’histoire des conflits récents, et notamment dans l’histoire des Nations unies, ce nombre disproportionné de morts parmi les travailleurs humanitaires et les journalistes est sans précédent.
    En Cisjordanie, les forces de l’armée d’occupation mènent des raids meurtriers, tuant délibérément des civils non armés, dont beaucoup sont des mineurs, démolissant des maisons et détruisant les moyens de subsistance des habitants palestiniens.

«Et tout ceci face au monde
qui se comporte en spectateu
r…»

Pendant que le monde regarde et le Conseil de sécurité des Nations unies – en raison du veto d’au moins un de ses membres permanents – est condamné à rester impuissant, la puissance occupante en Palestine a pu mener une campagne implacable, voire une campagne de vengeance, contre le peuple palestinien et ses aspirations à une vie en liberté et dignité.
    L’échec final du «processus de paix» n’ayant jamais pu s’épanouir, durant toutes ces années depuis la guerre d’octobre 1973, est l’objectif stratégique des groupes politiques qui, sous les étiquettes de «Sionisme religieux» et «Pouvoir juif», font aujourd’hui partie du gouvernement le plus extrême, le plus nationaliste et le plus chauvin en Israël depuis 1948. J’ai mis en garde contre les conséquences de cet état de choses, dans mon discours, ici même sur ce forum, l’année dernière.
    Pour éviter toute ambiguïté: Nous condamnons sans réserve les événements du 7 octobre. Chaque vie humaine est de la même valeur. Le droit de résistance à l’occupation étrangère ainsi que le droit à l’autodéfense selon l’article 51 de la Charte des Nations unies, les deux, ne doivent pas servir de prétexte à une punition collective. Ces droits n’autorisent en aucun cas l’usage disproportionné et indiscriminé de la force. Ils ne justifient en aucun cas la commission de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité tels que ceux que nous observons actuellement – d’une brutalité et d’une intensité sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les responsables doivent être traduits en justice quel que soit le rôle ou la position de la personne.
    Face à une campagne visant à intimider ceux qui défendent la vérité, nous devons, là aussi, être limpides et sans équivoque: la condamnation de ces actes ainsi que de la politique et de l’idéologie les sous-tendant n’est pas une expression d’antisémitisme, tout comme la condamnation des atrocités commises contre des civils israéliens ne constitue en rien l’expression d’islamophobie. Dans tous ces cas, il serait irresponsable de se taire.
    Les chefs d’Etat ou de gouvernement de la Turquie, du Brésil, de l’Afrique du Sud, de la Colombie, de la Bolivie et d’autres Etats s’y ont prononcé de manière courageuse. Le 17 novembre, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, la République des Comores et Djibouti ont saisi la Cour pénale internationale par rapport à la situation dans l’Etat de Palestine. En Europe, le Premier ministre espagnol et le Premier ministre belge – respectivement président sortant et président entrant du Conseil de l’Union européenne – ont clairement critiqué les violations massives du droit humanitaire international en Palestine. D’autres en Europe devraient suivre leur exemple. Les dirigeants politiques devraient être conscients que chaque Etat adhérant aux Conventions de Genève de 1949 doit s’engager «à respecter et à faire respecter [le droit international humanitaire] en toutes circonstances».
    La Commission d’enquête indépendante des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a déclaré: «Il existe déjà des preuves univoques de ce que des crimes de guerre ont probablement été commis lors de la récente explosion de violence en Israël et dans la bande de Gaza.» Malheureusement, de nombreux fonctionnaires des Nations unies ayant eu le courage de dire la vérité ont fait l’objet d’attaques malveillantes de la part de représentants de la puissance occupante.

S’attaquer à la racine du problème

Nous nous joignons au secrétaire général des Nations unies qui, avec la grande majorité des Etats membres de l’ONU, a appelé à un cessez-le-feu durable et à une solution politique qui s’attaque à la racine du problème: le déni permanent du droit à l’autodétermination – en violation continue de toutes les résolutions pertinentes de l’ONU – ne peut plus être toléré. Le peuple palestinien, a déclaré António Guterres lors de la session spéciale du Conseil de sécurité, le 24 octobre, «est soumis, depuis 56 ans, à une occupation écrasante».

Monsieur le Président!
Le «processus de paix d’Oslo» d’il y a trente ans se retrouve dans une impasse parce qu’il ne reposait pas en premier lieu sur le paradigme de l’autodétermination, mais se concentrait – à l’instar de l’accord de Camp David de 1978, l’ayant avancé – sur les modalités de l’autonomie locale sous la suprématie de la puissance occupante. Les questions relatives au soi-disant «statut permanent» étaient exclues de la «Déclaration de principes sur une autonomie temporaire». Après des années de détours et de méfiance, cela a – personne ne s’en étonne – encouragé les tendances annexionnistes, tout comme les accords bilatéraux conclus plus récemment.
    Cependant, compte tenu de l’enfer dans lequel on a plongé les habitants de Gaza, ces problèmes ne doivent plus être esquivés.
    Israël doit se retirer de tous les territoires occupés en 1967 et annuler l’annexion de la Jérusalem arabe – sans condition. Cela nécessite également le démantèlement des colonies coloniales en Cisjordanie constituant l’un des plus grands obstacles à la paix. Les citoyens palestiniens doivent se trouver dans la garantie de décider du statut légal et de l’organisation politique de leur pays, sans tutelle ni ingérence extérieure. Car c’est précisément ce que signifie l’autodétermination.
    Etant donné que le Conseil de sécurité n’a pas encore pris de mesures coercitives pour faire appliquer la résolution 242 (1967) sur le retrait des territoires occupés, toute avancée dans ce sens dépendra essentiellement de l’influence des Etats occidentaux – en premier lieu des Etats-Unis et de l’Union européenne – qui ont de l’influence sur Israël et ont déjà déclaré qu’ils étaient favorables à un modèle à deux Etats, clé d’une solution définitive. L’heure n’est décidément plus aux paroles, mais aux actes. (Il s’agira néanmoins d’un énorme défi. Après des décennies de colonisation effective en Cisjordanie, il ne reste plus beaucoup de terrain pour un Etat palestinien qui, comme tout Etat, a besoin d’un territoire contigu pour être viable.)

