Développer la résistance à la propagande

A propos du livre de Johannes Menath «Moderne Propaganda. 80 Methoden der Meinungslenkung»*

von Eliane Perret

Quiconque souhaite s’informer sur les événements mondiaux dans les médias mainstream doit constater qu’on est confronté au trucage mental organisé de manière professionnelle. C’est particulièrement le cas à une époque comme la nôtre, assombrie par les événements de guerre. «When war is declared, truth is the first casualty» (Quand la guerre est déclarée, la vérité en est la première victime), a écrit Lord Arthur Ponsonby en 1928, dans son livre «Falsehood in Wartime» (Mensonges en temps de guerre) où il analyse les mensonges de guerre divulgués lors de la Première Guerre mondiale. S’inspirant des recherches de Ponsonby, l’historienne belge Anne Morelli a condensé les résultats de sa propre enquête dans «Les principes élémentaires de la propagande de guerre». C’est dans cette tradition que s’inscrit le livre de Johannes Menath publié fin 2022 sous le titre «La propagande moderne. 80 méthodes de manipulation». L’objectif de l’auteur est de nous rendre attentifs sur les méthodes «éprouvées», employées pour diriger nos opinions dans une certaine direction et de nous faire ainsi reconnaître que nous sommes en effet entourés d’un «nuage invisible d’é motions, d’opinions et de conclusions construites» (p. 9). En se donnant ainsi les moyens de reconnaître les techniques utilisées, de vérifier la véracité des informations et de s’opposer à l’é rosion du débat démocratique, on pourra voir, après lecture, à quel point notre désir d’information est abusé. «La force de toute démocratie dépend du jugement souverain des citoyens. L’é ducation, notamment des facteurs susceptibles d’influencer nos émotions (notre psychisme, comme il dit), se trouve donc au début du développement en citoyen responsable», (p. 10), estime Menath, et d’y ajouter: «Dans une époque où la presse et les médias ne remplissent plus leur mission originale, qui est celle d’instance correctrice du pouvoir politique, il est d’autant plus important de développer une force de résistance à la propagande. Et lorsque les grandes entreprises de médias menacent de se substituer au pouvoir suprême dans l’Etat, les citoyens responsables sont appelés à s’opposer à cette érosion de la démocratie.» (p. 11)

Les méthodes qui dirigent l’opinion

Dans la partie principale du livre, l’auteur présente méticuleusement 80 méthodes de manipulation sous forme de courts paragraphes. Souvent, elles se basent les unes sur les autres ou sont combinées. Elles se divisent en celles qui génèrent certaines opinions et celles qui visent à détruire les opinions indésirables. Enfin, Menath décrit les techniques qui permettent de créer des conditions sociales facilitant l’influence sur l’opinion publique. L’auteur a parcouru un éventail impressionnant d’auteurs, de l’Antiquité à l’é poque moderne. En prenant le temps de lire attentivement ses descriptions et de s’y ouvrir, on reconnaît partout l’objectif profondément éthique de l’auteur. On conçoit ainsi son intention primordiale de ne pas laisser les gens tomber dans les pièges de jugements préfabriqués, mais de leur donner des instruments afin de séparer le vrai du mensonge et ainsi de développer les qualités de citoyen autonome. L’auteur analyse clairement comment la manipulation tire profit de la nature sociale humaine. Il s’agit de formes de notre comportement spécifique à l’espèce humaine que l’é volution nous a transmises et qui constituent en quelque sorte notre «inconscient» général, comme nous l’apprennent les acquis de l’anthropologie moderne. Par exemple, la tendance à nous intégrer dans un groupe qui nous donne de la sécurité, car nous supportons mal le fait de rester à l’é cart.

Manipulation malveillante versus éducation

Après avoir présenté les 80 méthodes de propagande, l’auteur se penche sur les causes de leur efficacité en évoquant le long parcours de l’é volution de l’espèce humaine. Pour survivre, les hommes ont toujours été obligés de percevoir correctement leur environnement et de sélectionner l’information qui serait utiles à leur objectif primordial de survivre, face à la multitude d’informations. «Initialement, nous ne percevons pas pour connaître, mais pour survivre», dit l’auteur (p. 92). Ceci toujours dans un contexte individuel qu’il faut élargir par l’é change interpersonnel. C’est avec ces caractéristiques humaines élémentaires que renouent désormais les techniques de manipulation sophistiquées: en isolant un sujet, en simplifiant sa perception, en l’accompagnant de symboles et en l’exposant à de fortes émotions afin de générer les opinions souhaitées. En contrepartie de cette manipulation malsaine de la personnalité, l’é ducation est un pilier redoutable du développement mental humain. Elle a comme but d’« aider son vis-à-vis à développer sa personnalité en tenant compte de ses forces et de ses faiblesses, afin de former un homme responsable, courageux et intelligent» (p. 94). Pour parvenir à un jugement personnel, il est nécessaire d’adopter une attitude constructive et critique et l’aptitude à recueillir et à remettre consciemment en question les informations les plus diverses ainsi que la connaissance des principaux concepts politiques et philosophiques.

