Que faut-il attendre de Joe Biden en matière de politique mondiale?

Un point de vue d’un américain

par Stephen J. Sniegoski*, Etats-Unis

La popularité des Etats-Unis à l’international s’est effondrée avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2016 et cet état de fait a perduré tout au long de son mandat, selon le Pew Research Center, un organisme d’information indépendant réalisant des enquêtes sur toute une série de sujets et généralement considéré comme fiable.1 La plupart des pays européens estiment qu’avec l’élection de Joe Biden les Etats-Unis vont désormais s’aligner sur les positions de l’Europe, mettant ainsi fin au comportement isolationniste de M. Trump, tel qu’eux-mêmes le considéraient. Trump, cependant, était bien loin d’être un isolationniste puisqu’il n’a jamais procédé au retrait des troupes américaines de l’OTAN ni de la kyrielle de contingents militaires stationnée par les Etats-Unis un peu partout dans le monde. Ce que Trump a fait a été d’éviter les conflits armés avec un peu plus de succès que ses récents prédécesseurs dans le bureau ovale. Il semblerait toutefois que M. Biden attende des Européens qu’ils rejoignent les Etats-Unis dans leurs opérations militaires, comme ils l’ont fait par le passé, ce à quoi de nombreux Européens se sont fermement opposés.

De la haine du Président 
«Trump derangement syndrome» …

Il faut ajouter que Trump a été attaqué par les médias pour sa trop grande bienveillance envers la Russie, certains allant jusqu’à dire qu’il était en fait un agent russe mais également que c’était la Russie qui avait permis à Trump de devenir président en 2016. Selon Philip Giraldi,ancien agent de renseignement de la CIA, «il est certain que le cœur du problème, c’est Trump, car il a constamment pris de mauvaises décisions, trop agressives, alors qu’il existait de meilleures et bien moins virulentes solutions, ce qui ne devrait pas nécessairement être imputé à son piètre recrutement en matière de conseillers. Mais il ne faut pas non plus écarter la probabilité selon laquelle le dysfonctionnement de Trump est en partie compréhensible, puisque résultant de sa certitude de posséder de nombreux ennemis puissants cherchant à le détruire, et cela même bien avant sa nomination de candidat présidentiel républicain du ‹Grand Vieux Parti›. Cette haine relative à toutes les actions de Trump s’est concrétisée à travers le mouvement néoconservateur ‹Nevertrump›dirigé par Bill Kristol et via le ‹Trump Derangement Syndrome›2 très présent au sein de la gauche politique».3 

 … au Deep State «L’Etat profond»

Giraldi poursuit: «Et puis il y a le Deep State, ‹l’Etat profond›, en lien étroit avec le Parti démocrate et le Président Barack Obama pour détruire la présidence Trump avant même son commencement. Il existe plusieurs définitions possibles du Deep State, en partant d’une version ‹soft› reconnaissant l’existence d’un Establishment aux objectifs égocentriques apte à promouvoir collectivement jusqu’au durcissement d’une véritable infrastructure se réunissant et conspirant pour écarter des individus et saboter les politiques auxquelles elle est opposée.Dans les deux versions, le Deep State englobe des hauts fonctionnaires, des chefs d’entreprise et, ce qui est peut-être le plus important, l’encadrement des médias, qui tous ensemble promeuvent une version corrompue de la ‹bonne gouvernance› laquelle à son tour, influence le public.»4

