L’accord de Munich a démoralisé la résistance allemande

Commentaire d’un point de vue suisse

par Gotthard Frick*

Tout comme Donald Trump fait valoir ses intérêts et ceux des Etats-Unis, le président russe Vladimir Poutine fait valoir ses propres intérêts et ceux de la Russie et agit selon les mêmes principes que presque tous les hommes politiques. Poutine a raison, c’est l’Union soviétique qui a subi les plus grands sacrifices pour remporter la victoire sur l’Allemagne national-socialiste.

Aucun autre Etat n’a eu à subir une telle proportion de morts et de blessés parmi ses troupes et sa population, de même que de destructions aussi importantes. L’auteur de cet article a également souligné le fait qu’à plusieurs reprises la comparaison des montants en dollars américains entre les Etats – peu importe le pays – sont trompeuses (selon la «Neue Zürcher Zeitung», la guerre aurait coûté 272 milliards de dollars aux Etats-Unis et 192 milliards de dollars à la Russie). Où se trouve la valeur explicative de tels chiffres si on ne respecte pas l’absolue différence entre les systèmes économiques – l’économie libérale américaine et le système économique communiste – et si on fait abstraction des prix et des méthodes selon lesquelles ils étaient fixés, des salaires et des avantages des soldes, des autres biens et services à l’intention de ces derniers, des taux de change en constante fluctuation et de bien d’autres paramètres? Les soldats russes profitaient-ils d’aussi bonnes rations que les soldats américains? Avaient-ils droit aux mêmes conditions confortables lors de leurs congés? 

Il faut ajouter à cela les différences géographiques fondamentales entre les régions où la guerre sévissait et les exigences complètement différentes en résultant en matière d’équipement, d’armement et de tactiques de combat (l’immensité de la zone terrestre de l’Union soviétique du côté de l’Armée rouge et la diversité du côté des Alliés: l’Europe, l’Afrique du Nord, l’Asie, l’Océan Pacifique). Le point le plus important: il a été prouvé que la Seconde Guerre mondiale aurait pu être évitée en 1938, si la Grande-Bretagne et la France n’avaient pas capitulé devant Hitler lors de la Conférence de Munich et ne lui avaient pas permis de s’accaparer la Tchécoslovaquie. Hitler n’a pas seulement annexé la région des Sudètes (et peu après, la totalité de la Tchécoslovaquie qu’il avait ensuite complètement détruite). Munich a permis à la Pologne, que Hitler voulait forcer à s’aligner avec lui, ainsi qu’à la Hongrie d’occuper les territoires que les deux pays revendiquaient depuis longtemps. (Ce que les deux pays ont fait en octobre/novembre 1938, la Pologne faisant preuve «d’une avidité d’hyène», comme Churchill a dit). De nos jours, qui connaît encore ces événements? Lorsqu’Hitler s’est rendu à la conférence de Munich en septembre 1938, il ne s’attendait pas à ce que les Alliés capitulent. Il a donc déclaré à ses plus proches commandants militaires qu’il attaquerait la Tchécoslovaquie à son retour de Munich. 

L’écrasante majorité des généraux allemands s’était opposée à l’idée d’une guerre – y compris les partisans d’Hitler, ces derniers étaient convaincus que l’Allemagne n’était pas encore prête à l’attaque. Lors de la réunion de l’état-major de 1938, le général Beck, remplacé par Hitler lui-même (qui s’était autoproclamé commandant suprême), a donc essayé de pousser les généraux allemands à la démission collective pour rendre impossible la guerre imminente. 

Le chef de l’état-major général allemand, le général Franz Halder, voulait à tout prix empêcher une guerre avec l’Angleterre, c’était également le cas d’autres officiers supérieurs qui ont alors conspiré dans le but de faire arrêter puis destituer Hitler à son retour de Munich. Certains conspirateurs voulaient même l’assassiner à cette occasion. La capitulation de la France et de la Grande-Bretagne devant Hitler l’a transformé en «Führer» triomphant. Le coup d’Etat était donc devenu impossible dans ces conditions de politique intérieure. Le 28 septembre 1938, les conspirateurs ont laissé tomber leur plan initial. (Halder avait dit: «Tout ce qu’il touche lui réussit. Que pouvons-nous y faire?»). Face à cette expérience décevante, Halder s’est concentré entièrement sur ses devoirs militaires planifiant toutes les grandes opérations allemandes qui devaient suivre, jusqu’à sa destitution par Hitler en 1942 parce qu’il s’était prononcé contre l’attaque de Stalingrad. 

