Regard critique sur l’initiative populaire allemande «Protection des espèces – ‹Sauvons les abeilles›»

par Tankred Schaer, scientifique de l’horticulture

Conformément à la Constitution du Bade-Wurtemberg, l’initiative propose un projet de loi pouvant être adopté par le Parlement du Land, ou devant être soumis au vote du peuple si 10% des électeurs, soit 770 000 citoyens du Bade-Wurtemberg, soutiennent le texte avec leur signature. Les auteurs ont six mois pour recueillir ces signatures.
Après que le gouvernement du Land eut présenté le 15 octobre un «document de base» comme alternative au projet de loi prévu (https://volksbegehren-artenschutz.de/wp-content/uploads/2019/10/Gemeinsames-Eckpunktepapier-des-MLR-und-des-UM-f%C3%BCr-Insektenschutz-und-mehr-Artenvielfalt.pdf), le groupe ayant lancé l’initiaitve populaire «Protection des espèces» a annoncé qu’il ne voulait plus recueillir de signatures jusqu’à la mi-décembre. Visiblement, les clarifications apportées à la population sur les conséquences du projet de modification de la loi ont été si efficaces que les initiateurs préfèrent maintenant se joindre à la «proposition alternative» du gouvernement.
Le projet de loi initial prévoit que l’Etat intervienne très largement dans la liberté d’action des agriculteurs. L’objectif de préservation et de promotion de la biodiversité devrait alors être atteint principalement par un développement de l’agriculture biologique et une limitation de l’utilisation des produits phytosanitaires.
Même si cette demande semble raisonnable à première vue, il faut se demander si l’application de produits phytosanitaires est vraiment le problème central de la protection des espèces (https://www.uni-hohenheim.de/pressemitteilung?tx_ttnews%5Btt_news%5D=44682&cHash=bb8c4baafce57b4ecb3c57c82f1580a0). Il existe déjà aujourd’hui une multitude de réglementations et de dispositions de protection visant à limiter l’utilisation des produits phytosanitaires au strict nécessaire et à prévenir les effets nocifs sur l’écosystème. Comme le stipule notamment la loi allemande sur la protection des végétaux (Pflanzenschutzgesetz), les produits phytosanitaires sont appliqués uniquement en cas de nécéssité absolue. Le projet de loi est aussi inapproprié que de demander aux médecins de réduire de moitié les médicaments qu’ils prescrivent.
La protection des abeilles en particulier est assurée dans une si large mesure qu’il n’y a aucune raison d’envisager d’autres renforcements ou même la nécessité de «sauver les abeilles», comme le propose le projet de loi. Dans la région du lac de Constance, par exemple, les fruiticulteurs s’engagent pour la biodiversité, et depuis de nombreuses années pour la promotion des abeilles sauvages. Le suivi de la population d’abeilles sauvages a montré qu’une augmentation de la diversité des espèces pouvait également être observée dans les vergers exploités de manière intensive gérés de façon traditionnelle. Notons que 25 espèces menacées à l’échelle nationale ou classées comme vulnérables selon la liste préventive ont été découvertes, comme l’andrène barbue, la trachuse commune, l’anthophore fourchue ou le célioxe roussi. Enfin, la présence de l’andrène des crucifères, très menacée à l’échelle nationale, est à considérer comme une particularité régionale (https://www.badische-bauern-zeitung.de/wildbienen-obstbauern-schaffen-trendwende). D’une part, on observe donc le rétablissement des populations d’abeilles sauvages, mais ces dernières années, c’est aussi le nombre des abeilles mellifères qui a augmenté; il n’y a donc pas de dépérissement des abeilles (https://deutscherimkerbund.de/161-Imkerei_in_Deutschland_Zahlen_Daten_Fakten).
Dans une prise de position, l’association des apiculteurs du Land (Landesverband Badischer Imker) a déclaré que les apiculteurs ne soutiennent pas l’initiative sous sa forme actuelle. La popularité de l’abeille, disent-ils, serait utilisée à d’autres fins. Le problème du déclin de la diversité des espèces ne pourrait être résolu avec la mise en œuvre du contenu de ce projet de loi (https://www.bodenseebiene.de/wp-content/uploads/2019/10/stellungnahme-lv-rettet-die-bienen.pdf).