Actuellement aux Etats -Unis, 
être pro- russe est suspect 

L’affirmation selon laquelle Trump serait un agent russe a été démentie par le fait d’accorder son autorisation aux forces américaines de tuer des centaines de mercenaires russes en Syrie.5,6 Ainsi dans sa revue Nuclear Posture Review (Révision de la politique nucléaire) publiée par le Ministère de la Défense, il est précisé «qu’il a concentré la majeure partie de son effort nucléaire de plusieurs milliards de dollars sur l’actualisation de la dissuasion nucléaire axée sur la Russie».7 De plus, «l’administration Trump a imposé des sanctions plus sévères à la Russie que toutes celles accomplies par l’administration Obama. Le Président Trump a en fait pris des mesures visant les intérêts russes qu’Obama avait refusées de prendre, comme la fourniture aux forces armées ukrainiennes de missiles Javelin anti-char destinés à prévenir les incursions transfrontalières russes – incluant l’usage de blindés russes – auxquelles les Ukrainiens ne pouvaient jusque-là faire obstacle».8
    Pour autant, cela n’a pas discrédité la tendance du grand public américain à penser que Trump était, tout au moins, pro-russe, ou même un véritable agent russe. A titre d’exemple, un livre écrit par un ancien agent du FBI affirmait que Trump était une menace pour la sécurité nationale.9 Par ailleurs, un ancien agent du KGB a affirmé que les services de renseignement russes avaient «cultivé» Trump pendant des décennies.10 En conséquence, plus aucune personnalité des médias grand public n’oserait plus affirmer qu’il serait peut-être judicieux d’être amical avec la Russie plutôt que de la menacer d’un conflit. 

Renouvellement de la puissance des Etats-Unis, objectif premier de Biden

Pour en revenir à Biden, celui-ci a déclaré aux alliés européens de l’Amérique, lors de la Conférence virtuelle sur la sécurité tenue à Munich le 20 février, que «l’Amérique était de retour», désavouant ainsi la démarche supposée «isolationniste» adoptée par l’ancien Président Donald Trumpà l’égard du reste du monde. Biden a déclaré que les «dernières années ont malmené et éprouvé notre relation transatlantique». Il a souligné que son administration était «déterminée à se réengager avec l’Europe et à «regagner notre position de confiance et de leadership».11
    Joe Biden a privilégié une approche intransigeante à l’égard des trois principaux ennemis de l’Amérique: la Chine, la Russie et l’Iran. Cette triple approche n’est pas sans rappeler «l’Axe du mal» de George W. Bush, englobant l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord. 

La Chine, cataloguée ennemi principal

Biden a déclaré que la Chine était le plus grand ennemi de l’Amérique, ce qui est certainement exact, et a affirmé que les Etats-Unis et l’Europe devaient «se préparer ensemble» à une compétition stratégique à long terme avec elle. Mais au-delà de la menace chinoise, il y a le danger de la Russie. Selon Biden, la Russie a causé de graves problèmes aux démocraties européennes favorables à l’Amérique et a cherché à démanteler l’alliance de l’OTAN. Pour finir, il a déclaré que les activités déstabilisatrices exercées par l’Iran dans tout le Moyen-Orient devaient être efficacement contrecarrées.12

Collaboration étroite avec les «Faucons»

Biden s’appuie largement sur ses collaborateurs les plus fidèles et a donc nommé Antony Blinken au poste de Secrétaire d’Etat, Avril Haines à celui de Directrice du renseignement national, nommé Jake Sullivan Conseiller à la sécurité nationale, mis Samantha Powerà la tête de l’USAID et enfin le général en retraite Lloyd J. Austinau poste de Secrétaire à la défense. Toutes ces personnalités sont considérées comme des «faucons» et ont travaillé avec Biden lorsqu’il était au Congrès, puis lorsqu’il est devenu vice-président. 
    Le secrétaire d’Etat Blinkena été en poste avec Biden pendant près de deux décennies. Blinkena été Secrétaire d’Etat adjoint de 2015 à 2017 et Conseiller adjoint à la sécurité nationale de 2013 à 2015 sous la présidence de Barack Obama et du Vice-président Biden. En l’espace de trois décennies, Blinken a occupé des postes de haut niveau en politique étrangère dans deux gouvernements. 