La conspiration a cependant eu des conséquences pour le général Halder (et plusieurs de ses pairs). Après l’attentat manqué contre Hitler le 20 juillet 1944 – Halder n’y fut pas impliqué – la Gestapo soumit de nombreux officiers, des politiciens et de simples citoyens à des interrogatoires de torture abrutie. Plusieurs conspirations furent ainsi révélées, dont celle du général Franz Halder en 1938: il fut immédiatement arrêté avec sa femme et sa fille, envoyé au camp de concentration de Flössendorf, puis à Dachau et, face à l’avance rapide des Alliés, il fut transféré au Tyrol où il aurait dû être exécuté. Mais les Alliés le libérèrent peu après. Lors du procès pour crimes de guerre de Nuremberg, il fut l’un des témoins de l’accusation. Les conjurés, parmi lesquels on trouvait non seulement de nombreux officiers mais aussi beaucoup de hauts fonctionnaires et citoyens issus de divers partis, furent condamnés à mort et pendus par les pieds à des crochets à viande. Hitler s’y rendit plusieurs fois pour assister aux terribles souffrances des conjurés prolongées par ce mode d’exécution abjecte. 

L’amiral Wilhelm Canaris, responsable de l’«Abwehr»pendant des années et l’un des conjurés, fut également dénoncé et pendu dans le camp de concentration de Flössenburg quelques jours avant la fin de la guerre. Seuls quelques conjurés furent autorisés à se suicider, car ils étaient trop connus et trop populaires. Ce fut le cas du général-colonel Beck «qu’on autorisa» à se tirer une balle dans la cervelle; du général-maréchal Rommel, il n’était pas impliqué mais avait eu connaissance de la conjuration sans l’avoir dénoncée et s’est suicidé en avalant la pilule empoisonnée qui lui avait été remise. Plusieurs conjurés non reconnus à ce moment se suicidèrent par crainte de trahir leurs camarades pendant les interrogatoires sous la torture, en cas d’arrestation. C’est ainsi que le général Henning von Treschkow, chef d’état-major du groupe d’armée Centre s’est suicidé avec son revolver de service.

Il faut également se souvenir de l’un des premiers auteurs d’attentats ratés contre Hitler, un Suisse, l’étudiant en théologie neuchâtelois Maurice Bavaud, dont la tentative remonte à 1938. Ila été décapité à Berlin le 19 mai 1941. 

Halder a jouéun important rôle pour la Suisse. En tant que chef d’état-major général au début de 1940, face à l’imminente attaque allemande de la France, il a évaluéla possibilité que les armées allemandes contournent la Ligne Maginot (la ligne de fortifications françaises) par la Suisse ou, inversement, si une éventuelle attaque française de l’Allemagne devait avoir lieu en passant par la Suisse, ce qui aurait représenté une option avantageuse de l’ennemi. Il est parvenu à une conclusion négative à cause de l’armée suisse qu’il considérait comme forte et qui était déjà déployée sur ses positions jurassiennes, de sorte qu’il nota, dans son journal de guerre: «Le contournement à travers une Suisse sans défense restera pourtant une option tentante.» 


Gotthard Frick a étudié la civilisation française, l’économie, gestion d’entreprise et les sciences politiques à l’Université de Paris (Sorbonne). Pendant de nombreuses années, il a participé à de grands projets d’infrastructure (centrales électriques, lignes à haute tension, routes, tunnels, systèmes d’irrigation) en Suisse et dans le monde entier. De 1968 à 2004, il s’est consacré à la formation d’une société conseillère, active dans le monde entier pour une multitude de banques de développement, les organisations des Nations unies (OIT, OMC, PNUD), l’OCDE, la Suisse et plusieurs autres organisations, gouvernements et entreprises. Fricka été commandant de bataillon d’infanterie. Il est membre du Parti social-démocrate de Suisse.

 

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