Modèle suisse ou bureaucratie européenne?

Modèle suisse ou bureaucratie européenne?

La directive de l’UE sur les armes est contraire à la liberté du citoyen

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Lors des sessions de printemps (Conseil national) et d’automne 2017 (Conseil des Etats), les Chambres fédérales ont délibéré sur la directive de l’UE sur les armes. Cette dernière a été renforcée sous le prétexte de «mieux lutter contre le terrorisme» (cf. «Les traditions suisses ne doivent pas être envahies par le droit de l’UE», Horizons et débats no 24 du 2/10/17). Du 29 septembre 2017 au 5 janvier 2018, dans le cadre d’une phase de consultation, les cantons et les partis politiques, les associations et les citoyens intéressés ont pu s’exprimer par écrit au sujet de la mise en œuvre de la directive de l’UE sur les armes dans le droit suisse (le soi-disant «développement de l’acquis de Schengen»).1
Même pour ceux n’ayant aucune connaissance dans le domaine des armes, une chose s’avère évidente en lisant les modifications prévues de la loi sur les armes: on exige des citoyens suisses l’acceptation d’un droit étranger mettant sérieusement en question leur compréhension du droit, de la liberté et du rapport de confiance de l’Etat envers eux. Suite à l’opposition de divers pays membres de l’UE, la Commission européenne a bel et bien fait marche arrière, mais pas suffisamment. Donc les réponses à la consultation des organisations suisses concernées ne sont guère enthousiastes (cf. encadré ci-dessous).
La Suisse a désormais le temps jusqu’au 31 mai 2019 pour adapter sa loi sur les armes selon la directive de l’UE. Nous avons encore le déroulement parlementaire et la démocratie directe dans le domaine de la législation. Cependant, n’oublions pas ceci dans ce cas et dans toute future «reprise autonome du droit»: suite à un accord-cadre institutionnel, l’ensemble du processus législatif suisse, y compris le référendum facultatif et donc la discussion entre les citoyens dans le pays tout entier serait supprimée. En revanche, tout «développement de la législation européenne» entrerait direct en vigueur en Suisse et cela signifierait la fin de la démocratie directe en Suisse.
Restriction du tir traditionnel, de la chasse, de la liberté du citoyen: la plupart des politiciens – à l’exception de ceux préférant adhérer immédiatement à l’UE – ne veulent pas vraiment cela. Toutefois, certains politiciens et médias se comportent une fois de plus devant la centrale bruxelloise comme des vassaux soumis à un suzerain.

Restriction de la liberté contre la volonté du peuple et beaucoup de travail pour les administrations cantonales

La directive européenne entrainerait une énorme complication du droit suisse en vigueur et des procédures administratives … Ce sont de longues listes d’«armes, d’éléments essentiels d’armes et des accessoires d’armes», dont l’achat, la vente, l’importation et possession devraient être interdites à l’avenir en Suisse. (Loi sur les armes, art. 5)2 Toutefois, les activités des associations de tir et le «tir de chasse» sont en principe autorisés. Puis, suivent des longues listes d’éventuelles autorisations exceptionnelles pour les tireurs sportifs, les collectionneurs, des musées (art. 28b–e) que les cantons «peuvent accorder» (art. 5 al. 6). «Des raisons méritoires» pour une autorisation exceptionnelle sont entre autres la «légitime défense nationale» (art. 28c al. 2d) – c’est bien gentil de la part des dirigeants de l’UE! L’idée est que les soldats suisses peuvent continuer à emporter leur arme personnelle à la maison et, sous certaines conditions, la garder également après la fin de leur obligation militaire, comme c’est la coutume dans notre armée de milice. Le peuple souverain a clairement confirmé cela le 13 févier 2011: 56,3% des électeurs et 20 de 26 cantons se sont opposés à l’initiative fédérale «Pour la protection face à la violence des armes».

L’exclusion de Schengen est-elle une catastrophe?

 «Le système d’information de Schengen est essentiel pour nos organes de sécurité dans la lutte contre le terrorisme, une exclusion serait une catastrophe», a déclaré la conseillère nationale Ida Glanzmann, PDC («Neue Zürcher Zeitung» du 1/5/18). En réalité, la Suisse a toujours eu des traités de coopération policière avec les Etats limitrophes. Avant l’intégration de notre pays dans l’Accord de Schengen, nous pouvions surveiller nous-mêmes nos frontières nationales (ce que différents Etats membres de l’UE ont recommencé depuis le flux migratoire de 2014, malgré Schengen …). Il est incertain que les dirigeants de l’UE veuillent réellement exclure la Suisse de l’accord, car notre pays apporte sa contribution pour surveiller les frontières extérieures de l’espace de Schengen. Et au cas où ils le feraient tout de même, n’oublions pas à quel point l’effervescence dans les universités suisses est vite retombée, lorsque l’UE nous a exclus – en violant le droit international – du programme d’échange Erasmus+. Car, après
le premier choc, il s’est avéré que l’expulsion ne portait préjudice ni aux étudiants ni au trésor fédéral – tout au contraire.3 Aujourd’hui, c’est le Conseil fédéral qui reporte l’association renouvelée de la Suisse au programme Erasmus+. Il n’est pas exclu que cela se passerait de manière similaire pour Schengen.
Les réactions des associations importantes à la consultation sur le renforcement du droit suisse à la suite de la directive de l’UE sur les armes illustre leur scepticisme face à l’idée qu’elle puisse servir à la lutte contre le terrorisme. En outre, les gouvernements cherchant à protéger leurs populations contre les attaques terroristes devraient sérieusement envisager de ne plus participer à des guerres illégales contre des peuples ne leur ayant fait aucun mal.    •

1    Département fédéral de justice et police (DFJP). Consultation sur l’avant-projet de l’arrêté fédéral sur l’approbation et la mise en œuvre de l’échange de notes entre la Suisse et l’UE concernant la reprise de la directive (UE) 2017/853 modifiant la directive européenne sur les armes 91/477/CEE (Développement de l’acquis de Schengen).
2    Projet du Conseil fédéral visant à modifier la loi fédérale sur les armes, d’accessoires d’armes et de munitions (Loi sur les armes, LArm) du 20/6/1997
3    cf. «Examinez d’abord votre contractant à la loupe!» in Horizons et débats no 1 du 12/1/15

«Lutte contre le terrorisme», prétexte pour le durcissement de la législation sur les armes?