Un alignement dur en faveur de la guerre

Blinkena été partisan de la ligne dure, soutenant la guerre contre l’Irak en 2003, préconisant en 2011 l’intervention des Etats-Unis dans la guerre civile en Libye, alors que Biden lui-même y était opposé, et appelant à une présence militaire américaine nettement accrue dans la guerre civile en Syrie tout en s’opposant au retrait des troupes américaines de ce pays ravagé par la guerre.13 
    En 2014, Blinken a préconisé la mise à l’écart de la Russie après son annexion de la péninsule de Crimée en février-mars 2014, donnant ainsi les raisons de l’objectif de cet isolement: «L’une des manières dont le président Poutine et la Russie définissent la puissance réside dans l’influence géopolitique la capacité de conquête de la Russie. En ébranlant la Russie sur le plan politique au sein de la communauté internationale et en l’isolant politiquement, on diminue ce pouvoir.»14

Le refus d’un monde multipolaire

Joe Biden semble supposer que les membres de l’OTAN s’aligneraient de bon gré sur les objectifs des dirigeants américains, ce qui est hautement improbable. Biden et sa coterie ne semblent pas disposés à accepter un monde multipolaire, estimant que les Etats-Unis doivent conserver leur leadership sur la planète. Bien sûr, les Etats-Unis ont essayé au cours des vingt dernières années de faire participer les Européens à des guerres inutiles et n’y ont pas toujours réussi. A titre d’exemple, les seuls pays ayant fourni des troupes pour envahir l’Irak en 2003, outre les Etats-Unis, étaient le Royaume-Uni, l’Australie et la Pologne. Les grandes puissances européennes représentées par l’Allemagne et la France n’ont fourni aucune aide et il y avait même un fort mouvement de protestation contre la guerre en Grande-Bretagne, l’allié le plus important de l’Amérique.15

Une «solidarité transatlantique» exclusive? 

Un article paru dans la revue Foreign Affairs, le journal de l’organisme indépendant Council of Foreign Relations (CFR), commence par envisager un avenir radieux: «Les relations entre l’Europe et les Etats-Unis sont en passe de connaître un spectaculaire redémarrage à présent que Joe Biden est entré en fonction. Adieu à l’Amérique d’abord de Donald Trump et aux dégâts qu’elle a fait subir aux intérêts de la nation et à sa position internationale. Bienvenue au retour d’un modèle de politique américaine fondé sur le respect et le travail en collaboration avec des alliés démocratiques. La victoire électorale de Biden et la rectification de la trajectoire qu’il a déjà entamée sont en mesure de restaurer la réputation de l’Amérique à l’étranger et de rétablir la solidarité transatlantique.»16,17

Courant de pensée en Europe

Mais l’auteur de cet article, Charles A. Kupchan, a souligné le fait, selon ses propres propos, que de nombreuses personnes en Europe, pensent comme les trumpistes américains: «Même si Biden a infligé une défaite à Trump, le populisme, le nativisme et l’opposition au libéralisme restent bien vivants des deux côtés de l’Atlantique. L’assaut lancé sur le 6 janvier sur le Congrès américain l’a amplement démontré. L’Europe elle-même est sujette à ses propres signes d’alerte, notamment le Brexit, l’instabilité politique persistante de l’Italie et la résistance des gouvernements non libéraux en Hongrie et en Pologne. Le départ annoncé d’Angela Merkel de quitter bientôt le pouvoir ajoute encore à l’incertitude.»18

Une stratégie simultanée 
de plusieurs ennemis? 

Le gouvernement Biden s’en est néanmoins tenu jusqu’à présent à la politique consistant à considérer la Chine et la Russie comme des ennemis, et il n’est pas certain non plus qu’il y ait une réelle détente sur la question de l’Iran. Aux Etats-Unis même, tout cela ne va pas sans controverse. La position politique connaissant le plus grand nombre de suffrages est la suivante: la Chine est déjà une concurrente pour le pouvoir mondial, elle est aussi un ennemi. La controverse porte sur la question de savoir s’il est opportun de se mesurer à la Chine et à la Russie en même temps. Sans parler de la question des implications possibles s’il n’y avait aucun progrès dans les relations avec l’Iran. 
    Parallèlement à ces enjeux politiques, une discussion intense est en cours aux Etats-Unis concernant les domaines de l’armement dans lesquels à l’avenir il faudra investir de l’argent frais. Cela implique également la question du réarmement dans le domaine spatial.
    Une chose est sûre: les signes d’alerte ne convergent pas vers la détente. 