Les agriculteurs, les jardiniers et les viticulteurs se plaignent à juste titre que le projet de loi ne tient même pas compte de leur engagement. Ainsi, comme s’il n’existait encore aucune réglementation sur la protection de la nature dans la production agricole, le projet de loi en question veut réduire de 50% l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici 2025. Pourtant, il existe déjà de nombreuses réglementations sur la protection des biotopes, telles que la loi du Land sur la conservation de la nature, la loi relative à l’agriculture et au génie rural, et il existe des réserves de biosphère, des sites Natura 2000 et des zones paysagères protégées dans différentes catégories.
Le projet de loi prévoit qu’aucune protection phytosanitaire ne puisse être effectuée dans ces zones, même si la culture fruitière, la viticulture, l’agriculture ou l’horticulture intensives y sont encore pratiquées aujourd’hui. Cette interdiction ne conduirait pas à une plus grande biodiversité, mais si la réglementation prévue devait entrer en vigueur, de nombreuses exploitations situées dans les zones protégées devraient fermer.
Quand nous cultivons, nous interférons toujours avec la nature. Les agriculteurs cultivent la terre ou élèvent du bétail. Eux et nos ancêtres, car il est certain que nos ancêtres étaient agriculteurs à un moment donné, ont rendu le sol cultivable, c’est-à-dire qu’ils l’ont travaillé jusqu’à ce qu’il puisse servir de substrat pour des plantes utiles. Peu importe que vous cultiviez des céréales, des pommes de terre, des tomates ou du raisin: toutes ces plantes n’ont pas poussé ici d’elles-mêmes, mais ont été semées ou plantées, et il faut en prendre soin. Dans tous les cas, les insectes nuisibles doivent être combattus, les mauvaises herbes enlevées et les maladies fongiques empêchées si vous voulez récolter quelque chose. C’est ma fois impossible sans produits phytosanitaires. L’agriculture biologique est donc également dépendante de produits phytosanitaires.
Ces produits sont définis dans les règlements (CE) n° 834/2007 et (CE) n° 889/2008, modifiés par le règlement d’application (UE) no 2018/1584. Ils ne contiennent que les substances actives énumérées à l’annexe II du règlement (CE) n° 889/2008, modifié par le règlement d’application (UE) n° 2016/673. Ces substances actives sont par exemple le soufre, l’azadirachtine, l’huile de colza, le phosphate de fer (III), le spinosad, les pyréthrines, les sels de potassium d’acides gras, divers micro-organismes, l’hydroxyde de cuivre, etc., une liste totale de 153 pages A4. Ces agents ne sont pas tous d’origine naturelle, et tous ne préservent pas les organismes utiles. Il s’agit de substances actives biochimiques ou inorganiques qui ont pour tâche de protéger les plantes cultivées et de détruire les maladies et les parasites. Généralement, pour obtenir un effet suffisant, ces agents doivent être appliqués assez fréquemment et en assez grandes quantités. Une progression de l’agriculture biologique se traduit donc par une augmentation de la quantité de produits phytosanitaires utilisés.
Pour le reste, ces produits sont soumis aux mêmes réglementations que tous les autres produits: ce sont des produits phytosanitaires qui, s’ils sont utilisés correctement, apportent une contribution indispensable à la production d’aliments sains. Notons que les produits approuvés pour l’agriculture biologique ne peuvent souvent pas être utilisés spécifiquement contre certains organismes nuisibles ou peuvent même s’accumuler dans l’écosystème. C’est pourquoi de nombreux producteurs ont décidé de ne pas adhérer à une association d’agriculture biologique, parce qu’ils ne pourraient alors pas utiliser les meilleurs produits pour leur exploitation, avec le moins d’effets secondaires possibles sur l’écosystème. Les exploitations biologiques sont tout aussi touchées par les restrictions prévues sur l’utilisation des produits phytosanitaires que les autres exploitations.
Une autre exigence du projet de loi est l’extension de l’agriculture biologique à 50% d’ici 2035; dans le Bade-Wurtemberg, 14% de la superficie est actuellement exploitée selon des méthodes biologiques. Dès lors, on peut facilement imaginer qu’une expansion de cette surface sans augmentation correspondante de la demande exercerait une pression énorme sur les prix des aliments biologiques. On peut supposer qu’à ce moment-là, seules quelques exploitations agricoles, surtout les plus grandes, pourront survivre, qu’il faudra importer davantage de denrées alimentaires et s’attendre à la fermeture de nombreuses petites exploitations agricoles allemandes.

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