La crise de Suez de 1956 pourrait
constituer un précédent

Concernant Gaza, l’Assemblée générale pourrait suivre le précédent qu’elle a elle-même établi lors de la crise de Suez de 1956, sur la base de la formule «Uniting for Peace» («Union pour le maintien de la Paix»). Les Etats membres de l’ONU pourraient à nouveau créer une «United Nations Emergency Force – Force d’urgence des Nations Unies» [une force d’intervention armée des Nations Unies, UNEF] qui surveillerait un futur cessez-le-feu et servirait de tampon entre les parties le long de la frontière. Les pays disposant d’influence suffisante devraient agir en tant que garants pour chacune des deux parties. Dans ce contexte, la proposition récemment présentée par la Turquie – pays qui a déjà joué le rôle de médiateur lors des négociations d’Istanbul entre l’Ukraine et la Russie en 2022 – est importante pour la communauté internationale.

Le rôle crucial de la société civile

En conclusion, Monsieur le Président, le rôle de la société civile internationale sera déterminant pour les perspectives réelles de paix.
    Il est significatif que même dans des pays qui, comme celui qui nous accueille aujourd’hui, lors de la récente session spéciale de l’Assemblée générale, ont voté contre un cessez-le-feu humanitaire «immédiat, permanent et durable», la majorité des citoyens ne sont pas favorables à la poursuite de la guerre à Gaza. Selon un sondage Reuters/Ipsos, réalisé aux Etats-Unis, plus des deux tiers des personnes interrogées se déclaraient être d’accord avec l’affirmation selon laquelle «Israël devrait déclarer un cessez-le-feu et tenter de négocier». (Les gouvernements opposés à un cessez-le-feu durable n’étaient de toute façon qu’une infime minorité par rapport aux 121 Etats membres qui ont voté en faveur de la résolution, le 26 octobre.) Lors de grandes manifestations et sur les médias sociaux, des groupes de citoyens de tous les continents dont, par exemple, «Jewish Voice for Peace» aux Etats-Unis et «European Jews for Peace», ont clairement indiqué qu’ils étaient favorables à un règlement du conflit par la négociation et la reconnaissance mutuelle et non pas par une guerre d’extermination – une guerre totale telle que l’a sinistrement décrite le Premier ministre israélien dans un discours télévisé en se référant au chapitre 15 du Premier livre de Samuel,2 et que son porte-parole officiel a grossièrement et sarcastiquement qualifiée de «mère de tous les coups» («the mother of all thumpings»).
    Si la guerre de Gaza de 2023 doit se terminer de la manière apocalyptique comme évoquée par le Premier ministre, il n’y aura peut-être pas de «jour d’après» pour aborder une vision de la paix telle que celle présentée par le Premier ministre espagnol, le 24 novembre, lors d’une conférence de presse au point de passage de Rafah entre l’Egypte et Gaza. Je cite son vibrant plaidoyer pour la paix et la justice en Palestine: «... le moment est venu pour la communauté internationale, en particulier l’Union européenne et ses Etats membres, de reconnaître l’Etat de Palestine.»
    En outre, la communauté internationale devrait considérer sérieusement les paroles d’avertissement du président Emmanuel Macron, prononcées il y a quelques jours à Dubaï: «Il n’y a pas de sécurité durable pour Israël dans la région si sa sécurité se fait au prix des vies palestiniennes ...» Aussi, dans son discours sur la nécessité de protéger les civils, Lloyd Austin, secrétaire américain à la Défense, a averti qu’une «victoire tactique» pourrait se révéler être une «défaite stratégique».3
    Si la logique de la guerre totale devait prévaloir – avec le déplacement forcé de la population de Gaza et l’annexion de la Cisjordanie comme objectif final (comme l’envisagent des membres influents de la coalition gouvernementale israélienne) – nous sommes confrontés au risque d’un cycle de violence sans fin – une violence qui pourrait engloutir le Moyen-Orient tout entier et mettre en danger la paix mondiale.
    Je vous remercie, Monsieur le Président.

1 Conférence de presse en marge de la COP 28 à Dubaï, du 2 décembre 2023.
2«Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes.» (1 Samuel 15, 3)
3 Discours prononcé au Reagan National Defense Forum en Californie, cité par l’AFP, le 3 décembre 2023.

(Traduction Horizons et débats)


* Le Professeur de philosophie autrichien Hans Köchler (*1948) a présidé l’Institut de philosophie de l’Université d’Innsbruck de 1990 à 2008. Depuis 1972, il préside l’International Progress Organization (Vienne) dont il est le fondateur. Depuis lors, il s’engage au travers de multiples publications, voyages, conférences etc., œuvrant dans diverses organisations internationales pour le dialogue entre les cultures. En même temps, il contribue en tant que membre dans différents comités et groupes d’experts travaillant les questions liées à la démocratie sur le plan international, les droits de l’homme et le développement. Depuis 2018, Hans Köchler enseigne au sein de l’Academy for Cultural Diplomacy à Berlin. Hans Köchler vit à Vienne.

Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.

Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.

OK