Avis de Robert Gates 

Robert Gates, Secrétaire à la défense du Président Obama, a déclaré dans ses mémoires à propos de Joe Biden: «C’est un homme intègre, incapable de cacher sa pensée, et l’une de ces rares personnes dont vous savez que vous pourriez vous tourner vers elle en cas de crise personnelle. Pourtant, je pense qu’il a fait fausse route sur pratiquement toutes les grandes questions de politique étrangère et de sécurité nationale au cours des quatre dernières décennies.»

1https://www.bbc.com/news/world-us-canada-51012853
2«Trump derangement syndrome» (TDS) est un terme péjoratif désignant les critiques ou les réactions négatives à l’égard de l’ancien Président américain Donald Trump, qui sont perçues comme irrationnelles et n’ont que peu de rapport avec les positions politiques réelles de Trump ou les actions de son administration. https://en.wikipedia.org/wiki/Trump_derangement_syndrome [Remarque de la rédaction]
3https://thedailycoin.org/2019/04/24/the-conspiracy-against-trump-philip-giraldi/
4https://thedailycoin.org/2019/04/24/the-conspiracy-against-trump-philip-giraldi/
5https://www.businessinsider.com/us-military-killed-hundreds-of-russians-syria-trump-administration-confirms-2018-4
6https://www.nytimes.com/2018/02/13/world/europe/russia-syria-dead.html?hp&action=click&pgtype=Homepage&clickSource=story-heading&module=first-column-region&region=top-news&WT.nav=top-news
7https://edition.cnn.com/2018/02/02/politics/pentagon-nuclear-posture-review-russian-drone/index.html
8https://redstate.com/shipwreckedcrew/2021/01/23/biden-administration-endorses-russian-foreign-policy-put-in-place-by-putin-stooge-n315375
9https://www.nytimes.com/2020/09/05/us/politics/peter-strzok-book.html
10https://www.huffpost.com/entry/kgb-cultivate-trump-asset-putin-russia_n_601621dbc5b6aa4bad34a5d3
11https://abcnews.go.com/Politics/biden-acknowledge-democracy-stress-us-restore-place-global/story?id=75982189
12https://www.middleeasteye.net/opinion/it-smart-biden-engage-china-russia-and-iran-not-viable
13https://truthout.org/articles/bidens-pick-for-secretary-state-helped-lead-the-us-into-the-iraq-war/
14https://www.newsweek.com/what-antony-blinken-said-about-key-foreign-policy-issues-1549404
15https://www.theguardian.com/world/2003/feb/13/iraq.nato
16https://www.cfr.org/article/four-critical-issues-biden-and-europe
17https://www.politico.com/news/2021/02/19/biden-europe-meeting-g7-leaders-470104
18https://www.cfr.org/article/four-critical-issues-biden-and-europettps://www.politico.com/news/2021/02/19/biden-europe-meeting-g7-leaders-470104
(Traduction Horizons et débats)

*Stephen J. Sniegoski, Ph.D., promu à l'Université de Maryland en histoire américaine, avec l'accent prinicpal sur la politique étrangère. Son accent de la participation néoconservatrice dans la politique étrangère s’§appuie sur le 11 septembre 2001, et son premier grand travail sur ce sujet, «The War on Iraq: Conceived in Israel», a été publié le 10 février 2003, plus qu'un mois avant l'attaque américaine. Auteur de maints articles sur la Philosophie politique, la deuxième Guerre mondiale, le communisme et la guerre américaine en Iraq. Auteur de «The Transparent Cabal: The Neoconservative Agenda, War in the Middle East, and the National Interest of Israel».

 

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