Quo vadis Syrie?

«Même pendant la guerre, nous n’avions pas ce genre de problèmes»

par Karin Leukefeld, Damas

L’explosion dans le port de Beyrouth (le 4 août 2020) a également secoué la Syrie. Le Liban et la Syrie ont d’étroits liens sociaux, économiques et politiques. Pendant la guerre et le siège, Beyrouth était et demeure encore pour la Syrie assiégée, la porte au monde, par laquelle on pouvait voyager et revenir, par laquelle le commerce ne s’était pas arrêté. Pour le Liban, la Syrie est une source agricole de fruits, de légumes et de nourriture n’étant plus cultivés en quantité suffisante au Liban même. Les restrictions imposées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pendant la pandémie du coronavirus ont entraîné la fermeture de tous les postes frontières communs, exceptés quelques-uns. Cela signifie la fin du va et vient des réfugiés et des travailleurs syriens au Liban. Les magasins le long de la route menant à la frontière libano-syrienne sont désertés. 

 

 

«Même pendant la guerre, nous n’avions pas de pareils problèmes.» Comme s’ils s’étaient mis d’accord, les habitants de Damas, Homs, Hama ou Alep continuent de répondre pareillement aux questions concernant leur situation. Le travail, la santé, l’approvisionnement en nourriture, en électricité ou en essence, tout était mieux pendant la guerre qu’en cette année 2020. Au moins, cela semblait plus supportable, car les gens pensaient que la guerre serait bientôt terminée et qu’ils pourraient alors reconstruire le pays. Personne ne pensait que ce serait facile, mais on ne s’attendait pas à de tels problèmes.

Hommes d’affaires, commerçants ou agriculteurs, enfants ou grands-parents, jeunes ou vieux, tous se plaignent du manque d’électricité et d’essence, de la perte de valeur de la livre syrienne et de l’énorme inflation. Le fromage, les œufs, le lait et le yaourt ne sont plus au menu pour la plupart d’entre eux. Un kilo de viande d’agneau coûte la moitié d’un salaire mensuel, et même le prix d’un poulet n’est pas abordable. «Un poulet coûte 10 000 lires», calcule Hanan, qui travaille dans un hôtel familial à Damas. Comme tous les Syriens, il utilise l’ancien nom de la monnaie syrienne «Lira», officiellement c’est une livre libanaise. Au printemps, le salaire mensuel de Hanan a été augmenté de 50 000 à 70 000 lires, mais il est toujours insuffisant pour la famille de cinq personnes et le père de Hanan, qui vit avec lui. Au printemps, le salaire valait l’équivalent d’un peu moins de 60 euros, alors qu’il n’est plus que de 30 euros aujourd’hui. «10 000 lires pour un poulet», soupire Hanan et fait des gestes de la main. «Comment puis-je acheter un poulet avec 70 000 lires par mois? Nous n’avons pas mangé de viande depuis des mois! 

«Nous sommes en train d’étouffer», dit Delal H. une gynécologue retraitée à Damas. Vu le manque aiguë de spécialistes en Syrie, cette femme engagée continue de travailler à l’hôpital tous les jours et rayonne d’optimisme par profession. Elle est heureuse de montrer les photos de «ses» enfants qu’elle a aidés à venir au monde. Mais ce jour-là, elle semble littéralement «hors d’elle». «Nous avons des bases militaires américaines dans le pays, Israël nous bombarde quand et où il veut! Les sanctions empêchent la reconstruction, la loi César menace tous ceux qui veulent nous aider. Ils volent notre pétrole, et maintenant – avec Corona – les choses empirent. Qu’est-ce qu’ils attendent de nous? Où cela va-t-il mener?

On n’avait pas faim

La vie en Syrie est devenue difficile. Alors que les convois d’aide internationale en provenance de la Turquie et portant le drapeau des Nations unies traversent la frontière syro-turque en passant par Bab a Hawa pour se rendre à Idlib afin de fournir à la population de cette région des médicaments, de la nourriture, du lait en poudre, des équipements de protection contre le nouveau virus et bien d’autres choses encore, les Syriens du reste du pays tentent en quelque sorte de garder leur calme. 

Auparavant ils n’avaient pas faim. Jusqu’en 2010, la Syrie a non seulement approvisionné sa propre population et les pays voisins avec ses produits agricoles, mais a également pu exporter des denrées alimentaires, explique l’ingénieur agronome Haitham Haidar lors d’un long entretien à Damas. Haidar est un homme amical et calme qui est le responsable de la planification et de la coopération internationale au sein du ministère syrien de l’agriculture. 