L’é ducation politique et humaniste
face à l’opinion mise au pas

Dans les chapitres suivants, l’auteur se penche sur la manière dont nous pouvons nous protéger de l’endoctrinement. L’observation sous différents angles, condition nécessaire à la formation d’une opinion libre et fondée, est rendue difficile par le fait que les médias dominants se procurent la plupart de leurs informations auprès des quatre agences de presse AP, Reuters, AFP et dpa (ats pour la Suisse) qui, dans leur rôle de gardiens des nouvelles, présélectionnent les informations avant même qu’elles n’arrivent dans les bureaux de rédaction. De plus, les journalistes des rédactions ne peuvent pratiquement pas travailler sur du contenu qui va à l’encontre des intérêts économiques des propriétaires des groupes médiatiques, au risque de perdre leur emploi. Les articles critiques à l’é gard du système sont systématiquement passés sous silence. Ainsi, en dernière instance, le paysage de la presse nationale et régionale dépend de certains groupes d’intérêts notamment américains. Celui qui veut voir plus loin que le bout de son nez ne pourra donc pas s’empêcher de consacrer le temps nécessaire à l’acquisition de connaissances plus larges et approfondies, «s’il ne veut pas se transformer en complice inconscient d’une certaine mouvance d’opinion.» (p. 96). L’auteur décrit l’é ducation comme pilier primordial d’une pensée indépendante, renvoyant ensuite à l’é tude de la littérature classique comme deuxième pilier, un portail pour se pencher sur les idéaux, les processus et les événements du passé. Dans cette lecture, «nous vivons au milieu de représentations devenues vivantes. Elles ont été imaginées, écrites, diffusées et souvent mises en pratique.» (p. 97) La lecture des grands classiques – l’auteur cite Aristote, Platon, Nietzsche, Confucius et Marc Aurèle – aide chacun à bien situer les événements actuels et à évaluer correctement l’Etat et sa politique. Selon l’auteur, «lire [devient] un acte de libération de l’immaturité, de l’apathie et de la désorientation» (p. 98). C’est pourquoi Menath a ajouté un catalogue de livres qu’il recommande à la lecture en annexe à son texte.

Remise en question de ses propres concepts

Il convient d’ajouter ici que la manipulation est une tromperie malveillante. Elle utilise abusivement les connaissances de la médecine moderne de l’â me. Elle s’attaque à nous autres, consommateurs d’actualités, là où notre appareil psychique offre une occasion de «séduction mentale» aux manipulateurs. C’est un mécanisme intérieur qui est proche de celui qui nous fait faire des choses que nous regrettons par la suite, nous aurions donc dû le savoir... Face à de telles pulsions internes, l’information seule a du mal à s’imposer. Souvent, nous en sommes conscients, mais nous ne les comprenons pas – nous ne comprenons pas ce qui nous pousse. Cela est lié à notre histoire personnelle intérieure. D’où l’importance du travail sur sa propre personnalité ou son caractère auquel l’auteur fait référence (p. 107). En complément à ses explications, il convient de noter qu’il s’agit de reconnaître et de comprendre notre mode de conception individuel, notre disposition personnelle à réagir dans nos rapports humains, à nous confronter avec l’histoire de notre vie et peut-être à nos propres vulnérabilités aussi, nos émotions se manifestant dans des situations d’exigences spécifiques. C’est là que se situe le champ d’action de la psychologie des profondeurs, et c’est là aussi que commence le vaste domaine de la portée politique de nos émotions.

L’impérialisme

Sous ce titre, l’auteur se penche sur l’importance de l’empire américain en tant que puissance ayant militairement occupé l’Allemagne et sur sa tentative de domination mondiale, qui se traduit également par son influence accrue sur la presse et la politique. Il cite à cet égard les réseaux transatlantiques, les groupes de réflexion et les organisations de lobbying politique dans lesquels sont impliquées des personnalités dirigeantes des domaines politique et médiatique. L’« Atlantikbrücke» (Pont de l’Atlantique) en est un exemple, mais c’est également le cas du «Who’s Who» du paysage politique et médiatique allemand et de nombreux autres. L’auteur cite le stratège militaire américain Zbigniew Brzezinski qui a écrit: «La vérité brutale est que l’Europe occidentale et, dans une mesure croissante, l’Europe centrale resteront un protectorat américain dans lequel les Etats alliés ressembleront à des vassaux antiques et à des tributaires», dans son livre programmatique «Le Grand Echiquier», paru en 1997.