(Extraits des réponses de la consultation d’associations importantes)

Fédération sportive suisse de tir SSV, 13/12/17:

«Autant la directive sur les armes de l’UE que celle du projet de loi du Conseil fédéral passent à côté du but visé. La directive sur les armes de l’UE a été élaborée suite aux attaques terroristes notamment à Bruxelles et Paris avec l’intention d’empêcher toute autre attaque à l’avenir. Ce but ne saurait être atteint à l’aide de ce projet loi.
La pseudo-solution se trouvant sur la table punit principalement le possesseur d’armes légales mais ne contient, par exemple, aucune mesure contre le dangereux commerce d’armes illégales. […] Nous avons déjà une excellente loi sur les armes très précise contre l’abus d’armes illégales. Des règles plus rigoureuses sont tout simplement excessives et interviennent uniquement sur pression de l’UE.»

Société suisse des officiers SSO, 21/12/17:

«La proposition du Conseil fédéral concernant la mise en œuvre de la directive sur les armes de l’UE dans la législation suisse, porte préjudice aux détenteurs d’armes légales mais pas au dangereux commerce d’armes illégales. La SSO soutient une législation libérale sur les armes. A son avis, il serait judicieux que le Conseil fédéral accepte la directive sur les armes de l’UE mais tout en précisant que les lois suisses actuelles sont suffisantes.»

Association suisse des sous-officiers ASSO, 29/12/17:

L’objectif recherché de la lutte contre le terrorisme n’est certainement pas atteint, toutefois on érige des obstacles bureaucratiques inutiles pour les détenteurs d’armes licites. […] On risque ainsi, de manière infondée et arbitraire, de susciter la méfiance à l’encontre de citoyennes et citoyens de bonne foi ainsi que d’anciens soldats de milice (détenteurs d’armes sans conditions et sans réserves). Ce ne sera qu’après avoir prouvé le contraire que les citoyens ou citoyennes obtiendront une autorisation temporaire assortie de conditions. Ce changement de paradigme toucherait la Suisse lourdement, car l’Etat remplacerait ainsi, de manière totalement infondée, une culture de la confiance en une culture de la méfiance – ce que la Suisse n’a jamais accomplie au cours de son histoire.»

Société Pro Tell pour une législation libérale sur les armes, 21/12/17:

«Sans contribuer à l’amélioration de la sécurité publique, les dispositions prévues dans la directive (EU) 2017/853 (développement de l’acquis de Schengen) traitent des centaines de milliers de détenteurs d’armes légales et de citoyens honnêtes et respectueux des lois comme autant de criminels potentiels.
Pro Tell rejette clairement ce projet de révision de la Loi sur les armes (LArm) et prie le Conseil fédéral de communiquer à l’UE la non application de la directive (UE) 2017/853 par la Confédération. Il ne fait aucun doute que les dispositions du droit suisse actuel permettent de garantir la sécurité publique, il n’y a aucune raison de bafouer des droits ancestraux ni de restreindre nos traditions de liberté.»

Le PDC et le PS sont en faveur d’une rapide réalisation de l’accord-cadre

mw. Avançons donc avec cet Accord-cadre institutionnel! Le président du PS suisse Christian Levrat et la spécialiste des affaires étrangères du PDC Elisabeth Schneider-Schneiter annoncent le calendrier désiré par les dirigeants de leurs partis: la votation populaire concernant les dites Bilatérales III, y compris un accord-cadre, aura lieu avant les élections fédérales (d’octobre 2019). Cela revient à dire que les débats parlementaires et les votes finaux aux Chambres fédérales doivent avoir lieu avant fin 2018. Ensuite, il y aura les 100 jours du délai référendaire pour la récolte du nombre de signatures nécessaires, suivie par la votation populaire probablement en mai 2019. Petra Gössi, présidente du PLR, par contre, ne veut pas subir la pression de l’UE et met en garde contre les risques des «solutions globales» (après les projets n’ayant pas obtenu le soutien des électeurs, telles la Réforme de l’imposition des sociétés III et la Révision de la prévoyance vieillesse). Le président de l’UDC et son parti combattront cet accord-cadre de façon catégorique – si cela se situe à la veille des élections, la lutte se fera avec d’autant plus d’énergie! («Neue Zürcher Zeitung» du 6/1/18)
Si l’on parle déjà d’un calendrier, le moment est venu – notamment dans notre système suisse de démocratie directe – d’informer très concrètement la population sur la manière dont la reprise automatique du droit européen et la mise en place de l’arbitrage lors de litiges pourrait avoir lieu.
Car en analysant les exemples actuels, telle la réalisation des directives de l’UE sur les armes, on peut – même sans connaître le projet de l’accord-cadre – de mieux en mieux s’imaginer l’avenir: en réalité, il en va de la survie du modèle suisse.

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