En 2020, sur les six millions d’hectares de terres agricoles utilisables en Syrie, seuls quatre millions d’hectares environ pouvaient être cultivés. Les raisons en sont multiples, selon l’ingénieur: «Les travailleurs expérimentés font défaut, les sanctions empêchent l’importation d’engrais, de machines et de pièces de rechange. 60 % de nos installations agricoles telles que les silos et les installations de stockage, les usines de production alimentaire et de nombreuses installations de recherche agricole ont été détruites pendant la guerre. La Syrie a également perdu environ la moitié de son bétail. Les moutons Awassi, appréciés dans le monde entier, sont une grande perte. «En 2010, nous en avions 15 millions, cette année, nous n’en avons compté que 7 millions.» Les bédouins, ne connaissant ni Etat ni frontières, ont peut-être vendu les animaux en Jordanie, en Irak et en Arabie Saoudite. 

Compte tenu de la situation difficile, la récolte 2020 a néanmoins été bonne, souligne l’ingénieur. Cependant, le manque d’essence et de pétrole rend le transport du producteur au consommateur et le prix de vente plus difficile et plus cher. «Nos ressources pétrolières dans le nord-est du pays sont occupées par les Américains, et l’importation de pétrole – par exemple d’Iran – est entravée par les sanctions.» Les récoltes au nord de l’Euphrate et à Idlib sont vendues illégalement à la Turquie et au nord de l’Irak, a déclaré Haidar. «La destruction de notre agriculture est voulue.»

Un salut de Morek

On le constate lors d’un voyage à Alep, dans les provinces de Hama et d’Idlib. Outre Hasakeh au nord-est, Horan au sud et Al Ghab à l’ouest, Idlib est l’un des plus importants centres agricoles du pays. Khan Sheikhun, Maarat al Numan, Sarakeb sont des lieux dont les noms ont été entendus ces dernières années en relation avec la guerre. En fait, le commerce y a prospéré jusqu’en 2010. 

Les Fistik Halabi, les célèbres pistaches, sont cultivées ici, les oliviers fournissent la meilleure huile d’olive et le marbre de la région est un succès à l’exportation. Aujourd’hui, les villes sont détruites, les villages à droite et à gauche de l’autoroute sont déserts, les oliviers et les pistachiers desséchés et les lauriers roses brûlés sur la voie du milieu. Un «poste d’observation» turc s’est installé sur le site d’un silo à grains, des maisons détruites, des ateliers et des bâtiments d’usine bordent la route. 

Morek est considérée comme le centre des Fistik Halabi, les pistaches syriennes. Le village est situé à environ 30 km au nord de Hama et était pendant la guerre en première ligne des unités de combat armées par les djihadistes à Idlib. A l’ombre d’une base militaire turque entourée de hauts murs – un soi-disant «poste d’observation» – se trouvent les plus grandes zones de culture des pistaches. Peu importe où vous vous trouvez, les plantations avec leurs arbres trapus et robustes et leur feuillage dense avec leurs ombelles de fruits s’étendent jusqu’à l’horizon sur un sol fertile. 

C’est un vendredi matin que M. Nasser, du bureau des médias de la province de Hama, nous accompagne au marché aux pistaches de Morek. L’endroit est toujours considéré comme une zone militaire restreinte, et donc le muchtar de Morek, le maire, nous attend au poste de contrôle. Il nous devance sur la banquette arrière d’une patrouille militaire à moto et traverse le village où seules quelques familles sont revenues. Morek est en grande partie en ruines.

L’agriculteur Ghazi Nassan al-Mohamed, cultive en deuxième génération des Fistik Halabi, de délicieuses pistaches. La saison des récoltes s’étend de juillet à novembre. Aujourd’hui, en septembre, la récolte se fait quotidiennement. Avant la guerre, M. Ghazi avait 1 040 000 pistachiers que son père avait plantés et qui avaient 40, 50 ans. «Les vieux arbres donnent la meilleure récolte, les jeunes arbres peuvent être récoltés pour la première fois en 10 ans.» Avant la guerre, environ 50 000 tonnes de Fistik Halabi ont été récoltées à Morek, nous raconte l’homme portant la traditionnelle ghalabiya musulmane sunnite, une chemise qui descend jusqu’au sol. «Cette année, nous en avons tout au plus la moitié.» Les arbres ont été détruits lors des combats, abattus pour en vendre le bois, les fermiers n’étaient pas là pour protéger et soigner les arbres. 

Lorsqu’une camionnette s’arrête en klaxonnant, la conversation s’interrompt. Des paniers de pistaches fraîches se trouvent sur la surface de chargement. «Notre récolte de cette année est importante car le rendement doit être utilisé pour assurer la nouvelle récolte de 2021», explique Ghazi al-Mohamed, en enfonçant les deux mains dans le fruit. «Dans le passé, le gouvernement nous aidait avec les engrais, les machines, tout. Maintenant, nous devons presque tout payer nous-mêmes, le gouvernement est sous pression.» Un sac en plastique est rapidement rempli de pistaches fraîches et remis à l’auteur. «Voici un salut de Morek! Qu’elles aient bon goût!»•

(Traduction Horizons et débats)

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