L’action politique

L’analyse de Johannes Menath appelle à l’action. Lui-même privilégie la voie de s’unir dans le souci de mettre un terme à la manipulation et dans la revendication énergique du maintien du débat libre en public. Des informations concises pourraient ainsi attirer l’attention de la population sur les abus de l’orientation ciblée de l’opinion notamment de ceux à qui les offres d’information alternatives sont inaccessibles ou étrangères. Cela pourrait se faire, par exemple, par le biais d’un tract diffusé à grande échelle et de manière répétée, afin d’entrer en contact direct avec la population et de rendre les moulins à vent de la fabrication des opinions voulues inopérants. Selon l’auteur, l’opposition «Bons-Méchants» générée par les médias doit être remplacée par celle éclairés-manipulés, ce qui lui conférerait une supériorité morale. Ainsi, la voie pour un débat public digne de ce nom serait libre. Dans l’introduction de son livre, l’auteur pointe du doigt (p. 9) l’orientation actuelle des médias qui poursuit des objectifs qui vont à l’encontre des intérêts de leur propre lectorat, à savoir: «Comment amène-t-on la population d’un pays européen à participer à une guerre qu’elle ne veut pas vraiment? Comment la pousse-t-on à poursuivre un objectif qui va à l’encontre de ses intérêts fondamentaux?»  Des objectifs qui pratiquent la destruction des rapports sociaux qui se trouvent aux bases de la cohabitation humaine pacifique.

Courage, sagesse, cohésion

«Aujourd’hui, passer le temps est devenu la normalité pour la masse» c’est ce que déclare l’auteur en introduction du dernier chapitre de son livre (p. 107). Il nous encourage à exiger davantage de nos vies que de la passer sans but. Car pour lui, le monde est plein de défis et, outre l’action politique, le travail qui consiste à comprendre mieux son propre caractère est une chose qui rend sa préciosité à chaque moment de la vie. Il s’agit de travailler sur soi, et ce qui pouvait sembler difficile au premier abord devient facile une fois qu’on a fait le premier pas et qu’on s’est approprié de nouvelles voies. «Orienter ses propres actions dans une direction fructueuse, petit à petit, est une tâche qui rend sa vie précieuse et intéressante» (p. 108). Pour lui, le courage de se confronter aux autres et à soi-même fait partie des vertues les plus importantes. Cependant, sans sagesse, le courage reste sans but. Ce n’est qu’à  cette condition que l’action se dirige vers une bonne fin. Et l’auteur renvoie une fois de plus à la littérature classique, ce guide important, car c’est là qu’on rencontre les expériences et les idées des personnes les plus ouvertes au monde. Menath propose d’é tudier de telles œuvres ensemble, dans des groupes de lecture, ce qui facilite la compréhension et renforce le sentiment d’appartenance. «Celui qui s’entoure de personnes qui aiment le discours apporte beaucoup d’enrichissement intellectuel dans sa vie» (p. 109). Ce genre de cohésion constitue le troisième pas vers une vie créatrice, basée sur des objectifs et une culture partagée et peut-être retrouvée.

Personalités importantes

L’auteur conclut son ouvrage par une brève présentation des personnalités importantes qui se sont penchées sur les méthodes garantissant le maintien du pouvoir, des recommandations de lectures classées par thèmes, une bibliographie complète et de longues citations originales tirées d’œ uvres d’Alexis de Tocqueville, d’Aristote et d’Edward Bernays. Avec son livre, l’auteur a transformé son tract initial en un ouvrage largement diffusé et lu qui pourrait servir à lever le voile sur la manipulation de l’opinion et à rendre possible un discours libre pour le bien de tous. Car la manipulation politique intervient de manière nocive dans notre vie sociale. Il faut s’y opposer. C’est pourquoi nous devons en parler ensemble, et en public.

e.p. Johannes Menath (1993) a étudié l'ingénierie chimique à Erlangen et à Nuremberg. Avec des amis, il a fondé en 2018 l'initiative Agora, qui s'occupe de l'annulation des principes démocratiques par l'influence psychologique et fait de la sensibilisation. Le présent ouvrage est le résultat de plusieurs années de documentation et de recherche.

L’«agenda setting» – moyen privilégié pour imposer un agenda politique

ep. Ce n’est en effet guère par hasard si un sujet est tout d’un coup abordé, en apparence «accidentellement», par tous les grands médias et en même temps. Cela relève presque toujours d’un thème délibérément mis à l’ordre du jour. En effet, c’est cet «agenda setting» (p. 24 s.) qui détermine les sujets imposés pour être placés au centre de l’intérêt médiatique (et ainsi de ceux qui, avec ce choix, seront négligés). Il ne s’agit donc pas des besoins spécifiques à la société d’information, mais des dispositions d’un agenda politique. Celui qui comprend cet outil majeur destiné à guider l’opinion publique aura constaté que, face à la situation après le séisme en Turquie et en Syrie, les reportages actuels se sont presque exclusivement focalisés sur la Turquie tandis que les souffrances des Syriens ont été éclipsées, ou bien exploitées pour critiquer le gouvernement syrien.
   L’agenda setting fait également partie des techniques de manipulation à  l’œ uvre pour lancer une campagne de dénigrement contre une opinion, une personne ou un groupe mal vu. Le focus sur quelques voix critiques simultanées et soi-disant indépendantes permet de créer une sorte de seconde «vérité». Cette dernière n’est plus remise en question que par une minorité. Le même procédé s’adapte bien sûr, à logique inverse, pour lancer une personne, une idée, une opinion ou un produit.

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